COMPTE RENDU, Festival 1001 NOTES 2020 (Haute-Vienne, Limousin), les 4 et 5 aoĂ»t 2020. DĂ©confinement, solidaritĂ©, ouverture⊠Face Ă la crise et la mise sous cloche de la culture, en particulier du spectacle vivant, les Festivals nâont pas tardĂ© Ă rĂ©agir et produire de premiĂšres alternatives bĂ©nĂ©fiques. Le Festival 1001 Notes portĂ© par son directeur artistique Albin de la Tour nâest pas en reste ; il a mĂȘme Ă©tĂ© le premier Ă proposer sur la toile plusieurs courtes sessions musicales ; permettant aux artistes et au public de renouer un fil qui sâĂ©tait coupĂ© brutalement mi mars dernier ; Ă cause du confinement imposĂ© (LIRE ici « Contre la crise et le confinement, le cycle de concerts live « Aux notes citoyens »).
Pour lâĂ©tĂ©, quand dâautres ont jetĂ© lâĂ©ponge, empĂȘtrĂ©s par la difficultĂ© de mettre en pratique les mesures barriĂšres et le protocole sanitaire, le Festival 1001 Notes affirme clairement sa ligne : solidaritĂ©, sĂ©curitĂ©, Ă©clectisme. SolidaritĂ© pour les artistes qui ont besoin de jouer ; sĂ©curitĂ© sanitaire pour tous Ă tous les concerts ; Ă©clectisme et ouverture dâune programmation qui par sa simplicitĂ© et son sens maĂźtrisĂ© des mĂ©tissages et des mĂ©langes, rĂ©invente concrĂštement lâexpĂ©rience de la musique classique. Une alternative heureuse pour les spectateurs, dâautant plus mĂ©ritante quâelle a Ă©tĂ© conçue en trĂšs peu de temps.
15Ú édition du Festival 1001 Notes
ALTERNATIVE DĂCONFINĂE, HEUREUSE, ACCESSIBLEâŠ

Traditionnellement itinĂ©rant, rayonnant sur le territoire limousin, 1001 Notes pour ses 15 ans, sâest ainsi rĂ©inventĂ© et propose cet Ă©tĂ© en un lieu unique (le parc de Saint-Priest Taurion Ă 20 km de Limoges) une multitude dâĂ©vĂ©nements, riches, variĂ©s, divers, complĂ©mentaires ; de quoi rĂ©galer le festivalier venu sur place. Au sens strict comme figurĂ©, car les produits locaux y sont aussi prĂ©sentĂ©s, comme une restauration sur place est assurĂ©e. Les enfants sây initient aux dĂ©lices des contes en musique ; les amateurs de dĂ©tente et de bien ĂȘtre expĂ©rimentent sous la yourte, ouverte aux vents rafraĂźchissants, les bienfaits du yoga, de la mĂ©ditation, et tant dâautres pratiques qui soignent le corps comme lâesprit. Au bar, lâoffre est allĂ©chante, comptant entre autres une biĂšre locale, ⊠typiquement limousine. En somme de quoi vivre sur le site une nouvelle expĂ©rience de la musique, sans contraintes, sans codes, mais avec le masque obligatoire et lâapplication des gestes barriĂšres comme de la distanciation sociale.
BAROQUE & CULTURES URBAINES
Fugacités, a work in progress
Le Concert de lâHostel Dieu au travail
Mardi 4 aoĂ»t 2020. En toute sĂ©curitĂ©, nous avons pu ainsi dĂ©couvrir le nouveau spectacle du Concert de lâHostel Dieu et Franck Emmanuel Comte, intitulĂ© « FugacitĂ©s ». Le chef et claveciniste prĂ©sentait le 4 aoĂ»t, les 2 premiers volets dâun triptyque qui croise musique baroque et cultures urbaines. Dâabord avec un danseur hip hop (JĂ©rĂŽme Oussou) dont la grĂące gestuelle sâaccorde aux respirations de la musique choisie : Westhoff, Playford⊠et aussi, clin dâoeil Ă lâexcellent ballet chorĂ©graphiĂ© Ă©galement par Mourad Merzouki, « Folia », le finale chantĂ© par tous les artistes sur le plateau. Effet dâapesanteur, sĂ©quences en solo syncopĂ©es, interaction humoristique avec les instrumentistes, le danseur fait danser la musique comme les musiciens la font parler.
