vendredi 29 mars 2024

Bons baisers de Bayreuth (Fayard)Entretien avec Christophe Looten

A lire aussi
Christophe Looten
Bons baisers
de Bayreuth
Lettres de Richard Wagner
(Editions Fayard)

Entretien avec l’auteur

Wagnérien convaincu et passionnant, Christophe Looten publie chez Fayard pour le centenaire Wagner 2013 : Bons baisers de Bayreuth. Le lecteur y découvre une collection de lettres nouvellement traduites, dont certaines inédites ; les textes ainsi publiés (et avantageusement annotées) précisent un nouvel éclairage sur l’homme et l’œuvre… Entretien exclusif pour classiquenews.com

Quel portrait humain et artistique de Wagner pourriez-vous développer à la lumière des lettres que vous avez traduites ici ?

Les lettres de Richard Wagner sont des documents étonnants : d’abord par leur abondance, par la diversité des sujets abordés et enfin par la constante franchise avec laquelle le compositeur s’exprime. Bien sûr, suivant qu’il s’adresse à un ami de jeunesse, à Franz Liszt ou au roi de Bavière, le ton sera bien différent, mais l’homme y reste toujours fidèle à lui-même. Les lettres que j’ai choisies, traduites et annotées montrent combien la vie de Wagner fut difficile, quelle foi il dut avoir en lui-même pour, malgré tous les découragements et les échecs, continuer de vivre et de créer.
On pense souvent que l’irruption du roi de Bavière dans son existence a éloigné tout souci du compositeur, mais ce n’est pas exact. Les soucis ont été différents. Les lettres nous montrent un Wagner profondément dépressif après le premier Festival de Bayreuth au goût doublement amer. Non seulement, il y avait un énorme déficit à couvrir mais Wagner avait compris que la nation allemande ne serait pas changée par l’art. Certes la création en 1882 de « Parsifal » lui a montré l’influence qu’il exerçait désormais dans toute l’Europe, mais c’était trop tard.
C’est donc un Wagner vivant, tour à tour plein de projets et d’amères déceptions, un homme tantôt grand, tantôt mesquin mais toujours guidé par la certitude de son génie et la haute vision qu’il se faisait de son art.

Pouvez-vous extraire une ou deux lettres inédites en particulier et nous préciser pourquoi vous les avez sélectionnées et ce qui fait leur pertinence pour notre connaissance de Wagner ?

Chaque lettre est unique et toutes mériteraient d’être citées ! J’aime bien la lettre à Louis II du 23 février 1869, où Wagner décrit son emploi du temps. Nous possédons deux lettres où le compositeur parle de son travail car, en réalité, bien qu’il ait tant écrit, Wagner n’a révélé que très peu de choses sur son travail de compositeur. C’est l’une des choses les plus importantes que ces lettres apportent aux lecteurs : la possibilité d’approcher de près l’un des plus grands génies de la musique. Dans cette lettre, Wagner, après avoir expliqué sa journée, décrit les pièces dans lesquelles il vit, donne des conseils de lecture au roi.
Une autre lettre est celle qu’il écrit, le 20 octobre 1862, à son éditeur Franz Schott qui lui refuse une avance. Wagner monte sur ses « grands chevaux » et écrit : « vous vous trompez quant à la manière de traiter un homme comme moi ! » C’est un mot écrit alors qu’il a une insomnie et que, comme si souvent, il est terriblement angoissé par sa situation financière. Il est en pleine composition des « Maîtres Chanteurs » et écrit : « Croyez-vous que, les soucis m’empêchant de dormir, je puis être tout joyeux le lendemain et avoir de bonnes idées pour ma musique ? » Mon Dieu, comme cela est encore actuel !

Sur l’œuvre de Wagner (composition du Ring, Siegfried, Le Crépuscule), le projet de Bayreuth, la relation aux autres (Louis II, Nietzsche, Cosima…) qu’avez vous appris à mieux apprécier chez Wagner ? Ou y a t-il un aspect de sa vie, son œuvre que les lettres ainsi traduites ont spécifiquement  » éclairé  » ?

Comme dans mon livre précédent (« Dans la tête de Richard Wagner », Fayard 2011), où j’avais montré que les Œuvres théoriques de Wagner pouvaient être lus comme des écrits autobiographiques, j’ai choisi les lettres de « Bons baisers de Bayreuth » afin qu’elles achèvent le portrait d’un Wagner dont nous avons une image souvent caricaturée. On présente parfois le compositeur comme un affreux antisémite, alors qu’il n’était pas plus antisémite que ses contemporains et que l’une de ses lettres montre qu’il désapprouve l’agitation antisémite. On sous-entend aussi qu’il était un horrible profiteur exploitant l’amitié du roi de Bavière. C’est loin d’être exact et l’on voit au travers des lettres que la relation entre les deux hommes s’est assez vite distendue au point que Louis II a failli manquer son entrée dans l’Histoire : c’est en toute dernière minute qu’il a décidé de soutenir Bayreuth et il l’a fait non en donnant de l’argent mais en le prêtant ! On est donc loin des images toutes faites qui circulent sur Wagner. Ses lettres, qui n’ont jamais été destinées à la publication, nous montrent le vrai visage du compositeur, avec ses qualités et ses défauts. Le portrait est néanmoins plutôt beau. Quand on a lu le livre, on est sous le charme de cet homme dont tout ses contemporains s’accordaient à dire qu’il était fascinant !

Propos recueillis en février 2013 par Adrien De Vries.
- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img