jeudi 28 mars 2024

Bellini: I Puritani, 1835.Lyon, les 13 et 18. Paris, TCE, le 16 novembre 2012

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Vincenzo Bellini
I Puritani
, 1835
Lyon, Opéra, les 13 et 18 novembre 2012
Paris, TCE, le 16 novembre 2012
version de concert
Evelino Pido
, direction

Chef-d’œuvre du lyrisme italien, les Puritains – sur donnée historique anglaise du XVIIe, un peu arrangée – constitue un sommet de l’art bellinien, avec le regard attendri et subtil sur l’évolution de la « folie » intermittente chez l’héroïne Elvira. La version de concert qui en est proposée par l’Opéra de Lyon, et au TCE à Paris, sous la direction d’Evelino Pido doit permettre un centrage sur les vertus plus purement musicales de cette partition entre bel canto et romantisme.


La fuite en avant d’un Italien

Et s’il n’en reste qu’un dans la mémoire collective des mélomanes, ce sera bien « Casta Diva », augmenté du coefficient hyper-valorisé Callas… Oui, mais « Vincenzo… qui ? ». Vincenzo Bellini, voyons ! Ah , l’auteur de La Norma – donc, Casta Diva, on y est ! -, et puis encore… ? La Somnambule ? Le Pirate ? Soit. Mais aussi Les Puritains, l’ultime, et chef-d’œuvre sans nul doute. Ce siècle avait un an lorsque naît en Sicile – Catane- Salvatore Vincenzo, dont la famille de musiciens n’hésite pas à lui faire suivre de sérieuses études et à l’envoyer « sur le continent », à Naples, où à partir de 24 ans il obtient des succès à l’opéra – notamment le San Carlo-, qui conduisent à la Scala de Milan, et au Pirate (1827, il a 26 ans) qui le fait connaitre à l’étranger. Encore trois opéras joués en Italie, et puis à Milan La Somnambule, et surtout Norma (1831), qui assure sa célébrité. Tout irait pour le mieux si en 1833, au moment de Béatrice de Tende (Venise), il ne se brouillait avec son ami Romani, jusqu’alors librettiste préféré, qui fait allusion à une liaison de Bellini avec une belle Milanaise, et déclenche un scandale qui pousse le compositeur à fuir en Angleterre, où une représentation de sa Somnambule lui permettra de rencontrer la Malibran, interprète idéale de ses oeuvres. L’anglais –langue, culture, vie sociale – n’est pourtant pas ce qu’il préfère, et c’est la France qu’il gagne ensuite, pensant que cela ne sera qu’une escale sur la route qui le ramènera à Milan.


La princesse et les patriotes libéraux

Mais il se plaît tellement à Paris – ses biographes suggèrent aussi qu’il n’est pas très désireux de renouer avec son amante italienne – qu’il s’y installe pour de longs mois. La capitale est aussi celle de l’Opéra européen, comme l’a constaté l’exilé Chopin : « Je suis content de ce que j’ai trouvé ici : les premiers musiciens et le premier Opéra du monde » (c’est ce que rappelle la décisive biographie de Bellini par Pierre Brunel, aux éditions Fayard). En fait Bellini reçoit des propositions séduisantes de la part du Théâtre Italien- remonter ses œuvres antérieures, puis écrire un nouvel opéra- , il obtient l’appui de Rossini, espère avoir des chanteurs de très haute valeur (Lablache,Rubini, Giulia Grisi…). On l’introduit dans les salons parisiens, et surtout celui de sa compatriote exilée la princesse Belgiojoso, « protectrice et muse » des libéraux politiquement compromis dans la lutte des Italiens contre l’occupant autrichien. On rencontre aussi là des artistes, des littérateurs français :Hugo, Musset, George Sand, Michelet, ou l’Allemand Henri Heine. Et un musicien avec lequel les affinités électives deviennent vite évidentes : Chopin, qui l’accompagne au piano, et qui ne cessera de dire son admiration de musicien pour le mélodiste Bellini…Peut-être le compositeur y gagne-t-il une réputation « politique » dépassant quelque peu ses idées intimes de patriote contre l’autocratie, mais qu’importe !


