CRITIQUE, ballet. STRASBOURG, le 18 fév 2022. GLASS : Alice, Hosseinpour, Lunn, Karen Kamensek.

CRITIQUE, ballet. STRASBOURG, le 18 fév 2022. GLASS : Alice, Hosseinpour, Lunn, Karen Kamensek  -  Première strasbourgeoise du nouveau ballet du compositeur Philip Glass, Alice ! L’opus très attendu inspiré du roman « Alice aux pays des merveilles » de Lewis Carroll est interprété par la compagnie de ballet de l’Opéra National du Rhin, dans la chorégraphie d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn, avec l’Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par la cheffe Karen Kamensek. Une création contemporaine haute en couleurs !

 

 

Une Alice hors du commun

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Le célèbre roman de l’écrivain Anglais inspire des artistes de tout genre ; il émerveille le public depuis sa parution en 1865. La jeune Alice s’ennuie un jour d’été ; elle décide de suivre un drôle de lapin dans son terrier, … le conte est une source inépuisable d’inspiration et d’enchantement. Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn, s’inspirent librement de la fabuleuse intrigue et la transposent dans un 20e siècle so British, fantaisiste et fantasque. Alice, interprétée principalement par la comédienne Sunnyi Melles, est une dame âgée qui se remémore le temps passé. Elle ne fait pas de chute dans un terrier, mais tombe à l’intérieur de son piano: nous voilà transportés dans des épisodes surréalistes et hautement stylisés de sa biographie.
Une proposition qui s’accorde parfaitement à la partition de Philip Glass, divisée en histoires ponctuelles et avec une omniprésence du piano (au détriment de l’orchestre souvent). Comme d’autres avant lui, Philip Glass fait de l’autocitation. Sa musique pianistique se prête si bien à la danse, avec ses motifs répétitifs, ses pulsations obsessionnelles, son ton toujours limpide coexistant avec une harmonie parfois troublante… Félicitons le pianiste Bruno Anguera Garcia pour sa ténacité, sa sensibilité, son intelligence dans le ballet où son instrument est extrêmement sollicité. L’Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par Karen Kamensek, collaboratrice fréquente et amie du compositeur, est excellent dans l’exécution des pages extraordinaires, bien que peu nombreuses, qui lui sont destinées. L’œuvre commence et se termine avec le piano, mais la pseudo-finale où tout le monde joue en même temps (y compris tous les danseurs, dans leur majorité en caleçons !), est un sommet d’expression musicale, au brio palpitant totalement envoûtant.

 

 

Un théâtre dansé hautement stylisé

Les solistes et le corps de ballet de l’Opéra national du Rhin sont étonnants, souvent dans une interdépendance saisissante avec la scénographie. De nombreux tableaux sont visuellement spectaculaires (conception vidéo et animations de David Haneke). La deuxième scène, représentant la chute d’Alice, en lumière noire soulignant des éléments phosphorescents, installe une ambiance d’étonnement et d’étrangeté qui dure tout au long du spectacle. Ce sont des danses variées où figurent des homards, des Harry Potter, des fleurs, des footballeurs… Les trois Alices interprétées par Brett Fukuda, Ana Enriquez et Christina Cecchini, étonnent en permanence avec leurs mouvements en canon et décalés. Cedric Rupp dans le rôle de Lewis Carroll est fabuleusement tranchant et tonique dans sa danse ; tout comme Audrey Becker, troublante et magnétique dans sa présence et ses mouvements, en pointes au début du spectacle, dans les rôles de la Dragqueen Alice (Alice barbue !) et du Chapelier fou. La Reine de Dongting Xing se distingue également par l’incarnation du personnage, avec sa danse de caractère et caractérielle ! Remarquons aussi Le Lapin Blanc de Rubén Julliard ou encore Le Chat de Jessy Lyon, … excellents !

Une production étonnante qui fait penser au futur du ballet contemporain et à la transdisciplinarité au sein du spectacle vivant. Recommandée à tous les amateurs de la musique de Philip Glass, du divertissement et de la danse ! A l’affiche à Strasbourg les 18, 19, 20, 22 et 23 février, disponible en ligne sur medici.tv le 20 mars, et ultérieurement en diffusion sur la chaîne Mezzo.

 

 

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CRITIQUE, ballet. STRASBOURG, le 18 fĂ©v 2022. GLASS : Alice – Amir Hosseinpour, Jonathan Lunn, chorĂ©graphie et dramaturgie. Ana Enriquez, Cedric Rupp, Ballet de l’OpĂ©ra. Orchestre symphonique de Mulhouse. Karen Kamensek, direction  -  Photos : © Agathe Poupeney.

 

 

CRITIQUE, opéra. Strasbourg. Opéra National du Rhin, le 2 déc 2021. BIZET : Carmen. Stéphanie D’Oustrac / Sivadier

CRITIQUE, opĂ©ra. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 2 dĂ©c 2021. BIZET : Carmen. StĂ©phanie D’Oustrac, Edgaras Montvidas, Amina Edris… Orchestre Symphonique de Mulhouse. Marta Gardolinska, direction. ChĹ“ur et maĂ®trise de l’OpĂ©ra National du Rhin. Alessandro Zuppardo, chef de chĹ“ur. Jean-François Sivadier, mise en scène.

Retour très attendu de l’opĂ©ra français par excellence, l’archicĂ©lèbre Carmen de Bizet, Ă  l’OpĂ©ra National du Rhin ! Une fin d’automne brĂ»lante de théâtre grâce aux talents concertĂ©s de l’équipe artistique du metteur en scène, Jean-François Sivadier, et de la fabuleuse distributio vocale, orbitant autour de StĂ©phanie D’Oustrac en Carmen. La direction musicale est assurĂ©e par la cheffe Marta Gardolinska, s’attaquant pour la première fois Ă  l’opus de Bizet, Ă  la baguette d’un Orchestre symphonique de Mulhouse plein de vivacitĂ©. Un Ă©vĂ©nement !

 

 

Carmen… la flamme qui sait perdurer

 

 

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Beaucoup d’encre a coulé pour cet opéra et cette production également, que nous sommes heureux de retrouver et redécouvrir dans un Strasbourg joliment illuminé à l’occasion du célèbre marché de noël. Créée en 2010 et parue en DVD en 2011, la production de Sivadier garde cet irrésistible attrait théâtral (jamais théâtreux) qui est sa signature. Tous ses moyens sont là au service de sa vision de l’œuvre. Avec une étonnante économie des moyens scéniques, il réussit à divertir, à émouvoir dans l’opéra le plus joué à l’opéra de Strasbourg, malgré une absence de 20 ans ! Si les composantes de la mise en scène sont pleines de mérites (costumes colorés de Virginie Gervaise, chorégraphies accessibles et efficaces de Johanne Saunier, lumières pragmatiques de Philippe Berthomé), la direction d’acteur est un bijou.

StĂ©phanie D’Oustrac, crĂ©atrice du rĂ´le il y a 11 ans, prima donna assoluta, est en pleine possession de ses talents. Sa Carmen est d’une tonicitĂ© pĂ©tillante, d’une insolence charnue. Elle incarne le personnage, tragique, avec un tel panache, un tel brio (une vivacitĂ© dans l’esprit et dans le corps) que nous en oublions presque, qu’Ă  la fin, elle meurt. Impeccable et implacable dans airs et dialogues, elle surprend mĂŞme par sa capacitĂ© Ă  jouer les castagnettes pendant qu’elle chante et qu’elle danse. Sa performance est si intense et remarquable qu’elle nous met dans l’incomprĂ©hension : comment Don JosĂ© a pu lui dire non Ă  un moment dans l’acte 2 ? Le Don JosĂ© du tĂ©nor Edgaras Montvidas rĂ©pond dignement Ă  son ardeur. Sa performance est habitĂ©e dans le jeu et irrĂ©prochable dans le chant. Celle d’Amina Edris (MicaĂ«la) est immanquablement touchante, mĂŞme si le personnage a une personnalitĂ©, un caractère, plus complexes que d’habitude dans cette production (et heureusement !). Son chant diaphane devient complètement dĂ©chirant lors de son air du 3e acte « Je dis que rien ne m’épouvante », un moment plein d’émotion dont le souvenir fait frissonner.

Régis Mengus (le toréro Escamillo) convainc plutôt par la force de sa musculature exposée et son jeu d’acteur. Les copines de Carmen, Fresquita et Mercédès (Judith Fa et Séraphine Cotrez) sont superlatives dans le célèbre trio des cartes du III et dans chacune de leurs interventions. Le baryton-basse Guilhem Worms est un Zuniga à la voix saine et large, et sa maîtrise de l’instrument ainsi que le jeu d’acteur rendent son personnage, plutôt grossier, presque séducteur. Anas Séguin en Moralès est excellent, tout comme Christophe Gay et Raphaël Brémard en Dencaïre et Remendado, délicieux. Le chœur et la maîtrise de l’Opéra du Rhin, énormément sollicités à l’occasion, sont rayonnants et leur dynamisme musical s’entend fort sous l’excellente direction du chef Alessandro Zuppardo. Marta Gardolinska, quant à elle, dirige un orchestre symphonique de Mulhouse en forme, dont nous retenons la performance sans défaut des cuivres et des bois, avec une attention aux détails et quelques interventions sur la partition que nous avons trouvées pertinentes.

 

A vivre et à consommer sans modération, à l’instar de Nietzsche au 19e siècle après la naissance de l’opus. A l’affiche à Strasbourg les 4, 6, 8, 10, 12 et 15 décembre 2021 ainsi que les 7 et 9 janvier 2022 à Mulhouse. Photo : © Klara Beck.

 

 

 

CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, le 21 novembre 2021. Virilité.e.s. Choeur et orchestre Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie.

Virilite-e-s-opera-montpellier-critique-danse-opera-classiquenewsCRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, le 21 novembre 2021. Virilité.e.s. Choeur et orchestre Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie. Spectacle pour chœur avec mise en scène à l’Opéra-Orchestre National de Montpellier, déconfiné. Alicia Geugelin produit devant le public, enfin, le spectacle de théâtre musical qu’elle a conçu pour les chœurs de l’Opéra. Intitulé « Virilité.e.s », le spectacle interpelle : quels sont le discours et le commentaire de l’équipe artistique vis-à-vis des questions et questionnements liés au genre, une préoccupation sérieuse de notre époque ? Nous sortirons sans réponse réelle…, avec le souvenir heureux, et salutaire, de l’excellente direction musicale du chef Victor Jacob, ainsi que de l’effort fourni par les chœurs très en forme sous la direction de Noëlle Gény.

« Pleins d’honneur et de courtoisie,
Gardant deux amours en nos cœurs,
Les Dames et la poésie » Sérénade d’hiver.

Le spectacle dure un peu plus d’une heure, sans entracte. 9 pièces de musique chorale s’enchaînent, toutes de la période romantique, à l’exception d’une rareté de Carl Orff, et toutes en langue allemande, sauf le chœur des soldats de Berlioz et la Sérénade d’Hiver de Saint-Saëns. Cette dernière ouvre la représentation… 15 minutes après le début supposé. En effet, le spectacle se situe dans une répétition fantasmée du chœur. Pendant cette longue introduction, les hommes du chœur arrivent sur scène, dans les tenues très chics de Pia Preub, et y déambulent émettant des sons avec leurs appareils phonatoires. Ils touchent parfois le piano sur la scène. A quoi assistons-nous alors ? A la cacophonie ersatz du chant ou à un théâtre de l’ameublement.

Le chœur, quand il a l’occasion de chanter l’art pompier de Saint-Saëns, y excelle ! Dynamiques, engaillardis, joyeux, les choristes aiment visiblement la scène. Si le charme, la pompe et la gaieté y sont, le texte que les chanteurs déclament est paroxystique dans sa banalité « genrée » largement désuète. Or, l’absence de commentaire artistique, volontaire (!), instaure une ambiance de perplexité dès le début de la représentation, obligeant à se concentrer sur la musique, seulement, autant qu’on peut.

