mardi 16 avril 2024

Besançon. Nouveau Théâtre, le 20 septembre 2008. 61 ème Festival international de musique de Besançon. Bruno Mantovani : L’enterrement de Mozart (création scénique)

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Délirant enterrement

En 2008, Bruno Mantovani achève sa résidence à Besançon ( à partir de 2009, lui succède Edith Canat de Chizy). Compositeur associé en 2006, 2007 et 2008, le trentenaire (né en 1974), qui fut mis à l’honneur lors du festival Musica de Strasbourg en 2006 (où il a présenté son opéra L’Autre Côté), offrait aux spectateurs bisontins, dans la salle du Nouveau Théâtre, près du Casino et de l’ex Hôtel des Bains de Besançon, la création en version scénique de son opéra de chambre, « L’Enterrement de Mozart ».
Voici donc la poursuite d’un travail plutôt heureux et même jubilatoire, dans ce « conte baroque » (selon le librettiste) qui est l’aboutissement d’une commande passée par le Festival. L’écrivain Hubert Nyssen a proposé au compositeur, et au chef de Musicatreize, Roland Hayrabedian, la trame de son texte sur l’Enterrement de Mozart. Après écoute de la musique de Bruno Mantovani, Nyssen a réécrit plusieurs dialogues et redécouper les scènes pour une œuvre musicale et théâtrale, riche en syncopes et rebondissements.

Tout part d’une image peinte (plus précisément d’une gravure d’époque)… que Beethoven a identifié, selon la légende, comme… l’enterrement de Mozart : on y voit un convoi funéraire où derrière le cercueil ne figure qu’un pauvre petit chien… triste fin pour un génie universel. Nyssen s’écarte très vite de l’objet-tableau en édifiant une suite de scènes comico-ubuesques, à la fois loufoques et surréalistes, où le visiteur désirant acheté la toile après l’avoir vu dans la vitrine d’un galeriste parisien (de la rue de Lille), pénètre dans la dite galerie pour en connaître le prix, et rencontre plusieurs personnages de pure bouffonnerie : trois femmes (images décuplées de Lilith… ou avatars des trois dames de La Flûte Enchantée ?), le vieux galeriste, détenteur du trésor et qui n’entend rien à ce qu’on lui dit, mais réinvente la réalité à sa façon. Le visiteur qui est physicien de Strasbourg devient « musicien » de « Salzbourg… il a 25 ans… mais le galeriste comprend 35 ans… comme Mozart, l’année de sa mort (1791). Le texte et ses dialogues est tissé de jeux d’esprit, de facéties de langue, d’allusions et de gags poétiques, ainsi que de délires imaginatifs comme « le petit chien de Mozart », qui rappelle au vieux fou, son propre chien, « Aristide », animal paralytique, qu’il promenait dans un caisson à roulettes… les deux, parlaient, comme deux compères, de philosophie. Et d’ailleurs, Aristide, lui-même disciple d’Aristote, était kantien et rêvait d’un monde libre sans collier ni maître (serait-ce une allusion là encore à la vie de Mozart, premier musicien libre de l’histoire, qui avait quitté Salzbourg pour se défaire de la tyrannie de son patron, l’infâme prince-archevêque Coloredo ?)…

La partition et son livret se jouent des mirages et des faux semblants, des lectures multiples, des doubles et triples sens… Beethoven avait-il bien raison de reconnaître dans cette image légendaire, l’Enterrement de Mozart ? Les légendes sont souvent bâties sur de pures mystifications… Qui peut savoir aujourd’hui combien de personnes suivirent le cortège funéraire du regretté Mozart ?

Qu’importe. L’œuvre fictionnelle est ici prétexte à une fable scénique et musicale totalement jubilatoire où chaque protagoniste (2 hommes et 3 femmes) s’ingénie à souligner ce théâtre libéré où s’invitent délire et imaginaire. A la truculence des mots scénographiés, à ce plaisir évident de jouer de toutes les ficelles du théâtre, répond la partition de Bruno Mantovani : riche et dense, pleine de traits mordants et sarcastiques, d’une hyperactivité de timbres et d’effets qui rehaussent encore la vitalité impertinente du propos. Ce foisonnement d’idées et de concepts, de « noumènes » décalés et combinés qui excitent l’entendement, nous plaît; comme ces allitérations et ces références gourmandes, ces constructions linguistiques, ces images réduites à l’essentiel où l’humour croise le cynisme, l’exagération et la philosophie, l’incongru et la psychanalyse (Lacan est en de nombreuses fois, cité avec une verve savoureuse), l’absurde et la poésie, qui produisent in fine à la façon de Ionesco, une scène comique et improbable, à la fois fascinante et déroutante.

Saluons l’excellent travail des musiciens et des chanteurs de Musicatreize (Victoires de la Musique classique 2007). Au terme du spectacle, l’envie de revoir ce tableau énigmatique qui a fondé une pure légende musicale, s’impose, même si le dénouement nous explique que toute l’intrigue de cet Enterrement de Mozart, version Mantovani 2008, n’est en définitive, que pure spéculation du rêve.

Besançon. Nouveau Théâtre, le 20 septembre 2008. 61 ème festival international de musique de Besançon. Bruno Mantovani (né en 1974): L’Enterrement de Mozart (2008) d’après un livret d’ Hubert Nyssen. Mise en scène : Jeanne Roth. Musicatreize. Roland Hayrabedian, direction. Co-commande du Festival de Besançon (création scénique).

Illustrations : Roland Hayrabedian (DR). Cliché de la création scénique 2008 à Besançon © Yves Petit. Gravure française, circa 1800 : « le convoi du pauvre », identifié par Beethoven comme étant « l’enterrement de Mozart » (DR.

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