Une foudroyante fin de vie

Il y fait la connaissance d’un écrivain exilé, le comte Pepoli, sans doute meilleur révolutionnaire en action que poète, mais c’est ce « novice en théâtre » qui sera le librettiste, pas toujours très heureux, du nouvel opéra. Les Puritains, histoire anglaise située au milieu du XVIIe, est adapté d’une pièce oubliable de deux plumitifs français, elle-même fondée sur un roman de l’auteur à immense succès, Walter Scott. La musique de Bellini en fera un chef d’œuvre, dont la première obtient en janvier 1835 un triomphe qui vaut à l’auteur de devenir un « Parisien et Italien » fêté puis même décoré (Chevalier de la Légion d’Honneur !). Bref un homme heureux ? Mais un projet de mariage – avec une riche héritière à propos de laquelle sa correspondance le montre moins « ange de Catane » que « personnage balzacien » (P.Brunel) – s’enlise. « Le glorieux Bellini, ombrageux et jaloux – notamment de son rival Donizetti – n’a guère de vrais amis. » (Le plus véritable et le plus ancien, Fiorimo, est resté en Italie). Et ce va être une foudroyante fin de vie, à la fin de l’été 1835. Installé à Puteaux dans une maison où il compose sans conviction des mélodies ou romances, peut-être partiellement ruiné par les conseils boursiers désastreux de ses mystérieux « amis » et logeurs anglais –Mr et Mrs( ?)Levys -, il est à nouveau atteint par des maux intestinaux dont il avait déjà gravement souffert, et qui cette fois, en quelques jours de souffrance et de solitude, l’entrainent dans la mort. Une mort si brutale, dans des circonstances un peu bizarres, qu’elle fera naître des soupçons, d’ailleurs peu crédibles, sur un empoisonnement. Bellini meurt à 34 ans, entre l’âge de Schubert et celui de Mozart…


Un compositeur mal connu ?

Bellini, est-ce le chant triomphal mais terminal du Bel Canto, de ce « beau chant » qui depuis l’apogée du baroque italien (du milieu du XVIIe au début du XIXe) éblouit l’Europe ? Ou l’initiateur de ce qui suivra et sera exalté par le génie de Verdi, une forme de romantisme européen ? « Sa force, dit encore P.Brunel, est qu’il charge d’humanité les sujets qui pourraient paraitre les plus datés. Comme dans la tragédie grecque, le drame bellinien est à la recherche d’une catharsis (purification) : il ne la trouve pas dans les larmes, mais dans la beauté pure du chant…A travers la dizaine d’opéras qu’il a eu le temps d’écrire, il n’est pas un compositeur méconnu, mais il reste mal connu. » La formule « en concert » que propose l’Opéra de Lyon, tout en resserrant le jeu sur « la beauté pure du chant » – l’oreille contre « l’œil » si sollicité par mise en scène et décors, avec tous les « risques » éventuels de dérapages hyper-modernisés dans le genre « traders fous versus aristocratie bancaire de la City » ou « mésaventures d’Elvira chez les psychanalystes lacaniens » – a ses avantages, même dans la restriction draconienne du récit assez échevelé qui sous-tend ces Puritains.


Aristocrates, Puritains et République dictatoriale

Car l’Histoire anglaise est à la fois ici très sollicitée et quelque peu « arrangée » dans l’alliance du romanesque et de l’émouvant. On est bien dans l’Angleterre aux luttes politico- religieuses impitoyables qui, tout au long du XVIIe, font de ce pays un laboratoire parfois frénétique des idées « modernes », en particulier dans la redistribution des pouvoirs de la monarchie qui sera finalement mise en tutelle légale. La succession de la Grande Elizabeth (morte en 1603) avait ouvert des temps de troubles dramatiques et interminables : deux rois Stuarts( Jacques Ier et Charles Ier) avaient régné, surtout le second, contre la Chambres des communes (petits nobles ruraux, marchands), qui finissent à la fin des années 1730, par limiter leur pouvoir. Une guerre civile éclate (1642-1645) entre les Cavaliers (défenseurs aristocrates favorables aux pouvoirs royaux) et Têtes Rondes (dominant aux Communes), des Puritains – rigoristes en théologie comme en morale individuelle et collective, lecteurs absolus et intransigeants de la Bible, intégristes avant la lettre et l’esprit -, dont le chef est Olivier Cromwell. Les Cavaliers perdent la guerre, Charles Ier qui s’est enfui en Ecosse est livré au Parlement anglais, qui sous la pression des Puritains, finit par le condamner à mort et le faire exécuter (1649). Cromwell va s’instituer en Lord Protecteur qui tutelle une « République » aux allures dictatoriales.
Madame se meurt, Madame est morte…
Mais il faut auparavant qu’il vainque les Cavaliers resurgis qui ont fait alliance avec les Ecossais, eux-mêmes désireux d’une restauration sur le trône de Charles II, le fils du monarque exécuté. C’est 1750, et le cadre des…Puritains, qui orne et manipule un tant soit peu événements et personnages, en imaginant (avec italianisation des noms) notamment une Enrichetta (Henriette … de France), veuve de Charles Ier mais encore en Angleterre… Alors que la vraie, princesse française mariée en 1625 à Charles Ier, de culture catholique et entendant favoriser le retour des Stuarts à cette religion, a dû dès 1644 regagner la France d’où elle ne reviendra plus. A ne pas confondre avec sa fille, Henriette d’ Angleterre, enfant réfugiée en France, et dont la mort subite à la Cour de Louis XIV en 1670 inspirera à Bossuet sa légendaire description-invocation : « O nuit désastreuse, ô nuit effroyable…Madame se meurt, Madame est morte. »