Les deux pièces chorales de Schubert sont très belles. Surtout la Sérénade Leise flehen meine Lieder, avec orchestre et avec la participation du chœur des femmes également. Un moment de pur bonheur musical. Même joie manifeste dans le Jägerchor, (Der Freischütz de Weber), célébrant les joies de la vie de chasseur, avec pompe et brio, tant sur scène que dans la fosse, où les cuivres se distinguent. Le moment le plus théâtral, voir narratif, reste le chœur des soldats de la Damnation du Faust d’Hector Berlioz. Ici, les hommes s’adonnent à une sorte de compétition, en plusieurs langues, de tir de hache. Comme c’est viril !
Dans cette démarche, ils réussissent à casser le parquet sur scène, d’où sort de l’eau bienvenue, filet rafraîchissant après la performance. Entrent sur scène des femmes en smoking. Combien c’est subversif !
Le spectacle se termine avec l’imposant opus 89 de Brahms, Gesang der Parzen pour chœur mixte et orchestre, d’après Goethe. Ici se déploient pleinement les talents des choristes et des instrumentistes, avec une grande sophistication dans l’interprétation, voire une certaine ardeur dramatique dans l’exécution. Pendant ce finale, les chœurs mixtes sur scène face à l’auditoire enlèvent une ou deux pièces de leurs habits, et ils en mettent d’autres. Certains hommes mettent des talons aiguilles, un autre met une jupe, les femmes également, une écharpe par-ci, une chemise par-là, pendant que résonnent les cuivres et les vents, excellents !

CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, le 21 novembre 2021. Virilité.e.s. Choeur et orchestre Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie. Saint-Saëns, Schubert, Weber, Berlioz, Orff, Reger, Mendelssohn, Brahms… Choeur et orchestre Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie. Noëlle Gény, cheffe de chœur. Victor Jacob, direction musicale. Alicia Geugelin, conception et mise en scène. Photo : © Marc Ginot

CRITIQUE, opéra. Paris. Opéra-Comique, le 25 sept 2021. BEETHOVEN : Fidelio. Michael Spyres, Katherine Broderick, Mari Eriksmoen. Pichon / Teste

fidelio pichon teste Mari Eriksmoen Katherine Broderick critique opera classiquenewsCRITIQUE, opéra. Paris. Opéra-Comique, le 25 sept 2021. BEETHOVEN : Fidelio. Michael Spyres, Katherine Broderick, Mari Eriksmoen, Gabor Bretz, Siobhan Stagg… Choeur et Orch. Pygmalion. Raphaël Pichon, direction. Cyril Teste, mise en scène. 


Rentrée à l’Opéra Comique avec l’unique opus lyrique de Beethoven, Fidelio. Les talents concertés du chef Raphaël Pichon dirigeant son ensemble Pygmalion et du metteur en scène Cyril Teste et son équipe artistique réalise ici une lecture plus humaniste que romantique. La distribution de très haut niveau réunit notamment le ténor Michael Spyres (Florestan) et la soprano Katherine Broderick (dans le rôle-titre) in extremis, tandis que la soprano Siobhan Stagg, annoncée souffrante, assure néanmoins la création scénique. Une véritable merveille musicale en dépit de toute adversité !

Un Fidelio, plus humaniste que romantique

Fidelio est un Singspiel ou « opéra allemand » avec une histoire singulière. Créé à Vienne en 1805 dans l’indifférence, puis recréé en 1806 sans succès, il acquiert sa forme définitive à sa troisième création, après refontes et remaniements, en 1814. Opéra de sauvetage avec l’influence indéniable de l’Enlèvement au Sérail de Mozart, son livret définitif par Sonnleither et Treitschke est inspiré de la pièce de Jean-Nicolas Bouilly « Léonore ou l’Amour conjugal ». Le singspiel en deux actes raconte l’histoire de Léonore, qui, pour libérer son époux Florestan, prisonnier politique retenu par l’affreux gouverneur de la prison, Pizarro, se déguise alors en jeune homme « Fidelio » et se fait ainsi engager comme assistant du geôlier Rocco…

Si l’on peut aborder la partition selon différentes perspectives, les thèmes politiques et sociaux sont toujours d’une grande pertinence, d’une parfaite actualité. La production s’inspire ici de la question du courage de l’héroïne et l’effet de son passage travesti en prison, pour libérer son époux, évidemment, mais surtout « pour changer le monde ».

Cyril Teste s’appuie très fortement et intelligemment sur la vidéo -en direct ! – avec référence à certaines préoccupations du monde actuel. Pendant l’ouverture symphonique, par exemple, le mur des panneaux-écrans sur scène diffuse une scène de brutalité policière à l’encontre de Florestan, puis le travestissement de Léonore déterminée à sauver son mari coûte que coûte. La prison ressemble aux geôles américaines de haute sécurité, avec des lumières froides, une surabondance d’écrans de vidéosurveillance. Cependant la production est ouvertement d’aspiration atemporelle et a-géographique.
La présence des panneaux-écrans face au public, transmettant en direct la vidéo du cadreur-opérateur sur le plateau, avec des nombreux plans près des visages, qui nous regardent, crée un effet de mise en abyme intéressant. L’exploration de la question du regard va parfaitement dans le sens du parti-pris et permet parfois d’illustrer plus profondément certaines strates de signification de l’ouvrage. Par exemple, pendant l’air du geôlier au 1er acte, que nous appelons volontiers l’air de l’argent ou du salaire, où Rocco explique à Marcelline, sa fille, et à « Fidelio », qu’on ne peut pas vivre d’amour, mais qu’il faut un salaire pour être heureux, nous l’observons en train de s’adonner à la corruption ; il vole puis partage les objets et les deniers confisqués aux prisonniers, en direct, discrètement.

Si l’opus peut parfois donner l’impression qu’il manque un peu de cohérence dramatique, il est riche de passages sublimes et de géniales intuitions musicales que les solistes, choristes et instrumentistes interprètent brillamment, dignement, avec une ardeur et une vigueur à la hauteur de la partition !
L’ensemble Pygmalion se montre tout brio dès les premières mesures de la célèbre ouverture, et la direction énergique de Pichon fait rayonner l’orchestre merveilleusement. Toute la science et tout l’art symphonique de Beethoven se dévoilent dans leur performance, avec des cordes fières, des bois sublimes, des cuivres héroïques, en une complicité musicale ravissante ! Une prestation simplement formidable, de surcroît surprenante s’agissant de la première fois que l’ensemble interprète l’œuvre ! Le chœur est moyennement sollicité dans cet opus, mais ses passages sont des pages les plus belles, le finale de l’acte 1 : le très célèbre chœur des prisonniers « O welche Lust ! » devient hymne musical presque spirituel.
Presque spirituelle aussi est l’entrée en musique du ténor Michael Spyres en Florestan au 2e acte. Non parce qu’il fait son entrée avec une musique des plus intenses, ni parce que le premier mot qu’il prononce est le mot dieu… Mais précisément en raison de tout ce qu’il met dans le chant, avec une émission sans défaut, un sublime legato, le timbre beau et un jeu d’acteur bouleversant de ferveur. L’entreprise menée par Léonore prend alors tout son sens : qui ne risquerait pas tout pour retrouver cet homme ? A la fin de cet air « Gott! Welch dunkel hier! » s’entendent les premiers bravos et applaudissements effrénés de la soirée, par un auditoire entièrement captivé.
La soprano Katherine Broderick, chantant le rôle-titre depuis la fosse, est tout aussi captivante. Appelée in extremis pour remplacer Siobhan Stagg souffrante, ce n’est pas juste la Léonore qui sauve Florestan, mais l’artiste qui sauve la représentation nous offrant au passage, avec une grande générosité et grandeur d’âme, toutes les qualités de son talent artistique. Son grand air avec récitatif accompagné « Abscheulicher! Wo eilst du hin? », morceau le plus redoutable de bravoure et d’héroïsme atteint le sublime en un chant dramatique imprégné d’ardeur et de dignité, inoubliable.

Tous les solistes semblent habités du même désir d’honorer l’œuvre, d’honorer l’art, de s’honorer eux-mêmes ainsi que l’auditoire, par le déploiement évident de tous leurs talents. La complicité des instrumentistes se trouve également sur le plateau chez ses formidables chanteurs-acteurs. La Marcelline de la soprano Mari Eriksmoen, faisant ses débuts à l’Opéra Comique est une véritable découverte ! Son air du 1er acte, « O wär ich schon mit dir verein » est rayonnant et charmant ; sa voix ronde et saine, au timbre lumineux, ravit très tôt les cœurs. Le Rocco du baryton Albert Dohmen a quelque chose de touchant, tout en campant une caractérisation pompière et bon enfant, ajoutant un je ne sais quoi de gai et de drôle dans ses passages et dans les ensembles. Le Pizarro de la basse Gabor Bretz est excellent ! Le personnage est méchamment intense et maléfique s’exprimant en graves saisissants, pour preuve le rythme tout à fait endiablé de son air « Ah! Welch ein Augenblick ». Remarquons également les prestations courtes mais mémorables du ténor Linard Vrieland au très beau timbre dans le rôle de Jaquino, et du baryton-basse Christian Immler d’une grande classe en Don Fernando. Enfin la soprano Siobhan Stagg, souffrante, a su assurer le rôle au niveau scénique malgré son état.
Une œuvre incroyable avec des musiciens de très haut niveau triomphant sur l’adversité, à l’instar de la vie du compositeur, plus humaniste que romantique au final. Une production pleine de mérite à vivre sans modération ! En direct sur arteconcert.com le vendredi 1e octobre à 20h, puis le samedi 23 octobre sur France Musique à 20h. A l’affiche à l’Opéra Comique les 25, 27 et 29 septembre ainsi que les 1er et 3 octobre 2021.

VOIR en REPLAY sur ARTEconcert, jusqu’au 30 septembre 2022 :
https://www.arte.tv/fr/videos/103924-000-A/fidelio-de-beethoven-a-l-opera-comique/

CRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, le 15 septembre 2021. HANS ABRAHAMSEN : La Reine des neiges. Robert Houssart / James Bonas.

reinedesneigesCRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, le 15 septembre 2021. HANS ABRAHAMSEN : La Reine des neiges. Robert Houssart / James Bonas. Ouverture de la saison lyrique 2021-2022 à l’Opéra National du Rhin avec la création française de l’opéra « La Reine des neiges » du compositeur danois Hans Abrahamsen. Un bijou lyrique étincelant de beauté, heureux mélange de profondeur sentimentale et de sophistication artistique… Une création-contemporaine multitudinaire qui mérite d’être découverte et expérimentée. Le chef Robert Houssart dirige magistralement un Orchestre philharmonique de Strasbourg épatant et le duo de l’illustrateur Grégoire Pont et du metteur en scène James Bonas propose une production intelligente et économe, surtout poétique qui englobe sans défaut tous les éléments de l’opus. Inoubliable !

REINE DES NEIGES
L’opéra contemporain, mélange de science et de beauté

Le livret du compositeur et du dramaturge Henrik Engelbrecht s’inspire du conte éponyme d’Andersen. Pour ce premier opéra, ils ont créé une narration qui raconte les aventures de deux jeunes gens, Gerda et son meilleur ami Kay. La première part à la recherche du dernier, enlevé par la Reine des neiges après avoir été blessé par les éclats d’un miroir maléfique qui ont assombri sa vue, refroidi son cœur. Après moult rencontres et périples, Gerda arrive au palais de glace de la Reine, au-delà du cercle polaire, et fait fondre de ses larmes le cœur glacé de Kay, vaporisant ainsi les éclats du miroir. Ils regagnent la ville et constatent le temps passé, mais gardent un cœur d’enfant pour l’éternité.

