mardi 16 avril 2024

Bach: Missa, 1733 (Pygmalion, 2011)1 cd Alpha

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A quoi aurait pu ressembler la première Messe en si de Bach si les musiciens de Dresde l’avaient jouée en 1733 telle que le manuscrit adressé à Frédéric Auguste le précise ? Telle est la question du programme de ce disque. Prolongement de ses précédentes Luthériennes, la Messe en si version Raphaël Pichon est celle des « origines », c’est à dire de 1733, quand Bach souhaitait de facto quitter l’ambiance conservatrice et étouffante de Leipzig pour… la flamboyante cour de Dresde: là, un orchestre, des choristes, des chanteurs, un patron compréhensif et plutôt mélomane (Frédéric Auguste II de Saxe) incarnaient un eden musical dont il rêvait. Dans les faits, le compositeur si incompris à Leipzig adresse le manuscrit de sa Missa comme (déjà) un tout accompli (préambule à la Missa finale de 1748-1749), réalisant un syncrétisme entre protestantisme et catholicisme (la Cour de Dresde offrait les deux confessions), proposant une manière de synthèse personnelle, esthétique, stylistique de ses compétences particulières. En effet, l’ampleur de l’orchestre, le relief opératique des parties vocales, l’extraordinaire travail d’orchestration et d’instrumentation (qui montre que Bach connaissait les virtuoses alors en place à Dresde)… indiquent une oeuvre manifeste, la claire intention de montrer sa valeur dans l’esprit du Roi de Saxe, comme un égal des compositeurs déjà reconnus à Dresde tels Heinichen, Zelenka, surtout Hasse.
A partir de cette mise en contexte, voici une Missa « des origines », donc de 1733, telle qu’elle aurait pu sonner si elle avait été interprétée par les musiciens de Frédéric Auguste: suavité des timbres solistes (cor, hautbois, bassons…), activité orchestrale, ferveur lyrique des chanteurs…


Bach documentaire

La forme plutôt que le fond

Nonobstant cette intention assez bien développée dans la notice du présent album, on regrette l’asthénie de certains passages qui malgré le luxe du détail ne fait pas une vision spirituelle ou à défaut, une juste et sincère articulation du texte. Le verbe est pourtant primordial chez Bach: tout sans ses options d’écriture fait sens car le compositeur est serviteur de la parole incarnée. De ce point de vue, souvent la prise atténue l’impact du verbe choral, ôtant toute aspérité à l’accomplissement spirituel. L’entrée (Kyrie eleison I) s’enlise très vite: trop d’application, trop d’amour du beau son ; et l’ampleur, le mystère, l’inéluctable et la tension qui saisissent par exemple dans d’autres lectures plus lointaines et pourtant autrement frappantes dans leur audace (quel tempo étiré, hors du temps et de tout doute, dès le départ… étrange et dommageable choix artistique: la langueur étirée du Qui tollis peccata mundi est le point le plus emblématique de cette approche épaisse, à rebours d’un Kuijken, défenseur plus inspiré d’une voix par partie). Cela est d’autant plus regrettable que la beauté des timbres et la tenue des instrumentistes se distinguent très nettement. Même ennui palpable chez les deux sopranos du Christe… verbe sans éclat, intonation terne, fatiguée, grise sans nerf, parole divine absente à toute imploration/adoration: que tout cela est mou et doucereux… ce qui ne s’arrangera pas avec le Laudamus te… atténué lui aussi par un soprano plutôt sans éclat ni ardente joie (la tristesse du timbre et la « petitesse » du chant sont un contre sens).

On annonce un travail spécifique sur les instruments: soit. Donc un clavecin omniprésent, pas toujours très bien équilibré dans la prise de son (mais il fallait « sonner opéra »); donc aussi un théorbe (plutôt que luth ? étrange là encore quand on sait que les cours germaniques avaient gardé la passion de l’instrument des rois jusque tard dans le XVIIIè, a contrario de la France immédiatement passionnée par le clavecin).
Sonorité étroite, verbe atténué, discours plus dansant qu’enivré et vertigineux… la réalisation reste souvent anecdotique, un exercice scolaire qui certes apporte un éclairage inédit sur un premier état vers la Missa assoluta de 1748. Le Domine Deus (soprano, ténor et flûte obligée) pose problème: parler à son propos de style lombard est une volonté distinctive mais qui dans la réalisation s’avère bien maniérée (flûte et voix bien peu fusionnées et c’est là encore une option délibérée de la prise de son: voix réverbérées et lointaines, instrument trop proche et peu résonnant)…

Mais heureusement il y a des passages nettement plus habités, porteurs de mystère, de ce trouble spirituel qui sont au coeur de la Messe en si: le Gratias agimus tibi, choralement plus abouti; l’admirable Qui sedes ad dextram vocalement impeccable de Carlos Mena: précision, droiture d’un timbre assuré, idéal vecteur d’une croyance absente à tout doute. Saluons dans le Quoniam, la performance du corniste Olivier Picon qui « ose » assurer sa partie sans clés ni sons bouchés mais crânement en corrections labiales exclusives: une prouesse qui elle de facto, rétablit aux côtés des deux bassons omniprésents, la place de la virtuosité instrumentale dans la Missa. La conclusion (Cum Sancto Spiritu) est portée sur un rythme vivace d’autant plus profitable que l’audition a préalablement regretté les égarements antérieurs: le choeur y est magistral de précision et de justesse, fervents défenseurs d’un contrepoint lumineux, enfin porté vers une élévation irrésistible: quelle gloire finale ! Il était temps.

Exercice documentaire, éclairage inédit sur la genèse de la Missa de Bach, l’album tient évidemment ses promesses. Dire qu’il s’agit aussi d’un témoignage spirituel de première valeur, de surcroît dans une option chorale aujourd’hui dépassée, reste excessif. La mise en place, le travail des timbres, la brillance du propos imposent ce Bach inédit comme un… document. Pour autant, la ferveur de Bach y a-t-elle gagné une réalisation trouble et fascinante, porteuse de sens et réellement convaincante?

Johann Sebastian Bach: Missa 1733. Pygmalion. 1 cd Alpha 188. Durée: 57mn.

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