vendredi 29 mars 2024

Brahms: Symphonies par Gardiner Symphonies n°1, 2 et 3 (Soli Deo Gloria, SDG)

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Gardiner, le défi brahmsien

Johannes Brahms : symphonies 1 et 2. D’évidence, le sens de l’articulation distingue l’approche de Gardiner : une lecture pointilleuse, détaillée ayant le sens des couleurs et des timbres (légitime exigence s’agissant des instruments d’époque), surtout sachant exploiter le rebond dramatique des tensions et contrastes saisissants qui naissent du relief parfaitement défini de chaque pupitre. L’écoute dévoile l’intelligence du geste au service d’un Brahms particulièrement soucieux des alliages d’instruments : cuivres, bois, cordes. Sa quête d’équilibre et d’opposition, son génie du développement et de la variation gagnent en lisibilité.
C’est une nouvelle géographie des teintes, avec un souci du grain : flux agile et fluide des cordes, pointes et accents des cors ou des trompettes, tendresse des flûtes, sarcasmes des bassons, rêve des hautbois… Tout cela s’appuie sur une recherche scrupuleuse et parfaitement érudite des partitions ainsi restituées. Le plus de Gardiner : veiller à ce que sa démarche ne soit pas seulement pédante, et explicative mais continûment vivante.

Le chef britannique souligne le poids de la tradition émanant de Bach par exemple. Il éclaire aussi en de fascinants enchaînements, l’esprit des œuvres : rien de plus tragique que le début de la Symphonie I où le pouls de l’orchestre semble se mettre au diapason d’une catastrophe récente qui dicte au sujet sa coloration funèbre et haletante. Or Gardiner joue précédemment, comme pour mieux le préparer, le lied pour chœur et orchestre sur le poème d’Hölderlin (Begräbnisgesang, opus 13) : le poète décrit le paradis des élus, bienheureuses âmes invitées à un banquet dont nous, pauvres mortels, sommes écartés. Ivresse extatique des hauteurs, grimaces aigres des impuissants, écartés : là encore, un contraste singulier qui nourrit la tension, accuse les vertiges instrumentaux, fait progresser l’allant dramatique en une architecture parfaitement identifiable, pas à pas.
De la I, l’écoute distingue dans le dernier mouvement, le chant du cor au point décisif du développement, qui ouvre la dernière perspective de l’œuvre vers la clarté et son apogée triomphale finale.

Gardiner nous offre une vision claire et impliquée. SDG le label qu’il a fondé (Soli Deo Gloria) édite la série de concerts live enregistrés à Paris et à Londres, où le maestro défricheur argumente, explique, innove et … convainc. Le chef érudit resitue chaque œuvre dans son contexte esthétique et musical. Il en démêle le nœud des filiations, des références, des préfigurations, des amorces… des prémonitions. C’est finalement un voyage dans la genèse des œuvres, dans l’atelier de l’écriture : Brahms par Brahms. En définitive, Gardiner met en lumière la maturation d’un thème ou d’une combinaison d’instruments, d’une œuvre à l’autre.
Sa réussite vient de son attention prodigieuse aux timbres et aux équilibres instrumentaux, inféodée toujours à l’allant, l’intensité, la résolution dramatique. Aucun doute, Gardiner est l’un des brahmsiens récents les plus captivants. Son intégrale des 4 Symphonies de Brahms s’impose indiscutablement. Il a dépoussiéré Brahms en lui conférant un lustre instrumental nouveau, comme une cohérence et une profondeur interne insoupçonnée. Chapeau maestro!

Johannes Brahms : Symphonies n°1, 2, 3. Orchestre Romantique et Révolutionnaire. John Eliot Gardiner, direction.

Symphonie n°1, couplée avec :
Brahms – Begräbnisgesang, Op. 13
Mendelssohn – Mitten wir in Leben sind Op. 23
Brahms – Schicksalslied, Op. 54

Symphonie n°2, couplée avec :
Brahms – Alto Rhapsody Op.53
Franz Schubert 1797-1828
Gesang der Geister über den Wassern D714 (1821)
Gruppe aus dem Tartarus D583 (1817, arr. Brahms 1871)
An Schwager Kronos D369 (1816, arr. Brahms 1871)

Lire aussi notre critique de la Symphonie n°3 de Brahms par John Eliot Gardiner

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