vendredi 29 mars 2024

Bordeaux. Grand Théâtre, le 10 février 2013. Francis Poulenc : Dialogues des Carmélites. Sophie Marin-Degor, Xavier Mas… Nader Abassi, direction. Mireille Delunsch, mise en scène

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Le Grand Théâtre de Bordeaux affiche Dialogues des Carmélites (1957) de Francis Poulenc, véritable commémoration du 50e anniversaire de la mort du compositeur, membre du Groupe des Six, défenseurs d’une école française de musique au 20ème siècle.


Vérités de l’âme humaine

L’endroit est idéal pour une telle œuvre. Si le livret est du compositeur, d’après la pièce de Georges Bernanos dont l’argument est en fait tiré d’un roman de Gertrud von Le Fort (« La dernière à l’échafaud »), l’inspiration s’inspire d’un épisode historique : l’exécution de seize carmélites de Compiègne, guillotinées le 17 juillet 1794 à Paris. Le Grand Théâtre étant une des rares salles françaises du 18é siècle, nous nous réjouissons d’y voir l’opéra de Poulenc représenté dans une mise en scène d’époque d’une beauté exceptionnelle signée Mireille Delunsch, avec décors et costumes élégants et économes de Rudy Sabounghi et les lumières intelligentes de Dominique Borrini.

Dialogues des Carmélites est un opéra rare, et rarement représenté, d’une grande originalité et efficacité dramatique malgré l’absence dans la partition d’avant-gardismes musicaux. Poulenc lui-même a dit, non sans ironie, qu’il fallait pardonner ses Carmélites, puisqu’il paraît qu’elles chantent exclusivement en tonalité (!). Si l’œuvre assume des inspirations lyriques et musicales chez Monteverdi, Verdi, Debussy et Moussorgsky, elle a un entrain dramatique implacable et impressionnant; Poulenc trouve effectivement un style propre et efficace lui permettant d’enchaîner sans aucune monotonie les tableaux de l’opéra, la plupart étant des scènes de vie quotidienne dans un couvent! Il s’agît d’un opéra où les femmes sont omniprésentes ; où le chant traditionnel cède sa place au(x) dialogue(s)… Le compositeur y développe une analyse de l’âme d’une finesse remarquable et d’une bouleversante intensité.

Dans ce sens, les portraits des Mères et Sœurs sont émouvants et déséquilibrés, comme l’âme fidèle et la plume insolente du maître. Nous trouvons Sophie Marin-Degor dans le rôle principal de Blanche de la Force, complètement engageante et engagée. Sa prestation est exquise et ses aigus perçants difficiles à oublier. Sylvie Brunet-Grupposo est une Prieure mourante impressionnante dans son agonie, légèrement exacerbée dans son affectation mais à l’intensité indéniable. Hélène le Corre dans le rôle de Sœur Constance est pétillante et révoltée. Sa voix de soprano légère est d’une très grande agilité. Géraldine Chauvet est une Mère Marie complexe avec du caractère et au chant intense et maitrisé malgré sa jeunesse.

Les hommes sont, quant à eux, peu présents, mais nous remarquons les performances de Xavier Mas et Eric Huchet en particulier. Le premier en Chevalier de la Force, est le frère parfait de la Blanche de Marin-Degor. Son beau chant est à la fois noble et fervent. Son duo avec Blanche au 2e acte est un véritable sommet d’expression. Eric Huchet est un aumônier honorable, impeccable dans sa déclamation et son jeu d’acteur, il confirme avec son excellente prestation qu’il n’y a pas vraiment de petits rôles mais de petits chanteurs.

L’angoisse du livret et la dualité inhérente au compositeur sont également évidentes dans la fosse. La tenue de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine est sûre et fervente dès les premières mesures, ses musiciens brillent davantage pendant les intermèdes orchestraux et les moments d’ambiance champêtre et dansante. Pourtant la direction de Nader Abassi reste déséquilibrée. Il exploite le groupe des vents spectaculaires de l’orchestre, sans soigner ni le volume ni de la finesse acoustique de la salle, souvent envahissant le plateau au point d’éclipser les chanteurs qui ont parfois du mal à se faire entendre. Manque de cohésion regrettable chez Poulenc qui met en valeur les subtilités du texte et de l’âme.

Bijoux lyrique bouleversant, le chef-d’œuvre de Poulenc, dans la nouvelle coproduction de l’Opéra National de Bordeaux et Angers Nantes Opéra, touche fortement les cœurs ; le public acclame et applaudit à raisons, la production tout en pleurant. Une commémoration solide et tranchante!

Bordeaux. Grand Théâtre de l’Opéra National de Bordeaux, le 10 février
2013. Francis Poulenc : Dialogues des Carmélites, opéra en 3 actes,
livret du compositeur d’après la pièce de Georges Bernanos. Sophie
Marin-Degor, Xavier Mas… Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Nader
Abassi, direction. Mireille Delunsch, mise en scène.
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