Créé en 2019 en danois à l’Opéra Royal du Danemark, puis dans une version en langue anglaise d’Amanda Holden à Munich, la Reine des Neiges de cette rentrée lyrique strasbourgeoise est en anglais mais avec une nouvelle, et troisième, mise en scène. Le spectacle conçu par Grégoire Pont et James Bonas s’accorde merveilleusement à la poésie d’Abrahamsen, tout en s’adaptant aux contraintes particulières de la réalisation, dont l’orchestre sur scène et non dans la fosse, en raison du grand nombre d’instrumentistes requis par la partition. Pour se faire, ils ont utilisé des techniques pointues d’animation vidéo. Ainsi, le dispositif scénique consiste en un rideau transparent de chaînes spéciales sur lequel sont projetés des images, ce qui permet d’illustrer des tableaux et de créer une sensation supplémentaire de profondeur, puisque ce rideau est pénétrable et son utilisation est le moins cosmétique possible, c’est à dire, il est intégré à l’action au maximum. L’effet est très souvent étonnant, et bien que spectaculaire, il y est surtout question de sensation, en relation directe et harmonieuse avec celles transmises par la musique et les émotions exprimées par le livret. Les créations vidéo de Grégoire Pont presque toutes autour de la neige, sont d’une beauté remarquable, rehaussée par les costumes fabuleux de Thibault Vancraenbroeck et les lumières de Christophe Chaupin.

Kaléidoscope musical mais pas que…

La musique, elle, impressionne comme les flocons de neige peuvent impressionner. Comme le temps qu’elle prétend représenter, elle a la qualité de l’impermanence, malgré les moments répétitifs qui ont une fonction narrative cependant. L’écriture est d’une grande complexité malgré son apparente simplicité. Le mot-clé est l’efficacité. Bien évidemment l’orchestre interprète mille et une variations sur le thème du bruit de la neige qui tombe dans la partition, et pour le plus grand bonheur des auditeurs, mais l’écriture est excellente bien au-delà de cet aspect, très intéressant et réussi pourtant, de la mise en musique de la neige et de l’hiver. Quand au premier acte « les roses poussent dans la vallée », se déploie l’une des musiques les plus oniriques et sublimes de l’opéra, voire de l’opéra contemporain tout court. Dans la scène suivante, la Reine des Neiges fait son entrée sur une musique vitreuse, extrêmement anxiogène, anxieuse. Tout l’opéra est fait de dualités, de contrastes, des dynamiques cachées intéressantes aux effets saisissants, parfois surprenants. Une musique flocon de neige ; le bel objet cachent des symétries, des chiffres, des mystères. Les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg sont à la hauteur de la mission, le chef Robert Houssart implacable dans l’attaque, tout l’ensemble impeccable dans l’exécution.

Les chanteurs, dont l’immense majorité fait ses débuts -heureux- à l’Opéra National du Rhin, sont excellents ! Le duo protagoniste de Gerda et Kay est parfaitement joué par la soprano Lauren Snouffer et la mezzo-soprano Rachael Wilson respectivement. La soprano Lauren Snouffer campe une prestation à la fois touchante et pleine de brio, avec des changements rythmiques et de registres importants qu’elle réussit dignement. Rachael Wilson dans le rôle de Kay est bouleversante par son jeu intense, elle paraît entièrement habitée par les sentiments du personnage, tout en restant mystérieuse, froide comme il le faut. Superbe caractérisation.

C’est le cas également de la contralto Helena Rasker, qui a impressionné l’auditoire dès le début de la représentation en Grand-mère par la force expressive de son chant, une qualité qu’elle garde lors de ses passages en Vieille Dame et en Finnoise. La basse David Leigh est un cas particulier, comme Rasker, il interprète plusieurs rôles secondaires, de la même façon chacun de ses passages fait de l’effet. A la voix saine, au large gosier, il est troublant en Reine des Neiges, avec ses graves frémissantes et sa musculature d’acier. Ses graves paraissent encore plus graves et englobantes en Renne, et il montre encore du dynamisme vocal en Horloge. Excellente prestation générale des rôles secondaires, remarquons la jeune soprano membre de l’Opéra Studio, Floriane Derthe en Princesse. Remarquable est aussi la performance du chœur de l’opéra, sous la direction d’Alessandro Zuppardo. Les chœurs dans l’œuvre font penser à la musique chorale de Ligeti et sont d’un grand dynamisme, notamment les fleurs du 2e acte, dans leur sublime chanson des fleurs, charmante à souhait.

L’Ouverture de saison à l’Opéra National du Rhin éblouit ainsi avec la création française d’un opéra contemporain de la plus grande qualité, avec des équipes idéalement accordées, au service de l’art et de la beauté ! A l’affiche à Strasbourg les 15, 17, 19 et 21 septembre, ainsi qu’à Mulhouse les 1er et 3 octobre 2021.

CRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, le 15 septembre 2021. HANS ABRAHAMSEN : La Reine des neiges. Lauren Snouffer, Rachael Wilson, Helena Rasker, David Leigh… Orchestre Philharmonique de Strasbourg, chœur de l’opéra. Robert Houssart, direction. Alessandro Zuppardo, chef de choeur. James Bonas, mise en scène. Grégoire Pont, vidéo et animations.

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 14 septembre 2021. GLUCK: Iphigénie en Tauride. Tara Erraught, Jarrett Ott, Jean-François Lapointe… Thomas Hengelbrock / Krzysztof Warlikowski

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 14 septembre 2021. GLUCK: Iphigénie en Tauride. Tara Erraught, Jarrett Ott, Jean-François Lapointe… Orchestre et chœur de l’Opéra de Paris. Thomas Hengelbrock, direction. Alessandro Di Stefano, chef de choeur. Krzysztof Warlikowski, mise en scène.

Rentrée lyrique à l’Opéra National de Paris avec l’iconique production d’Iphigénie en Tauride de Gluck, signée Warlikowski. Le retour sur scène de la toute première mise en scène de l’ancien « enfant terrible » de l’opéra réunit une distribution époustouflante, avec les débuts à Paris de la mezzo-soprano Tara Erraught et du baryton Jarrett Ott. Thomas Hengelbrock est en grande forme à la direction de l’orchestre, offrant une prestation irréprochable, à la hauteur de la partition, sommet lyrique du compositeur.

L’opéra de la rupture

gluck willibald christoph orfeoAccueilli avec beaucoup d’enthousiasme à sa création à Paris en 1779, cet avant-dernier opéra de Gluck illustre brillamment (mais non sans coutures apparentes pourtant), l’idéal esthétique du maître énoncé dans la célèbre préface de son opéra Alceste (1769) ; une approche de la musique et du beau dont les règles sont la simplicité, la sincérité, le naturel. Le livret de la « tragédie lyrique », signé Guillard, d’après Guymond de la Touche, d’après Euripide, raconte la fin des Atrides (les descendants d’Atrée, le père légendaire d’Agamemnon et de Ménélas), par le biais d’Iphigénie, sauvée in extremis par la déesse Diane au moment de son sacrifice par son père, Agamemnon. Elle devient alors prêtresse en Tauride, dont le Roi est Thoas, à son tour tourmenté par la mort suite à une prédiction de l’oracle. Iphigénie ignore l’identité de son frère Oreste, avec son ami Pylade, récemment capturés en Tauride, mais est chargée de choisir l’un des deux en sacrifice comme l’ordonne Thoas. En les interrogeant, elle apprend la mort de son père par sa mère Clytemnestre, et la mort de cette dernière par Oreste, pour venger le père. Au moment du sacrifice, Iphigénie reconnaît enfin son frère, mais refuse de le tuer. Thoas furieux ordonne alors le sacrifice et d’Iphigénie et d’Oreste, mais Pylade, qui avait pris la fuite avec une lettre d’Iphigénie à Electre, revient avec une troupe de Grecs et tue le roi Thoas. Diane réapparaît pour éviter le massacre entre les Grecs et les Scythes et tout va bien alors dans le meilleur des mondes…

Il s’agît bien là d’une sorte de thriller psychologique néoclassique, haletant, bouleversant même, et d’une profondeur qui se révèle dans l’excellent travail d’acteur des interprètes. Si en 2006, année de la création de la production, la transposition de l’action dans un centre gériatrique a fait un effet choc, nous sommes de l’avis que l’œuvre est toujours d’une grande pertinence et actualité. Philosophiquement parce que nous assistons, malgré incohérences et contradictions, à une critique des dieux, et par conséquent des religions qui leur accordent primauté sur l’humain, mais aussi parce que l’opus offre une conclusion de rupture (contre les ancêtres, et la reproduction inéluctable de leurs crimes à perpétuité). Iphigénie pouvait aller jusqu’au bout de la destinée de sa lignée, mais elle en a décidé autrement. Sauf que pour Warlikowski, elle cède quand même à l’inceste à la fin.

Ni chic ni choc

Le parti pris de la production, où la protagoniste est hantée par le passé, pendant son séjour au centre gériatrique, bien que toujours intéressant et d’actualité, ne choque plus. En ce qui concerne cette toute première mise en scène d’opéra, 15 ans après, les moyens warlikowskiens ont perdu de leur attrait. Seul le travail d’acteur sauve la production scénique. L’excellente caractérisation des artistes sur scène révèle une fine direction théâtrale. L’Iphigénie de Tara Erraught est dans ce sens émouvante et intense à souhait, habitée par le personnage, tout en gardant une ligne mélodique immaculée, un timbre rayonnant, son air du troisième acte reste difficile à oublier. L’Oreste de Jarrett Ott est tout aussi incarné, même s’il joue un rôle de beau-gosse médusé ; sa voix est délicieusement veloutée. Le magnifique Jean-François Lapointe est méconnaissable en Thoas, tout tatoué, en fauteuil roulant. S’il exécute dignement les instructions particulières du directeur, il frappe comme d’habitude par sa maîtrise incontestable du français, et même en roi moche et méchant, nous sommes conquis par son instrument, par la vigueur et la beauté du chant.

Le Pylade du tĂ©nor Julien Behr se distingue Ă©galement par la beautĂ©, une beautĂ© tendre et touchante, brillante aussi, qu’il dĂ©voile dans son chant, plein d’Ă©motions. Son air du 2e acte « Unis dès la plus tendre enfance » inspire les tout premiers applaudissements de la soirĂ©e. Remarquons Ă©galement la soprano Marianne Croux en Diane et prĂŞtresse de Diane, ou encore la mezzo-soprano Jeanne Ireland, toutes les deux pleines de brio ! L’Orchestre de l’OpĂ©ra l’est Ă©galement. Sous la direction de Thomas Hengelbrock , il convainc dans la lĂ©gèretĂ© ou dans la gravitĂ©, dans le naturel comme dans l’affect. L’orchestre, l’autre protagoniste de l’Ĺ“uvre, montre dignement la richesse instrumentale de la partition. Une partition dont les chĹ“urs font partie de l’attrait, parfois par leur particularitĂ©, comme le chĹ“ur « à la turque » Ă  la fin du 1er acte, fabuleusement interprĂ©tĂ© par le chĹ“ur de l’opĂ©ra sous la direction d’Alessandro Di Stefano.

La production, qui commence avec une dĂ©dicace projetĂ©e « DĂ©diĂ© Ă  la Reine Marie-Antoinette », se termine, comme d’habitude, avec quelques huĂ©es bien sages d’une poignĂ©e de personnes au moment des saluts de l’équipe scĂ©nique. Si au niveau musical, les coutures et contradictions se cachent finement dans la partition, peut-ĂŞtre sommes nous aujourd’hui Ă  une Ă©poque oĂą les incohĂ©rences de la mise en scène, sans l’attrait frivole de la nouveautĂ©, heurtent les yeux; ni chic ni choc, elles font naĂ®tre l’indiffĂ©rence et l’agacement…. MalgrĂ© ceci, la qualitĂ© des performances et la beautĂ© de la partition cautionnent le dĂ©placement ! A expĂ©rimenter tant qu’on peut, Ă  l’affiche de l’OpĂ©ra Garnier encore les 26, 27 et 29 septembre, le 2 octobre 2021.