Puis câest le slameur Mehdi KrĂŒger qui dĂ©clame un superbe texte rĂ©digĂ© pendant et sur le confinement, sur lâĂ©chec de notre sociĂ©tĂ© et le chaos global contemporain. On y dĂ©tecte un goĂ»t particulier pour les jeux de mots, les doubles voire triples lectures, un raffinement de la langue qui passe dâabord par son articulation (vivante, gestes Ă lâappui) et sa musique propre dont les respirations, scansion, accentuation Ă©pousent idĂ©alement la musique qui leur est associĂ©e. Dans un paysage dĂ©rĂ©glĂ©, celui dâune course Ă lâabĂźme (« lâOdyssĂ©e dâun homme qui cherchait la merâŠÂ »), le conteur trĂšs en verve Ă©voque de multiples rivages, Ă©lectrisĂ© par la pulsion des instruments, leur expressivitĂ© rythmique comme mĂ©lodique, Ă©pinglant lâhystĂ©rie paranoĂŻaque de notre Ă©poque, avec une malice lyrique parfois ironique : « Champagne pour tous, sauf pour ceux qui trinquent ! ». En images allusives et prose riche en dĂ©licieuses allitĂ©rations, le rĂ©citant pointent du doigt tout ce qui compose aujourdâhui notre apocalypse moderne.
Au coeur de la performance, jaillit une perle lyrique (Monteverdi), priĂšre pour un monde rĂ©gĂ©nĂ©rĂ© ou souvenir dâun monde perdu, chantĂ©e par la violoncelliste Aude Walker-Viry dont on apprĂ©cie la finesse, et du jeu et de la voix. Encore perfectible, selon les mots de Franck-Emmanuel Comte, la sĂ©quence saisit et convainc, dans ses contrastes, ses tensions, lâespĂ©rance quâelle fait naĂźtre, la parfaite fusion du verbe dĂ©clamĂ© et des piĂšces baroques associĂ©es. VoilĂ qui prolonge le travail du Concert de lâHostel Dieu, fruit dâun compagnonage fĂ©cond avec 1001 Notes et Albin de la Tour. Ou comment explorer (et rĂ©ussir) de nouvelles formes Ă partir et autour du Baroque. Dans la lignĂ©e du ballet « Folia », le nouveau spectacle « FugacitĂ©s », dans ses premiers aspects, tient dĂ©jĂ ses promesses. A suivre.
CHOPIN, SATIE⊠le piano explorateur
de Laure Favre Kahn et Artuan de Lierrée
Mercredi 5 aoĂ»t 2020. Riche parcours pour le mĂ©lomane : cette seconde journĂ©e Ă 1001 Notes enchaĂźne rĂ©citals et concerts, autant dâinvitations musicales dĂ©fendues, incarnĂ©es par des tempĂ©raments pianistiques indiscutables. La richesse et la diversitĂ© des programmes (autant dans leur formulation que dans le rĂ©pertoire jouĂ©) soulignent cette ouverture du Festival, son Ă©clectisme dĂ©complexĂ©, Ă lâadresse de tous les publics ; une conception dĂ©sormais emblĂ©matique dans lâesprit dâune cĂ©lĂ©bration Ă la fois conviviale et fraternelle (il y est trĂšs facile par exemple pour les spectateurs de rencontrer et de dialoguer avec chaque artiste prĂ©sent⊠avant, aprĂšs le concert, Ă la buvette, Ă lâoccasion des repas ; toujours dans le respect des gestes barriĂšres).
Premier rĂ©cital dĂšs 11h, celui de Laure Favre Kahn dont lâamour pour Chopin se livre sans entraves en premiĂšre partie. Le jeu est limpide et fluide ; la construction franche et claire. Câest un Chopin pleinement assumĂ© qui se dĂ©voile, en sa double nature : Ă©perdument tendre et nostalgique, mais aussi impĂ©tueux et conquĂ©rant (voire guerrier). Lâarticulation directe, le relief dâune conception contrastĂ©e sait aussi sâadoucir, rĂ©alisant dâheureux phrasĂ©s au galbe nuancĂ©. Les Valses de Chopin permettent le passage avec les danses qui suivent : celles aiguĂ«s, percutantes de Bartok (Ă la carrure rythmique si spĂ©cifique, Ă lâorientalisme Ă peine masquĂ© aussi) ; lâampleur orchestrale, riches en textures harmoniques sâaffirme enfin dans le Granados, voluptueux, volontaire ; tandis que la pianiste nĂ©e Ă Arles, joue dans la mĂȘme veine naturelle la suite de Bizet, « lâArlĂ©sienne »; bel hommage personnel qui fonctionne Ă merveille.