Elvira, folle d’amour à Plymouth

Donc le drame se noue dans une forteresse de Plymouth , où Lord Gualtiero Valton, Puritain, s’apprête à marier sa fille Elvira non point comme il l’avait prévu, à un chef puritain, Riccardo, mais à celui qu’elle aime, Arturo, chef Stuart. Mais cet Arturo se voit chargé de favoriser la fuite d’une dame inconnue, considérée comme espionne des Stuarts : en fait Enrichetta, alias Henriette de France, prisonnière de Lord Valton. Il se sert du voile nuptial de sa fiancée Elvira pour en déguiser sa Reine qui s’enfuira ainsi sous déguisement. Ce « double jeu » va entraîner la folie d’Elvira qui se croit trahie, des péripéties et retournements au détail haletant et complexe (fuites, duels, arrestation et condamnation à mort d’Arturo) qui devraient aboutir à une fin tragique. Mais la victoire militaire des . Puritains s’accompagne d’une amnistie politique de tous les partisans Stuarts par Cromwell…et permet le happy end : Elvira retrouve la raison et peut enfin se marier avec Arturo, pardonné de toutes les façons…Elvira, folle d’amour à Plymouth, comme aurait pu dire Marguerite Duras.


Elvira et Lucia

Bellini montre d’abord une science étonnante des ensembles dès le Quatuor initial (d’ailleurs peu cohérent scéniquement avec l’inclusion d’Arturo), ainsi dans la progression dramatique (solistes et chœurs) qui clôt l’acte I.Les analystes soulignent d’ailleurs les « progrès » de Bellini pour l’écriture orchestrale qui était moins complexe dans Norma : en témoignent une ouverture qui établit le climat général sans résumer le propos, et une tempête romantique – prolongement des schémas dans l’opéra baroque , paysage-« état d’âme » et Sturm und Drang au début de l’acte III. Bellini sait aussi composer « patriotique », comme avec le « suoni la tromba » qui deviendra moment favori de l’aspiration italienne à l’unité nationale. Et bien sûr le grand mélodiste qu’aura constamment été s’affirme dans des arias comme celui d’Arturo – « A te o cara », acte I , ou « son, salvo, » acte III- . Mais ce qui est passionnant et pleinement original, c’est le destin musical d’Elvira : certes la folie est un « sujet classique », tout spécialement dans l’univers romantique, et Lucia de Lammermoor – le rival Donizetti, dont l’opéra est créé…trois jours après la mort tragique de Bellini ! –en donne une exemplaire dimension. Chez Bellini, le musicien de la tendresse pour les femmes, c’est le flux et reflux de la déraison, et les états intermédiaires au cours de cette errance due à la passion amoureuse « contrariée », qui sont fortement mais subtilement décrits.La folie n’est pas ici libération d’une hybris meurtrière, mais la rupture d’une frontière incertaine dans un être essentiellement fragile ».


Le rêve d’un temps suspendu

Et quand ornements vocaux il y a, « ce ne sont pas vains ornements, mais l’expression comme naturelle d’une émotion à son paroxysme ». La mélodie est sublime (« o rendetemi la speme ! », « qui la voce sua soave », acte I, « a una fonte afflitto », acte III), et au dessus de ce sublime qui s’intègre au collectif du récit, existe, comme la décrit P.Brunel, « une manière romantique de vivre le temps : la mélodie se déploie, et pourtant les incidents du drame le rompent, le morcellent, semblent empêcher que rien puisse jamais s’accomplir : c’est le rêve d’un temps suspendu. »
Il appartiendra à la cantatrice russe Olga Peretyatko – spécialiste de l’opéra italien du XIXe -, d’incarner ce personnage fascinant et fasciné. Elle sera entourée de son compatriote Dmitry Korchak (Arturo), des Italiens Pietro Spagnoli (Riccardo), Michele Pertusi (Giorgio Valton), Daniela Pini (Enrichetta).Et le chef lui aussi Italianissime Evelino Pido – comme en témoigne sa discographie opératique :Rossini, Donizetti, Bellini…- , l’un des plus importants directeurs musicaux actuels, retrouve l’Opéra de Lyon pour cette interprétation qui, en dehors de réalisation scénique, se centre sur l’harmonie pure de Bellini.

Opéra de Lyon, mardi 13 novembre 2012, 20h, dimanche 18, 16h. Paris, Théâtre des Champs Elysées, vendredi 16. Vincenzo Bellini (1801-1835), Les Puritains, version de concert. Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon, dir. Evelino Pido. Solistes : Olga Pertatko, Dmitry Korchak, Pietro Spagnoli, Michele Pertusi, Daniel Pini, Ugo Gagliardo…
Information et réservation : Tél.: 0826 305 325 ; www.opera-lyon.com
Information : TCE Théâtre des Champs Elysées

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