CRITIQUE, opéra. Lille, Auditorium du Nouveau Siècle, le 10 juillet 2021. OFFENBACH : La Belle Hélène. Gaëlle Arquez, Cyrille Dubois, Marc Barrard…. Chœur de chambre Septentrion. Anass Ismat, chef de chœur. Orchestre National de Lille. Alexandre Bloch, direction. Adaptation et mise en scène, Lionel Rougerie.

CRITIQUE, opéra. Lille, Auditorium du Nouveau Siècle, le 10 juillet 2021. OFFENBACH : La Belle Hélène. Gaëlle Arquez, Cyrille Dubois, Marc Barrard…. Chœur de chambre Septentrion. Anass Ismat, chef de chœur. Orchestre National de Lille. Alexandre Bloch, direction. Adaptation et mise en scène, Lionel Rougerie.

Clôture en beauté de la 3e édition des Nuits d’Été de l’Orchestre National de Lille avec l’opéra bouffe français pas excellence, La Belle Hélène d’Offenbach, ici adapté et mis en scène pour l’Auditorium du Nouveau Siècle par Lionel Rougerie. Alexandre Bloch dirige un orchestre en pleine forme et une distribution de chanteurs époustouflante, avec la magnifique Gaëlle Arquez dans le rôle-titre. A la fois parodie de l’actualité (à mourir de rire) et performance de bravoure aux plus hauts sommets lyriques !

 

 

Épatante cure lyrique en temps de Covid

 

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Offenbach, victime d’antisémitisme et de censure à son époque, était le maître incontestable de la parodie. Il se parodiait lui même autant que d’autres compositeurs, et avait un goût prononcé pour la satire et le commentaire social humoristique de son actualité. Si le déploiement acharné et nonchalant de ses talents lui ont valu le mépris d’un Berlioz ou d’un Wagner, nous nous réjouissons toujours de la qualité comme du charme indescriptible de son œuvre. La Belle Hélène, créé en 1864, se moquait des mœurs bourgeoises et religieuses de la France sous Napoléon III. Il est donc parfaitement convenable que Lionel Rougerie propose une superbe adaptation du livret se moquant des mœurs sociales, identitaires et… sanitaires, de notre monde changeant en période d’épidémie mondiale.

L’histoire d’origine est toujours la même: les Rois de la Grèce antique découvrent l’adultère d’Hélène de Troie, Reine de Sparte, avec Pâris, fils de Priam, Roi de Troie, qui l’enlève à Cythère. La déesse de l’amour se voit attribuer un rôle parlé dans cette production qui sert de fil conducteur. Vénus, interprétée par la comédienne Léna Dangréaux, est aux commandes. Sa contrepartie mortelle et lyrique, Hélène, est magistralement interprétée par Gaëlle Arquez, en un tour de force, éblouissant et remarquable. Le chant, la prestance, l’attitude de tragédienne comique (elle aussi à mourir de rire) et la complicité avec l’ensemble décoiffent ! Cyrille Dubois dans le rôle de Pâris est à la hauteur de la barre très haute d’Hélène, avec un chant plein de charme, la beauté du timbre et une caractérisation drôle à souhait !

 

 

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Les nombreux personnages secondaires sont tous à fond sur la scène du Nouveau Siècle et semblent être tout aussi épris de l’histoire que l’audience est conquise ! Se distinguent le Ménélas très sot d’Eric Huchet, l’Agamemnon fanfaron de Marc Barrard, l’Achille pompier de Raphaël Brémard et le superlatif Calchas de Philippe Ermelier. La prestation des musiciens s’accorde au fol entrain de la partition, qui n’est pourtant pas dépourvue de moments de tendresse et poésie. L’Orchestre National Lyrique relève les défis de la partition lyrique ; il est impeccable dans l’exécution sous la direction du chef Alexandre Bloch… lequel n’hésite pas à rejoindre de temps en temps la comédie qui flambe sur scène. Les chœurs très sollicités sont tout aussi réactifs, plein de vivacité et d’esprit. Un événement lyrique réussi qui est une expérience merveilleusement bienfaisante en temps de COVID. Un excellent vaccin contre l’ennui. Photos : Ugo Ponte / ON LILLE 2021.

 

 

CRITIQUE, opéra. Lille, Auditorium du Nouveau Siècle, le 10 juillet 2021. OFFENBACH : La Belle Hélène. Gaëlle Arquez, Cyrille Dubois, Marc Barrard…. Chœur de chambre Septentrion. Anass Ismat, chef de chœur. Orchestre National de Lille. Alexandre Bloch, direction. Adaptation et mise en scène, Lionel Rougerie.

COMPTE-RENDU critique, ballet. PARIS, OpĂ©ra Garnier, le 9 oct 2020 : Étoiles d’opĂ©ra

etoiles-de-l-opera-hugo-marchand-pagliero-critique-danse-classiquenewsCOMPTE-RENDU critique, ballet. PARIS, Opéra Garnier, le 9 oct 2020. Fokine, Forsythe, Graham, Van Manen, Marriott, Neumeier, Robbins, chorégraphes. Mathieu Ganio, Ludmila Pagliero, Hugo Marchand, Laura Hecquet, Emilie Cozette, Étoiles. Elena Bonnay, Ryoko Hisayama, piano. Le programme néoclassique au sens large du terme avec solos et duos, met en valeur des Étoiles (et trois Premiers Danseurs) ; couplé à un second programme signé Noureev, il sert d’ouverture à la saison danse 2020 2021. La soirée éclectique comble le public friand de danse, et quelque peu téméraire, curieux d’œuvres plus ou moins iconiques ou caractéristiques du 20e siècle jusqu’au nôtre, de Fokine jusqu’à l’entrée au répertoire signée Marriott, comptant aussi Martha Graham, Hans van Manen, Forsythe, Neumeier… C’est un cadeau purement affectif aux danseurs qu’il est agréable de revoir danser ; ainsi qu’à l’auditoire visiblement emballé par les performances malgré l’ambiance étrange, pandémie oblige.

Rentrée Etoilée en temps de crise
Pas de deux et solos des XX / XXIè

L’Étoile Mathieu Ganio, prince romantique par excellence, ouvre la soirée avec l’entrée au répertoire du solo « Clair de Lune » du britannique Alastair Marriott, musique éponyme de Debussy. L’’intensité émotionnelle de l’interprétation, la beauté sublime des mouvements bouleversent. Ses lignes si belles, sa musicalité enchanteresse font presque oublier sa condition physique étonnamment élyséenne… Sa prestation d’Antinoüs nous transcende et nous transforme en Hadrien, épris d’amour divin. Une heureuse et poétique entrée au répertoire mémorable.

Après un précipité viennent les Trois Gnossiennes de Hans van Manen, bijoux d’abstraction néoclassique, de sensualité subtile et de musicalité ! Le couple d’Étoiles Ludmila Pagliero et Hugo Marchand forme un partenariat réussi (notre photo ci dessus) ; lui, assurant sans faille les portés compliqués ; elle avec une aisance frappante, faisant de la gravité comme si de rien n’était. L’aisance de Ludmila Pagliero dans ce langage chorégraphique est évidente, sa prestation dès le début interpelle par l’excellence, l’attitude délicieuse, l’extension insolente.

Un moment très attendu de la soirée, car l’œuvre est aussi puisante que rare : l’interprétation du solo « Lamentation » de Martha Graham, dont certains ont peut-être le souvenir, au moins photographique, de la chorégraphe torturée dans le tube de tissu qu’est le costume : cette « tragédie qu’obsède le corps ». La performance de l’Étoile Emilie Cozette fusionne austérité pesante et dignité solaire. C’est beau, mais la caractérisation révèle quelques faiblesses. Après cette respiration tortueuse sous la musique de Kodaly, voici le pas de deux, entre désinvolture et énergie : Herman Schmerman de William Forsythe (musique originelle de Thom Willems), par les Premiers Danseurs Vincent Chaillet et Hannah O’Neill. Le danseur est tout simplement idéal pour Forsythe. Elle est incroyable, percutante à souhait et lui un partenaire de qualité, virevoltant et décalé autant que précis et tranchant dans ses mouvements rapides.

L’œuvre la plus ancienne et iconique du programme, la Mort du Cygne de Michel Fokine (créé par Anna Pavlov en 1907) affirme la Première Danseuse Sae Eun Park, interprète marquante par ses capacités dramatiques et la beauté de ses lignes. Elle est bouleversante par son intériorité languissante, par une sorte de sérénité, tout exultante et balsamique. Les bravos disent alors l’enthousiasme du public.

A Suite of dances de Jerome Robbins, crée en 1994 par Mikhail Baryshnikov, est dansé par l’Etoile Hugo Marchand (musiques de Bach par la violoncelliste Ophélie Gaillard sur scène). L’Étoile masculine s’approprie une chorégraphie pleine d’humour, inéluctablement automnale. Débuts désinvoltes, ma non troppo, puis conclusions gaillardes, ma non tantol ; les entrechats sont impeccables ; puis jaillit le point central du ballet où il est le plus grave et déconcertant. La fin avec ses enjambements pleins de candeur et de naturel.
évoque les pas de danse libre d’Isadora Duncan,

En guise de fin, le pas de deux champêtre du ballet de Neumeier, La Dame aux Camélias (musiques de Chopin par Ryoko Hisayama au piano). L’Etoile Laura Hocquet y est époustouflante ! Ravissante et rayonnante de bonheur et d’allégresse amoureuse, la danseuse s’impose aux côtés de l’Étoile Mathieu Ganio (superbes portés tout particulièrement difficiles).

Une soirée onirique, généreusement étoilée, qui aspire à la profondeur et à l’élévation, mais surtout un cadeau au public et aux danseurs, où la beauté est le maître-mot. Spectacle « Etoiles de l’Opéra » / A l’affiche de l’Opéra Garnier les 13, 14, 19, 20, 23, 27 et 29 octobre 2020.
https://www.operadeparis.fr/saison-20-21/ballet/etoiles-de-lopera

COMPTE-RENDU, concert sacré. Paris, le 29 janv 2020. MOZART : Requiem. Barath, Wilder. Orfeo Orch, Purcell Choir. Gyorgy Vashegyi

 György Vashegyi : le Baroque Français au sommetCOMPTE-RENDU, concert sacré. Paris, TCE, le 29 janv 2020. MOZART : Requiem. Emoke Barath, Anthea Pichanick, Zachary Wilder, Istvan Kovacs. Orfeo Orchestra, Purcell Choir. Gyorgy Vashegyi, direction. Programme latin et sacré au Théâtre des Champs Elysées avec cette production des Grandes Voix autour du chef d’œuvre liturgique de Mozart, son dernier opus, le Requiem en ré mineur. L’orchestre hongrois Orfeo Orchestra avec le Purcell Choir sont par leur fondateur, figure importante du renouveau de la musique baroque en Hongrie, Gyorgy Vashegyi. Le maestro a été distingué à plusieurs reprises sur classiquenews pour ses excellentes lectures des opéras baroques français de Rameau (  Naïs, 2017  /  les Indes Galantes, 2018) à Mondonville (Grands Motets, 2015). La distribution des solistes est rayonnante de talent, composée de la soprano Emoke Barath, la contralto Anthea Pichanick, le ténor Zachary Wilder et le baryton Istvan Kovacs.