Familier de 1001 notes, le pianiste et compositeur Artuan de LierrĂ©e retrouve son public (12h) dans le format atypique qui lui est propre : prĂ©sentation de ses Ćuvres personnelles auxquelles lâauteur ajoute moult explications souvent savoureuses, jouant parfois sur deux claviers, le piano classique et son piano miniature aux sons plus courts, plus secs, sans rĂ©sonance avec lequel le musicien aime Ă©chafauder ses propres divagations musicales, le plus souvent inspirĂ©es de Satie, un modĂšle permanent qui est sa principale source dâinspiration. Lâinventeur ajoute un 3Ăš clavier, son piano jouet (aux sons de clochette)⊠Comme un fabuleux conteur, le compositeur prĂ©sente ses Ćuvres, parfois courtes (8 miniatures prĂ©sentĂ©es pour la premiĂšre fois) ; dâautres ont des titres narratifs prometteurs (« lâĂ©trange dĂ©couverte dâAlbert Poisson », « le service Ă ThĂ© de Marthe CĂ©lĂ©rier ») ; ils immergent lâauditeur dans un univers imprĂ©vu: le nom mĂȘme de Marthe CĂ©lĂ©rier nâest pas fictif car le compositeur lâa dĂ©couvert sur lâĂ©tiquette de son instrument miniature (sa propriĂ©taire prĂ©cĂ©dente ?). Le cas relĂšve du roman, mais une fable Ă la Satie Ă©videmment : on y dĂ©tecte lâhumour dĂ©lirant et loufoque de lâauteur des Gnossiennes, sa coupe dramatique et narrative si puissante et originale, ses harmonies rares, une sensibilitĂ© manifeste aussi pour le son et la texture⊠le compositeur conduit le spectateur au delĂ des notes, le sensibilise Ă la durĂ©e, la hauteur du son ; son exploration est sans limites, mais toujours dans ses tuilages harmoniques et ses scintillements enchantĂ©s, une rĂ©ponse poĂ©tique Ă la fĂ©rocitĂ© dĂ©shumanisĂ©e et barbare de notre Ă©poque.
Superbe récital de Nicolas Horvat
SCINTILLEMENTS MINIMALISTES DE PHILIP GLASS
Remplaçant le spectacle de Marie-AgnĂšs Gillot qui blessĂ©e, nâa pu prĂ©sentĂ© son programme, le pianiste Nicolas Horvat Ă 17h30, est invitĂ© Ă dĂ©fendre un compositeur contemporain quâil connaĂźt plutĂŽt bien. Familier voire spĂ©cialiste de Glass, lâinterprĂšte offre un somptueux programme 100% Glass, gĂ©nĂ©reux, explicatif, nâhĂ©sitant pas Ă prĂ©senter lui-mĂȘme chaque piĂšce choisie dont une premiĂšre « Tissu number 6 », hymne lyrique Ă la Nature, Ă©voquant le fragile Ă©quilibre du vivant et tout ce que lâhomme fait subir Ă la flore comme Ă la faune. Câest dâabord la Suite OrphĂ©e dont on distingue immĂ©diatement le formidable travail sur lâarchitecture, la progression structurelle et les nuances apportĂ©es dans chaque rĂ©itĂ©ration. Horvat fait surgir du matĂ©riau sonore, son intensitĂ© intĂ©rieure, lâactivitĂ© qui bouillonne, souterraine, sâinfiltre puis sâexpose, dans le sens dâun Ă©coulement perpĂ©tuel. La rĂ©pĂ©tition nâest pas mĂ©canique, mais cyclique, unifie, construit en une conception toujours renouvelĂ©e, jaillissante et revivifiĂ©e. VoilĂ qui donne Ă lâapproche, Ă la nappe sonore qui en dĂ©coule, son Ă©tonnante assise organique. LâidĂ©e dâun parcours et dâun cheminement se dĂ©ploie ; la question du sens et du dĂ©veloppement sâaiguise, de sorte quâĂ chaque palier harmonique, se prĂ©cise le principe de transformation et de mĂ©tamorphose. La reformulation et les multiples rĂ©expositions alimentent un flux permanent, fluvial ; et le jeu du pianiste en une apesanteur inĂ©luctable, comme une priĂšre mĂ©ditative exprime le fragile Ă©quilibre, la « gravitas » aussi dâun temps Ă la fois comptĂ©, unique et infini. Nicolas Horvat sait exprimer lâampleur de cette Suite conçue comme un portique impressionnant dont il perçoit et dĂ©livre les Ă©clats, alertes, glissements, anĂ©antissements.