Le Requiem de Mozart par Gyorgy Vashegyi

Une ferveur paisible…

La première partie de la soirée révèle trois œuvres méconnues dont les interprétations ont été tout à fait à la hauteur de l’heureuse découverte. D’abord le motet de Mozart, Sancta Maria, mater Dei K.273, d’une gaîté à la fois simple et profonde. Le Domine, secundum actum meum (1799) du viennois Albrechtsberger (contemporain de Haydn, maître de Beethoven), est si rare qu’il n’existe pas encore d’enregistrement de l’œuvre. Répons de la Semaine Sainte, l’opus sollicite beaucoup les cuivres et les bois, pour notre plus grand bonheur. Les cordes sont pleines de caractère et le chœur a des passages tout à fait ravissants ! La première partie culmine avec le Requiem en do mineur de Gregor Joseph Werner (1763), connu surtout en tant que prédécesseur de Haydn comme maître de chapelle de la famille Esterhazy. L’œuvre est riche et très souvent exubérante, avec un Kyrie pompeux, et un dialogue fulgurant, pyrotechnique même, entre les cuivres et la soprano. Les parties vocales solo et la performances des vents sont tout particulièrement délectables.

MOZART-wolfgang-portrait-concerto-symphonie-jupiter-don-giovanni-mozart-critique-opera-sur-classiquenewsAprès un tel début de soirée les attentes sont grandes pour la suite. Avant l’oeuvre phare l’ensemble interprète l’avant-dernière œuvre religieuse de Mozart, le très célèbre Ave verum k.618 pour choeur et cordes. Synthèse sublime de l’art mozartien, avec sa polyphonie discrète et le traitement exquis des voix, c’est beau, tout simplement.
Le monument-testament inachevé de Mozart, le Requiem en ré mineur (dans sa version traditionnelle terminée par Süssmayr) commence avec un peu de tumulte au niveau des vents, un fait dissonant par rapport aux performances précédentes, peut-être dû à la facture baroque des instruments. Si nous sommes loin de la ferveur habituelle pendant le Kyrie, les cordes sont tout à fait assaillantes lors du Dies Irae, étrangement plus puissantes que les voix masculines du chœur, qui déçoivent. Lors du Tuba Mirum s’enchaînent de magnifiques solos vocaux, saisissants, qui compensent la soudaine timidité des chœurs. Au Rex Tremendae nous avons enfin l’impression que toutes les parties inégales s’harmonisent enfin dans la prestation chorale. Les cordes et les solistes surtout nous enivrent lors du Recordare, impressionnant. Puis le Confutatis est dramatique mais pas trop, et le sublime Lacrymosa poignant, ma non tanto. La dynamique s’améliore par la suite et nous retenons surtout les performances des solistes, irréprochable ; véritables protagonistes, ils sont les piliers salvateurs de la prestation. L’orchestre se rattrape dans le Benedictus malgré tout et les artistes ont l’amabilité d’offrir l’Ave Verum en bis.

Une soirée riche en découvertes du répertoire latin du 18e siècle ; elle nous permet de comprendre la difficulté et l’exigence requises dans l’interprétation du chef d’œuvre liturgique de Mozart, qui donne le titre à l’événement et dont les bijoux sont, comme d’habitude, les voix.

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COMPTE-RENDU, concert sacré. Paris, TCE, le 29 janv 2020. MOZART : Requiem. Emoke Barath, Anthea Pichanick, Zachary Wilder, Istvan Kovacs. Orfeo Orchestra, Purcell Choir. Gyorgy Vashegyi, direction.

COMPTE-RENDU, opéra. PARIS, Opéra Bastille, 14 sept 2019. PUCCINI : Madame Butterfly. Ana Maria Martinez, Marie-Nicole Lemieux, Giorgio Berrugi… Orchestre de l’opéra. Giacomo Sagripanti, direction. Robert Wilson, mise en scène.

puccini-giacomo-portrait-operas-classiquenews-dossier-special-HOMEPAGE-classiquenewsCOMPTE-RENDU, opéra. PARIS, Opéra Bastille, 14 sept 2019. PUCCINI : Madame Butterfly. Ana Maria Martinez, Marie-Nicole Lemieux, Giorgio Berrugi… Orchestre de l’opéra. Giacomo Sagripanti, direction. Robert Wilson, mise en scène. Retour de la mise en scène mythique de Madame Butterfly (1993) de Robert Wilson à l’Opéra National de Paris ! La direction musicale de l’archicélèbre opus de Puccini est assuré par le chef Giacomo Sagripanti. Une reprise qui n’est pas sans défaut dans l’exécution mais toujours bienvenue et heureuse grâce à la qualité remarquable de la production.

Madame Butterfly est l’opéra préféré de Puccini, « le plus sincère et le plus évocateur que j’ai jamais conçu », disait-il. Il marque un retour au drame psychologique intimiste, à l’observation des sentiments, à la poésie du quotidien. Puccini pris par son sujet et son héroïne, s’est plongé dans l’étude de la musique, de la culture et des rites japonais, allant jusqu’à la rencontre de l’actrice Sada Jacco qui lui a permis de se familiariser avec le timbre des femmes japonaises ! Si l’histoire d’après le roman de Pierre Lotti « Madame Chrysanthème » fait désormais partie de la culture générale et populaire, de propositions scéniques comme celle de Robert Wilson ont la qualité d’immortaliser davantage et l’oeuvre, et l’expérience esthétique et artistique que sa contemplation représente.

 

Madame Butterfly de Wilson,
minimalisme tu me tiens !

L’opus, un sommet lyrique en ce qui concerne l’expression et le mélodrame, très flatteur pour les gosiers de ses interprètes sur scène, pose souvent de problème dans la mise en scène. L’histoire de la geisha répudiée après mariage et idylle avec un jeune lieutenant de l’armée américaine est d’un côté très contraignante au niveau dramaturgique, et très excessive au niveau du pathos et de l’affect.
Une œuvre aussi exubérante dans le chant et aussi tragique dans sa trame, se voit magistralement mise en honneur par une mise en scène minimaliste et immobile comme celle que nous avons le bonheur de redécouvrir en cette fin d’été. Ici, Bob Wilson, avec ses costumes et ses incroyables lumières (collaboration avec Heinrich Brunke pour les dernières), se montre maître de l’art dans le sens où l’utilisation de l’artifice, épuré, est au service de l’histoire. Rien n’y est ajouté, rien n’y est jamais explicité… De la froideur gestuelle apparente des personnages sort une intensité maîtrisée, qui captive et qui hante bien au-delà des deux heures de représentation.

Un travail si particulier doit être un défi supplémentaire pour les chanteurs, qui doivent se maîtriser et physiquement et psychologiquement, tout en chantant un petit éventail d’émotions souvent excessives ou exacerbées. En l’occurrence nous sommes mitigés par rapport à l’exécution. Le ténor italien Giorgio Berrugi faisant ses débuts à l’Opéra de Paris dans le rôle du lieutenant F.B Pinkerton, a un chant délicieux : sa voix est très seine et le timbre est beau. Le duo d’amour qui clôt l’acte 1 « Bimba, bimba… dalli occhi pieni di malia… vogliatemi bene » est un véritable sommet d’expression musicale pour lui et pour la soprano, il le chante avec vaillance et sentiment. S’il est légèrement plus audible qu’Ana Maria Martinez en Butterfly pendant ce duo, nous avons trouvé son interprétation bouleversante d’humanité. Son air de l’acte II : « Un bel di vedremo » a été d’une grande intensité théâtrale, mais nous constatons en cette première quelques problèmes d’équilibre entre la fosse et la scène, et elle s’y trouve pénalisée.
Les nombreux rôles secondaires paraissent parfois également affectés par cette question, plusieurs de leurs performances se distinguent cependant : Laurent Naouri impeccable et implacable en Sharpless, Marie-Nicole Lemieux à la présence remarquable en Suzuki, ou encore le Goro plus-que-parfait de Rodolphe Briand ! Les chœurs dirigés par Alessandro di Stefano, sont tout à fait dans la même situation, et nous félicitons ses efforts.

La direction de Giacomo Sagripanti pourrait être à l’origine du déséquilibre notoire et regrettable pour une si magnifique production. Il s’agît d’une impression que nous avons surtout au premier acte. S’il existe une certaine volonté du chef d’apporter une lecture plus cristalline qu’émotive, bienvenue, l’orchestre réussi à vibrer plus équitablement au troisième acte.

Reprise mythique à l’Opéra National de Paris à découvrir et redécouvrir encore à l’Opéra Bastille les 9, 12, 19, 26, 29 et 30 octobre ainsi que les 1, 2, 5, 6, 8, 9 et 13 novembre 2019 avec deux distributions.

COMPTE-RENDU, opéra. STRASBOURG, ONR, 18 sept 2019. VENABLES : 4.48 psychosis. R Baker / T Huffman

COMPTE-RENDU, opéra. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, 18 septembre 2019. 4.48 psychosis. Philip Venables, compositeur. Gweneth-Ann Rand, Susanna Hurrell, Lucy Schaufer… Membres de l’orchestre philharmonique de Strasbourg. Richard Baker, direction. Ted Huffman, mise en scène. Création française de l’opéra contemporain « 4.48 psychosis » du compositeur queer Philip Venables, livret d’après le texte éponyme de l’auteure anglaise Sarah Kane. La création française est assurée par le chef d’orchestre Richard Baker, dirigeant chanteuses et instrumentistes (un ensemble composé des membres de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg). Seulement trois ans après sa création mondiale au Covent Garden à Londres (2016), nous avons droit à cette œuvre de grande justesse et intensité enfin sur le sol français !

 
 
 

« At 4.48, when depression visits, I shall hang myself »

/ Ă  4h48, quand viendra la dĂ©pression, je me pendrai…
 

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Difficile de se réjouir du suicide de Sarah Kane, à 28 ans. Son opus posthume « 4.48 psychosis » fut notamment décrié à sa création, parce qu’il a paru impossible à un critique de commenter ce qu’il considérait comme une « note de suicide de 75 minutes ». Que les temps ont changé ! Non seulement il s’agît ici de la toute première œuvre lyrique sur un texte de Sarah Kane approuvé par sa famille ; les talents concertés pour l’occasion relèvent de la sérendipité, tellement c’est harmonieux.

Philip Venables met en musique le texte particulier de Sarah Kane dans une succession de 24 scènes, sans véritable fil conducteur à l’instar de la pièce originale. Si tout essai pour expliquer le contenu ou la forme de l’œuvre serait une réduction, nous pouvons dire qu’il s’agît d’une sorte d’exposition des états psycho-émotionnelles de la psychose, un regard subjectif des différents visages de la dépression, un commentaire social d’une grande pertinence, interprété par 6 chanteuses et 12 instrumentistes, sur une scène dépurée et dédoublée où sont projetés parfois les paroles de la pièce. La scène est dédoublée dans le sens où les musiciens se trouvent en hauteur, derrière le plateau, la fosse d’orchestre est condamnée. Si la mise en scène de Ted Huffman peut paraître minimale sur le plan scénographique (une tables, quelques chaises…), le travail d’acteur est poussé au paroxysme et bouleverse l’auditoire.

  

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S’agissant d’un opéra contemporain avec recours aux collages électroniques et d’autres procédés de notre temps, nous ne pouvons que nous réjouir de l’ingéniosité percutante et très intéressante du compositeur. Remarquons l’effet de synesthésie linguistique qu’il suscite par exemple quand il fait dire/lire aux percussions le dialogue projeté sur la scène basse au fond blanc (deux percussionnistes sur la scène haute « jouent » le texte, souvent par syllabes). Saluons l’implacable performance des six chanteuses sur scène, qui bougent en permanence, et dont la partition est redoutable. A l’investissement dramatique et théâtral se joigne une intensité musicale indéniable. La chanteuse qui mène le bateau ici : la soprano Gweneth-Ann Rand ; sa force expressive et sa dextérité dans l’instrument laissent pantois. Elle a joué à la création mondiale, tout comme la soprano Susanna Hurrell et la mezzo-soprano Lucy Schaufer, également sur scène ce soir. L’incroyable sextuor de la première française se compose également de Robyn Allegra Parton, soprano et de Samantha Price et Rachael Lloyd, mezzo-sopranos.

Parmi les spécificités musicales de la partition, dans la lignée de la tradition anglaise depuis Purcell, distinguons des textes parlés bien rythmés et à un lyrisme ponctuel, au milieu du brouhaha expressif à souhait, et plutôt gentil pour l’ouïe, qui n’est pas sans rappeler sporadiquement la Seconde École de Vienne, particulièrement Webern.

  

Une expérience lyrique inoubliable pour adultes, avec des équipes engageantes et engagées sur tous les fronts. L’œuvre mérite d’être reprise et popularisée. A découvrir ! Uniquement à l’Opéra National du Rhin, à Strasbourg les 20, 21 et 22 septembre 2019. Illustrations : photos © K Beck / opéra national du Rhin / ONR 2019

   

COMPTE RENDU, critique, ballet. PARIS, Opéra National de Paris, le 30 juin 2019. Mats Ek / Jonathan Darlington.

COMPTE-RENDU, ballet. Paris. Palais Garnier, le 30 juin 2019. Carmen, Another Place, Boléro. Mats Ek, chorégraphies. Staffan Scheja, piano. Orchestre de l’Opéra, Jonathan Darlington, direction. Ballet de l’opéra. Le chorégraphe contemporain suédois Mats Ek sort de sa retraite pour deux créations mondiales et une entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra National de Paris en cette toute fin de saison 2018-2019. L’occasion de découvrir sa Carmen rouge sang de haut impact sur les planches du Palais Garnier, et de voir un nouveau « solo pour deux danseurs » ainsi qu’une nouvelle relecture de l’archicélèbre Boléro de Ravel. Il en découle un programme immanquable qui est agrémenté des performances redoutables de Staffan Scheja au piano et de l’Orchestre de l’Opéra, dirigé par le chef Jonathan Darlington.

 

 

 

Revenir Ă  Paris, y danser la Vie

 

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Le triptyque commence avec l’entrée au répertoire de « Carmen », ballet d’une cinquantaine de minutes sous la musique génialissime de Rodion Chtchedrine, une sorte de transfiguration d’après Bizet. Le couple de Carmen et Don José est interprété par l’Étoile Eleonora Abbagnato et le Coryphée (!) Simon Le Borgne. Si nous attendions de la première la performance tonique et habitée qu’elle nous a offerte, avec un magnétisme affolant dans l’incarnation de notre gitane espagnole préférée, nous sommes dans la surprise et l’admiration absolue devant la performance, électrique et dramatique, du dernier. Des belles personnalités se révèlent dans les rôles secondaires, comme la caractérielle M de Muriel Zusperreguy … aux bras expressifs à souhait, le Gipsy sympathique et même alléchant de Takeru Coste ou encore l’Escamillo de Florent Melac, théâtral et affecté dans son excellente interprétation du toréador. Le ballet narratif de Mats Ek garde toute sa fraîcheur comme sa pertinence artistique, 27 ans après sa création mondiale. Sa Carmen est à l’instar de son œuvre et de son langage chorégraphique : iconoclaste, exigeante, stimulante, une LED multicolore dans un milieu souvent monotone jaune-chandelle.

La création mondiale du duo « Another Place » a eu lieu le soir de la première dans une autre distribution. Pour notre venue, en sont les créatrices, les Étoiles Stéphane Bullion et Ludmilla Pagliero. Lui, est la perfection totale dans ce langage chorégraphique qui cherche l’étrange, l’autre, l’autre mouvement, le mouvement autrement. Il maîtrise merveilleusement la désarticulation Eksienne, et paraît toujours sans effort dans ses sauts comme sans défaut dans ses atterrissages. Il montre ce soir, en plus, des talents grandissants de comédien. Son corps est son livret, et nous aimons à en rire et à en mourir l’histoire qu’il nous raconte avec les mots de Mats Ek, toujours touchant dans l’aspect très humain de ses ballets.
La Pagliero est une révélation ! Par l’humour, par l’aplomb, par tout l’éventail des sentiments qu’elle représente en mouvement. Le tout sous la musique unique de la Sonate en si mineur de Franz Liszt, brillamment exécutée par le pianiste Staffan Scheja. Un « solo pour deux danseurs » d’une poésie indéniable, duquel nous sommes témoins privilégiés des complexités des relations humaines ; dont le fil rouge est toujours l’instabilité.

Pour clore cette fabuleuse soirĂ©e, passons au BolĂ©ro, créé Ă©galement le soir de la première, et dansĂ© presque exclusivement par le corps de ballet. Il y a une baignoire au milieu du plateau qui se remplie d’eau par le geste rĂ©pĂ©titif de Niklas Ek, frère aĂ®nĂ© du chorĂ©graphe, pendant que les danseurs font sur scène ce qu’ils doivent faire, et ce n’est pas seulement aller Ă  droite et Ă  gauche, sauter par ci et par lĂ , se porter les uns les autres… C’est comme une sorte de clin d’œil Ă  l’œuvre musicale la plus vendue au monde et qui a Ă©tĂ© largement dĂ©criĂ©e par son compositeur. Si le ballet peut paraĂ®tre vide comme la partition, presque parfaitement exĂ©cutĂ©e par l’orchestre, nous sommes de l’avis qu’il s’agĂ®t lĂ  d’un commentaire artistique. Pendant que nous sommes hypnotisĂ©s par la musique et les mouvements rĂ©pĂ©titifs, nous sommes dans l’au-delĂ , au-delĂ  des prĂ©occupations mondaines et spirituelles, dans la salle les cĹ“urs palpitent comme dans la fosse et sur scène. Dans ce continuum musical et chorĂ©graphique indescriptible, se dĂ©tachent quelques personnalitĂ©s, comme Sofia Rosolini, Roxane Stojanov, Giorgio Fourès, ou encore les plus connus Marc Moreau et Fabien RĂ©villion. RĂ©jouissante cohĂ©sion des corps.

 

 

 

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COMPTE RENDU, critique, ballet. PARIS, Opéra National de Paris, le 30 juin 2019. Mats Ek / Jonathan Darlington. Un programme de fin de saison qui a tout pour plaire pour le plus grand nombre. A voir absolument ! A l’affiche au Palais Garnier les 5, 6, 8, 9, 11, 12 et 14 juillet 2019.

 

 

   

 

 

COMPTE-RENDU, piano. LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2019. Concert de clôture, le 16 juin 2019. BRAHMS : Concerto pour piano et orchestre en si-bémol, Johannes Brahms. ONL, JC CASADESUS, N FREIRE.

Compte rendu, piano. Lille. Concert de clĂ´ture Festival Piano(s) Lille, 16 juin 2019. Concerto pour piano et orchestre en si-bĂ©mol, Johannes Brahms. Orchestre National de Lille. Jean-Claude Casadesus, direction. Nelson Freire, piano. Nous voici dans la fabuleuse salle – auditorium du Nouveau Siècle Ă  Lille pour la clĂ´ture de la 15e Ă©dition du Lille Piano(s) Festival, Ă©vĂ©nement dĂ©sormais incontournable du printemps lillois chaque annĂ©e et qui voyait cette annĂ©e d’anniversaire, la dernière direction artistique de Jean-Claude Casadesus. Pour souligner 2019, le pianiste brĂ©silien Nelson Freire interprète le 2e concerto pour piano et orchestre de Brahms, avec l’Orchestre National de Lille sous la direction de… Jean-Claude Casadesus. Trois jours de cĂ©lĂ©bration kalĂ©idoscopique de l’art du piano avec une conclusion sensible oĂą l’accord, la symbiose entre le piano et l’orchestre sont au rendez-vous.

Nelson Freire, après un récital solo d’une sensibilité exquise la veille, rejoint ainsi l’Orchestre National de Lille pour le monumental concerto de Brahms. L’œuvre composée 20 ans après le premier fut très bien reçue dès sa création. Modeste, Brahms parlait du concert comme « un petit concert en si-bémol ». Nous pouvons voir l’évolution tout à fait symphonique du maître ; s’il est moins exubérant que le premier, il est plus équilibré, d’une plus grande réserve émotionnelle, accouplée à une plus grande maîtrise de l’orchestration et surtout à un sens plus mûr de la relation entre le soliste et l’ensemble.

 

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Le 2è Concerto de Brahms par Nelson Freire…
Un « petit concert » pas comme les autres

 

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L’opus en 4 mouvements commence par un Allegro non troppo qui s’ouvre avec un solo du cor à la beauté édifiante et sereine. En ce mouvement de forme sonate élargie, Nelson Freire fait preuve d’un toucher sensible mais avec brio, et si le dialogue entre lui et l’orchestre commence loin de l’équilibre, pour des raisons peut-être liées à l’acoustique de l’auditorium, nous sommes bien sûr conquis par l’humanité des efforts concertés.

L’Allegro Appassionato qui suit est un scherzo romantique où l’on peut apprécier davantage la relation tout à fait intense entre le piano et l’orchestre, et ceci par la maîtrise et la cohésion des groupes sous la baguette du chef, les cordes se montrant particulièrement puissantes. L’orchestre se dresse en effet devant le jeu quelque peu tourmenté, très vertigineux, du pianiste. Le troisième mouvement est un Andante tranquille où le violoncelle a un rôle important. Il interprète une sorte de cantilène d’une beauté paisible qui apaise et qui inspire. Le piano s’agite dans la partie centrale ce qui fait ressortir davantage les contrastes, et qui permet également de ne pas rester bercé par le violoncelle.

 

 

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L’œuvre se termine enfin par un Allegretto grazioso soit les pages les plus dramatiques et virtuoses pour le soliste. La forme rondo est habituellement une des plus légères dans le concert classique, mais ici Brahms l’élargit massivement, comme s’il s’agissait d’équilibrer l’opus par rapport aux mouvements précédents. Bien sûr, le mouvement a ce je ne sais quoi de dansant typique des rondos, et c’est encore une occasion d’entendre les vents de l’Orchestre National de Lille en excellente forme, ainsi que les cordes toujours pleines de brio et de grande souplesse expressive.

Le public est enflammé après cette interprétation triomphale d’une œuvre phare du répertoire pianistique ; ses espoirs sont couronnés par un bis de Nelson Freire d’une beauté bouleversante. Il s’agît de la transcription d’une musique de ballet du 2e acte de l’Orphée et Eurydice de Gluck, connue simplement comme « mélodie » ou encore comme la « danse des esprits bénis ». Ici Nelson Freire offre une interprétation d’une justesse et d’une délicatesse inouïes. Il a conscience de l’origine orchestrale de la partition, si le doigté est luxuriant, la mélodie chantante est d’une clarté, d’une limpidité surprenante, d’une caresse édifiante. Inoubliable.

 

 

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Le chef Jean-Claude Casadesus partage ensuite quelque mots de remerciements pour cette fin de festival heureuse. 15 ans d’aventure musicale qui méritent toutes les louanges. Vivement les prochaines éditions ! Le Festival 2019 a réuni selon les organisateurs pas moins de 15 000 spectateurs : belle validation populaire. Aucun doute, le grand public et le classique poursuivent à Lille des noces florissantes. RV est pris pour la 16è édition de LILLE PIANO(S), annoncée déjà le week end des 12, 13 et 14 juin 2020. Photos et illustrations : © Ugo Ponte / ONL 2019

 

 

 

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VIDEOS
Vidéo des meilleurs moments du festival 2019 sur www.youtube.com/ONLille

Compte-rendu, opĂ©ra. Paris. OPERA-COMIQUE, le 18 dĂ©c 2018. THOMAS : Hamlet. Degout, Devieilhe… O C E. LangrĂ©e / Teste

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OPERA-COMIQUE, le 18 dĂ©cembre 2018. Ambroise Thomas : Hamlet. StĂ©phane Degout, Sabino Devieilhe… Orchestre des Champs-ElysĂ©es. Louis Langre, direction. Cyril Teste, mise en scène. Le grand opĂ©ra Hamlet du compositeur romantique français Ambroise Thomas, mĂ©connu par beaucoup, mĂ©prisĂ© par certains, s’affiche Ă  l’OpĂ©ra Comique en cette fin d’annĂ©e 2018, avec une Ă©quipe pluridisciplinaire de choc, concertĂ©e pour la production qui reprĂ©sente une sorte de rĂ©surrection française du compositeur en vĂ©ritĂ©. Un habituĂ© du rĂ´le Ă©ponyme, le baryton StĂ©phane Degout, avec l’OphĂ©lie de notre soprano vedette prĂ©fĂ©rĂ©e, Sabine Devieilhe, sous la direction du chef Louis LangrĂ©e, cautionnent Ă  eux seuls dĂ©jĂ  la « dĂ©couverte ». La soirĂ©e et la production sont riches en surprises.