LâĂ©lĂ©gie que forme « Tissu number 6 » frappe tout autant par sa construction aussi souple et flexible, quâaffirmĂ©e voire dĂ©nonciatrice. La couleur est proche dâun lamento, dâune dĂ©ploration au chevet de la Nature martyrisĂ©e dont le pianiste exprime lâexhortation primitive, le jaillissement continu, celui dâun rituel qui gravit une Ă une les marches dâune arche spirituelle dont le cri final dit le chaos qui menace.
Enfin, la Sonate « Trilogie » associe trois opĂ©ras, en particulier leur mouvement ascendant, vers le soleil en une Ă©lĂ©vation irrĂ©pressible (Einstein on the Beach, Satyagraha, Akhenaton) – chaque extrait marque un climax dramatique dans le dĂ©roulement de lâaction lyrique. Nicolas Horvat renforce sans appui leur formidable activitĂ© ascensionnelle, constellĂ©e de particules qui sâagglomĂšrent peu Ă peu dans la quĂȘte des sommets. Exposition, rĂ©ponse, rĂ©pĂ©tition, prĂ©cipitation, questionnement, extase, fureur⊠Il fallait Ă©videmment Vers la Flamme (Scriabine), bis ou conclusion opportune, pour rĂ©soudre les appels dâun programme fabuleux, dâune ivresse sonore inextinguible. Scriabine lui donne sa rĂ©ponse propre dans lâĂ©blouissement final qui vaut rĂ©vĂ©lation. Superbe programme, servi par un interprĂšte habitĂ© et particuliĂšrement juste.
Le Festival 1001 Notes rĂ©ussit son pari. Il surprend, explore, rĂ©invente. Le site accorde heureusement comme une Arcadie moderne, toutes les envies, tous les goĂ»ts des festivaliers, heureux dâĂ©prouver les dĂ©lices du dĂ©confinement. Albin de La Tour y cultive lâaccessibilitĂ© et lâinvention, de quoi dans les faits dĂ©cloisonner la musique classique, la dĂ©mocratiser ; de quoi surtout rĂ©gĂ©nĂ©rer lâexpĂ©rience du concert classique. Une Ă©vasion heureuse en Limousin, Ă vivre encore aujourdâhui, vendredi 7 aoĂ»t et samedi 8 aoĂ»t 2020. A lâaffiche : Simon Ghraichy, Thibault Cauvin, Hemolia entre autresâŠ
 
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Festival 1001 Notes, Limousin, 20 km de Limoges, Parc Saint-Priest Taurion, jusquâau 8 aoĂ»t 2020. DĂ©couvrez ici tous les programmes, les horaires et les nombreuses activitĂ©s sur place Ă vivre en famille et entre amis : http://www.classiquenews.com/limousin-les-15-ans-du-festival-1001-notes-1er-9-aout-2020/
Photos du Festival 1001 NOTES 2020 : merci à © Amelin Chanteloup
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Approfondir
LIRE notre entretien avec Franck Emmanuel Comte : chantiers dâĂ©tĂ© (FugacitĂ©sâŠ), nouvelle saison 2020-2021 (French Connection, lâAffaire BachâŠ), nouvel album discographique (La Francesina) : ici
http://www.classiquenews.com/franck-emmanuel-comte-chantiers-dete-nouveaux-programmes-20-21/
DĂ©couvrir les coulisses et les acteurs du Festivals 1001 NOTES 2020, dans le BLOG dĂ©diĂ©, sur le site du Festival 1001 NOTES : ici Â
1001 NOTES, c’est aussi un label discographique, une chaine vidĂ©o dont des contenus exclusifs en liaison avec l’Ă©dition 2020 seront diffusĂ©s prochainement. Supports, modalitĂ©s de visionnage Ă suivre sur CLASSIQUENEWS