 

 

 

Affreuse perfection,
ou le tourment de ne pas être tourmenté

 

 

 

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Si en Belgique et aux États-Unis l’œuvre tourne et fait ravage auprès du public, force est de constater que très peu connaissent en France le Hamlet d’Ambroise Thomas, compositeur romantique français. Une succession de faits heureux historiques est la base de la narration méprisante qu’on aurait créée pour le compositeur en question, après une petite phrase dénigrante de Chabrier. Prix de Rome 1832, embauché au Conservatoire, puis Directeur du dit Conservatoire, à côté de l’immense popularité de ses œuvres issues de sa créativité foisonnante et de son amour à l’art de la musique et du théâtre lyrique : ainsi paraît Ambroise Thomas. Hamlet a tout en théorie pour être placée à côté de La Traviata de Verdi, par exemple. Ce qui manque est la volonté. Félicitons déjà l’Opéra Comique et Louis Langrée pour ce courageux effort qui réalise sa (re)découverte et une valorisation des bijoux du répertoire lyrique français.
Pour l’occasion inouĂŻe, le cinĂ©aste Cyril Teste et son Ă©quipe artistique sont sollicitĂ©s… Pas forcĂ©ment pour l’éventuelle captation de la production en DVD pour une sortie ultĂ©rieure, mais pour… la mise en scène. Le procĂ©dĂ© dĂ©jĂ  vu, dĂ©jĂ  connu, a fait parfois beaucoup d’effet dans l’histoire de l’opĂ©ra depuis l’invention du cinĂ©ma, mais très peu nombreux sont les opus lyriques rehaussĂ©s ou durablement ranimĂ©s par le phĂ©nomène technologique en soi. Pour cette production, la première commence avec une vingtaine de minutes de retard, – injonction publique Ă  Ă©teindre les portables et dispositifs Ă©lectroniques Ă  cause d’interfĂ©rence… au passage, Sylvie Brunet-Grupposo qui incarne Gertrude est annoncĂ©e souffrante, mais elle dĂ©cide d’assurer la prestation.

La mise en scène de Teste est immersive, multitudinaire, un enchaînement d’angles cinématographiques retransmis en direct sur des écrans modulables. Les chanteurs-acteurs sont suivis par les techniciens, ils investissent la salle aussi, et pas seulement les couloirs. A un moment cela fait un condensé un peu trop dense de différents styles du 7e art, un méli-mélo fort sympathique au niveau plastique qui pèche du même péché que Thomas dans toute son œuvre, à savoir d’être … beau. Si nous apprécions le rendu avec nos sens contemporains, nous nous questionnons par rapport à la longévité de la production, … d’autant qu’heureusement il s’agit d’une coproduction … qui a donc d’autres représentations plus ou moins assurées.
Si l’aspect visuel est souvent beau et jamais offensant, le bijou se trouve dans la partition, mise en valeur par les talents concertés du chef Louis Langrée et d’une distribution d’étoiles montantes du firmament lyrique. Stéphane Degout dans le rôle-titre est une force. Ses talents d’acteur trouvent une belle expression dans cette production, mais nous ne saurons pas dire s’il s’agît d’un travail d’acteur personnel (il vient du monde du théâtre) ou d’une quelconque direction artistique. Au delà de cette prestance à la fois accessible et froide qu’il incarne, ce qui chauffe les coeurs avant tout le concernant, c’est son instrument vocal. Que ce soit lors de la mélodieuse chanson bachique du IIe acte ou encore lors de son monologue-arioso « Être ou ne pas être » bouleversant d’intériorité. Sa voix est toujours seine et velouté, il est toujours séduisant par la force de sa diction et la limpidité du style. L’Ophélie de Sabine Devieilhe est un binôme avec les mêmes qualités. Sa performance est celle qui suscite les premiers et les plus longs et nombreux bravos chez l’auditoire. Pyrotechnique à souhait sans la moindre frivolité, son chant captive le public dès son premier air jusqu’à sa dernière scène, un air de folie virtuose et suicidaire. Inoubliable aux yeux fermés.

Remarquons également les nombreux rôles de la partition. Le Laërte du ténor Julien Behr est tout à fait correct, et il a toujours cette fraîcheur juvénile qui plaît. La Gertrude de Sylvie Brunet-Grupposo est fière à l’artiste, de grande prestance et à la déclamation irréprochable, malgré le fait qu’elle soit souffrante. Le Claudius de Laurent Alvaro plaît beaucoup à l’écran, mais au-delà de cela, sa performance musicale est tout à fait digne d’éloges. Le Spectre de Jérôme Varnier a une voix large et profonde d’outre-tombe qui sied bien au rôle, et un peu moins au personnage construit par le metteur en scène. Le chœur Les Éléments est en forme et souvent sollicité.

Que dire sinon de l’autre protagoniste, l’orchestre ? Le chef monte sur scène pour les saluts avec la partition dans les mains, et l’on dirait qu’il prononce le mot « justice ! » par ce geste. L’audace du saxophone sur scène avec la superbe interprétation de Sylvain Malézieux, la candeur des bois très présentes dans la partition, l’harmonie des cordes lors de moments d’intimité ou encore leur puissance pendant les scènes au style plus « pompier »… L’Orchestre des Champs-Elysées sous la direction de Langrée montre la richesse musicale de cette œuvre injustement négligée. A découvrir absolument ! Encore à l’affiche à l’Opéra Comique les 19, 21, 23, 27 et 29 décembre 2018. Un régal pour accompagner cette fin 2018.

 

 

 

 

 

 

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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OPERA-COMIQUE, le 18 dĂ©cembre 2018. Ambroise Thomas : Hamlet. StĂ©phane Degout, Sabino Devieilhe… Orchestre des Champs-ElysĂ©es. Louis Langre, direction. Cyril Teste, mise en scène.

Compte-rendu, opéra. Paris, le 24 nov 2018. Rossini : La Cenerentola. Brownlee, Sempey, Crebassa… Pido, Gallienne

rossini-pesaro-582-390-festival-pesaro-rossini-juan-diego-florezCompte rendu, opéra. Paris. Palais Garnier, le 24 novembre 2018. Rossini : La Cenerentola. Lawrence Brownlee, Florian Sempey, Marianne Crebassa… Orchestre de l’Opéra. Evelino Pido, direction musicale. Guillaume Gallienne, mise en scène. Reprise automnale de La Cenerentola de Rossini / version Guillaume Gallienne à l’Opéra de Paris. Le chef italien Evelino Pido dirige l’orchestre de la Grande Boutique et une distribution rayonnante, avec Marianne Crebassa dans le rôle titre et dans une fabuleuse prise de rôle. Les bijoux, musicaux, de cette reprise brillent tellement, que nous oublions presque les incongruités de la mise en scène.

 
 
   
 
 

Cenerentola, des cendres toujours, … et quelques bijoux au fond

 
 
 

Composé un an après la première du Barbier de Séville, en 1816, La Cenerentola de Rossini ne s’inspire pas directement de Perrault mais plutôt de l’opéra comique Cendrillon d’un Nicolas Isouard (crée en 1810 à Paris, lui d’après Perrault). Ainsi, on fait fi des éléments fantastiques et fantaisistes et l’histoire devienne une comédie bourgeoise, où l’on remplace la chaussure de Cendrillon par un bracelet, entre autres. La mise en scène de Gallienne, créée l’année dernière, est toujours fidèle à elle-même, avec son décors unique bipartite inspiré d’une Naples vétuste, un travail d’acteur à la pertinence pragmatique, sans plus.

La vrai bonheur est dans la partition. Les protagonistes sont interprétés par le ténor Lawrence Brownlee et la mezzo Marianne Crebassa. Le ténor américain interprète le rôle avec une aisance confondante. Sa voix est toujours très en forme et il chante l’air du 2e acte « Si, ritrovarla io giuro » avec brio. Bon acteur, il est excellent aussi dans les nombreux ensembles, notamment dans le duo du 1e acte « Un soave non so che». Marianne Crebassa dans sa prise de rôle est particulièrement impressionnante, tant au niveau théâtral comme musical. Le timbre est beau, elle est touchante dans sa projection, élégante dans sa diction et même lors des vocalises-mitraillettes abondantes. Ainsi elle réussi l’air final « Nacqui all’affanno » avec maîtrise et émotion.

Florian Sempey interprète le rôle de Dandini avec une facilité. Il est drôle à souhait et réussi dignement la coloratura difficile de sa partition. Le Don Maginifico d’Alessandro Corbelli captive par le style et le jeu d’acteur. Alidoro, interprété par le jeune Adam Plachetka, est une très agréable surprise. Faisant ses débuts à l’Opéra de Paris, s’il paraît un peu timide au début, il suscite les tout premiers bravo de la soirée lors de son air redoutable du 1e acte « Là del ciel, nell’arcano profondo », où il révèle une technique sans défaut et des aigus stables, solides. Chiara Skerath et Isabelle Druet, interprétant les sœurs, sont drôles et légères, excellentes chanteuses et comédiennes. Félicitons de passage également les choeurs très en forme dirigés par José Luis Basso.

 
 
   
 
 

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Rossini n’est pas forcément célèbre grâce à son écriture instrumentale, mais la direction du chef Evelino Pido est si bonne, enthousiaste et enjouée, tout en étant d’une précision particulière, qu’on arrive à mieux apprécier les moments de beauté. Sa baguette sans excès et sans lenteur, inspire sans doute les chanteurs, il y a une complicité sur le plateau et avec la fosse qui était absente à la création l’année dernière. A l’affiche au Palais Garnier de l’Opéra national de Paris les 1, 3, 6, 9, 11, 13, 17, 20, 24, 26 décembre 2018.

 
 
 

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Comique, le 17 nov 2018. Stockhausen : Donnerstag aus Licht. Pascal /Lazar

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Comique, le 17 novembre 2018. Karlheinz Stockhausen : Donnerstag aus Licht. Maxime Pascal, direction musicale. Benjamin Lazar, mise en scène. Production automnale contemporaine d’envergure à l’Opéra Comique. L’orchestre Le Balcon dirigé par Maxime Pascal s’attaque à une œuvre monumentale de la musique du XXe siècle, le premier volet du cycle Licht du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen, Donnerstag. Benjamin Lazar a le défi de mettre en scène l’histoire du jeudi de Saint Michel Archange. Malgré l’excentricité inhérente à l’oeuvre, et les déséquilibres de sa réalisation parisienne, cette 4e production depuis sa création en 1981 est un véritable exploit, caressant plus l’intellect que l’ouïe.

 

 

Stockhausen et son Ĺ“uvre d’art totale…

 

 

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Karlheinz Stockhausen est une figure emblématique dans l’histoire de la musique, particulièrement grâce à ses innovations dans la musique électronique. Celui qui fut élève de Messiaen, le seul compositeur publiquement vanté par Pierre Boulez de son vivant, une influence avérée pour des profils bien différents tels que Miles Davis, Herbie Hancock, Frank Zappa, Jefferson Airplane, Björk… est un des compositeurs d « avant-garde » a avoir pu toucher un plus grand public. La cohérence dans ses recherches musicales et procédés tout au long de sa trajectoire fait de lui une figure cohérente et intègre, malgré les nombreuses controverses durant sa vie ayant à voir avec différents aspects métaphysiques voire carrément ésotériques, confondants, de sa personne. Beaucoup d’ancre a coulé et coule encore à ses sujets, nous essayerons de nous limiter aux aspects les plus concrets de la production parisienne de son premier opéra du cycle Licht, Donnerstag, en Salle Favart.

Ce premier volet monumental est un opéra en trois actes (avec prélude et postlude) pour 14 solistes, choeur, orchestre et musique électronique. Il « raconte » l’histoire de Michael, sorte d’avatar transfiguré de l’Archange Michaël dans la tradition judéo-chrétienne-islamique… Sa mère Eve, et son père Lucifer. Chaque personnage est triplé, instrumentiste-chanteur-danseur. Et chaque acte est une terroir fertile à l’expérimentation Stockhausienne. Si du deuxième acte nous gardons le souvenir de l’absence totale des chanteurs, comme nous gardons le souvenir curieux mais éphémère des dispositions des artistes lors des mouvements extérieurs de l’oeuvre, joués à l’extérieur de la salle et même dans la rue ; nous retenons surtout l’audace lumineuse et parfois longue du troisième.

L’acte le plus équilibré et à notre avis le plus impressionnant aux niveaux musicaux et artistiques est donc le 1e, où nous pouvons apprécier le meilleur Stockhausen lyrique et instrumental. Les grands chefs de file sont les instrumentistes, L’Eve d’Iris Zeroud au cor de basset, ensorcelante, le Lucifer de Michel Adam au trombone, et surtout le Michael d’Henri Deléger à la trompette, spectaculaire. Sans oublier le piano millimétrique et endiablé d’Alphonse Cemin. Mais n’oublions pas les excellentes prestations des chanteurs, commençant par l’Eve de la soprano Léa Trommenschlager, dramatique et agile à souhait, puis le Lucifer de la basse Damien Pass, d’une étrange et captivante prestance, avec un gosier capable d’englober, et le Michael bouleversant d’humanité du ténor Damien Bigourdan. 3e partie du triumvirat, et pas du tout négligeable, les danseurs. L’Eve de Suzanne Meyer est un mélange de coquinerie et de gêne, le Lucifer de Jamil Attari est presque trop alléchant dans sa prestance et ses mouvements. Finalement le Michael d’Emmanuelle Grach est un des points forts de la représentation avec une heureuse combinaison de naïveté et tonicité.

Le jeune et prometteur Maxime Pascal est à la direction musicale de l’orchestre Le Balcon, mais aussi l’orchestre de cordes du Conservatoire de Paris et le jeune choeur de Paris, c’est un capitaine inspirant ! Nous le félicitons pour le défi relevé lors de ces 5 heures de représentation, et nous le soutenons dans sa démarche créatrice. Son collaborateur Benjamin Lazar à la mise en scène, a pu, nous semble-t-il, s’accorder aux intentions et du chef et du compositeur, tout en ayant conscience du lieu et du public. Il signe donc une mise en scène redoutable de beauté, pour un opus de ce genre, avec un dispositif scénique et lumineux intéressant mais surtout hautement efficace. Distinguons les lumières époustouflantes de Christophe Naillet (notamment au troisième acte), les costumes et décors d’Adeline Caron, ou encore les réalisations vidéos de Yann Chapotel. Félicitations encore aux artistes engagés, et à la direction de l’Opéra Comique pour sa volonté de garder et davantage révéler l’audace et l’innovation inscrites dans l’ADN de l’institution depuis sa création. A bientôt peut-être pour un autre volet du cycle Licht de Stockhausen.

 

 

Illustration : Opéra Comique / DR

COMPTE-RENDU, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 25 oct 2018. DONIZETTI : L’élixir d’amour. Oropesa, Grigolo, Sagripanti / Pelly.

L'Elisir d'amor de DONIZETTI à l'Opéra de TOURSCompte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 25 octobre 2018. L’élixir d’amour. Donizetti. Lisette Oropesa, Vittorio Grigolo, Etienne Dupuis, Gabriele Viviani… Orchestre et choeurs de l’opéra de Paris. Giacomo Sagripanti, direction. Laurent Pelly, mise en scène. Retour heureux de L’Elixir d’amour de Donizetti signé Laurent Pelly ! Une reprise automnale délicieuse à souhait, avec toutes les qualités de la fabuleuse mise en scène qu’on connait, en une distribution de choc et un orchestre vigoureux sous la direction du jeune chef italien Giacomo Sagripanti, que nous découvrons avec enthousiasme.

       
Reprise de l’Elixir Ă  Bastille : le charme de Pelly rĂ©opère dans une distribution juvĂ©nile, cohĂ©rente…

Comédie romantique pour tous les goûts

   

Donizetti, grand improvisateur italien de l’Ă©poque romantique, compose L’Elixir d’amour en deux mois en 1832, assez de temps pour mettre en musique l’amour contrariĂ© du pauvre NĂ©morino envers la frivole et riche Adina. Après maintes pĂ©ripĂ©ties, le lieto fine de rigueur grâce Ă  la tromperie de Dulcamara, charlatan, et son Ă©lixir magique, comble les attentes du public : ces deux lĂ  qui s’aiment, se comprennent enfin… L’œuvre d’une jouissance infatigable est toujours bien servie par la production de Laurent Pelly qui est dĂ©sormais iconique. Le théâtre au service du théâtre avec une conscience absolue de la théâtralitĂ© sentimentale de la partition.

La jeune distribution incarne merveilleusement les rôles avec une fraîcheur et une tonicité confondantes, mais surtout, bienvenues. La Gianetta d’Adriana Gonzales, soprano guatémaltèque issue de l’Académie de l’Opéra, est une belle découverte, avec un timbre à la fois léger et charnu. Le Dulcamara de Gabriele Viviani impressionne par l’équilibre saisissant entre l’aspect comique du personnage et un chant sein, habité, avec un style soigné. La pareille pour le Belcore charmeur et drôle d’Etienne Dupuis, à la beaugossitude assumée ; surtout sa prestation vocale à la fois percutante et raffinée, son entrée au premier acte « Come paride vezzoso » particulièrement réussie, font mouche. Ils sont tous excellents dans les nombreux duos et ensembles ; félicitons au passage également les chœurs de l’Opéra sous la direction Alessandro di Stefano.

Les protagonistes Adina et Némorino sont interprétés par Lisette Oropesa et Vittorio Grigolo. Un duo de choc, comme l’est toute la distribution en vérité, qui rayonne de candeur juvénile dans l’engagement scénique et qui captive vocalement par le mariage ravissant de leurs timbres et la complicité totale qu’ils savent cultiver. Dès le célèbre duo du premier acte « Una parola Adina », l’agilité de la soprano et l’aisance du ténor impressionnent. Le célèbre air du dernier « Una furtiva lagrima » au deuxième acte, est un moment troublant de beauté, récompensé par des longues ovations. Si l’orchestre chez Donizetti est loin d’être un point fort, nous trouvons remarquable la performance de la phalange maison, en superbe forme comme d’habitude, mais avec un je ne sais quoi qui se distingue des précédentes reprises de la production de 2006.

         

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A dĂ©guster sans modĂ©ration Ă  l’OpĂ©ra Bastille encore le 30 octobre ainsi que les 1er, 4, 7, 10, 13, 16, 19, 22 et 25 novembre 2018, avec la soirĂ©e spĂ©ciale pour les -40 ans le 19 nov. Le must lyrique du moment.          

Compte rendu, opéra. Strasbourg. Opéra Nat du Rhin, le 18 juin 2018. Tchaïkovski : Eugène Onéguine. Baciu, Morozova, / Letonja / Wake-Walker

bONEGUINE_ONR-KlaraBeck_0371-Acte2-728x485Compte rendu, opĂ©ra. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 18 juin 2018. TchaĂŻkovski : Eugène OnĂ©guine. Bogdan Baciu, Ekaterina Morozova, Marina Viotti, Liparit Avetisyan… Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Marko Letonja, direction. Frederic Wake-Walker, mise en scène. Fin de saison romantique Ă  Strasbourg, avec la nouvelle production d’Eugène OnĂ©guine de TchaĂŻkovski Ă  l’OpĂ©ra National du Rhin. Le chef Marko Letonja dirige un orchestre en bonne forme et une distribution plutĂ´t jeune qui cautionne Ă  elle seule le dĂ©placement. Frederic Wake-Walker signe une mise en scène (sa première en France) rĂ©unissant en apparence, quelques nombreuses idĂ©es aspirant Ă  quelque chose mais qui rĂ©ussit Ă  laisser le public indiffĂ©rent, en contraste avec la musique passionnĂ©e et l’interprĂ©tation -musicale- du quatuor principal, passionnante.

 

 

 

Eugène Onéguine à l’Opéra Nat du Rhin

Rendez-vous manqué, ma non troppo

 

VĂ©ritable chef d’oeuvre lyrique de TchaĂŻkovski, sans doute son opĂ©ra le plus jouĂ© et le plus connu en dehors de la Russie, il est inspirĂ© du roman Ă©ponyme en vers de Pouchkine. L’histoire est celle d’OnĂ©guine l’excentrique citadin blasĂ© qui rejette l’amour inconditionnel de la jeune provinciale Tatiana, pour ensuite le regretter 5 ans après, quand il la dĂ©couvre alors Princesse mariĂ©e Ă  l’un de ses amis, le Prince GrĂ©mine. Il revient sur ses choix et souhaite rĂ©activer la dĂ©claration d’amour professĂ©e par Tatiana (fameuse scène de la lettre), avec le but de la faire tout quitter pour lui, lui demandant maintenant ce qu’il n’a pas voulu donner auparavant. Si Tatiana finit par accepter la sincĂ©ritĂ© de leur amour, l’œuvre s’Ă©loigne des conventions romantiques occidentales du XIXe siècle, dans le sens oĂą elle a la force et la dignitĂ© d’ĂŞtre pleinement maĂ®tresse de son esprit et non pas esclave de ses affects. Au moment de la confrontation fatidique et finale, elle pleure un peu, elle se bat et gagne, elle le remercie et le congĂ©die. Elle repart avec son mari. De son cĂ´tĂ©, OnĂ©guine, lui, finit dans le dĂ©sespoir de la solitude.

Le silence refroidi de l’auditoire vis-à-vis de la mise en scène dont les souvenirs heureux sont de l’ordre technique (lumières parfois poétiques de Fabiana Piccioli, décors parfois ingénieux de Jamie Vartan), cède la place à l’émotion qu’arrivent plutôt à transmettre les chanteurs malgré la proposition théâtrale particulièrement mince, sans être abstraite ni ouvertement contemporaine. Si certains procédés réussissent à inspirer des sourires et soupirs faciles, éphémères, comme les enfants mimant des pas de danse avec des ballons en forme de coeur gonflés à l’hélium, l’émotion forte que nous gardons à l’esprit est une vague sensation … d’ennui.

Peut-être s’agissait-il d’une démarche voulue par le metteur en scène, un parti pris inspiré de l’attitude « so » blasée d’Onéguine le cynique… Curieusement il s’agît de l’opéra préféré de M. Wake-Walker. Une affection qui manque a contrario de chaleur comme de clarté… Félicitons néanmoins le courage de la direction de proposer la découverte de jeunes chanteurs, talents prometteurs à suivre indiscutablement.

Dans cette démarche, nous constatons heureusement un résultat merveilleux en ce qui concerne les jeunes chanteurs engagés pour le quatuor principal. Si le Lensky de Liparit Avetisyan déçoit lors de son air au premier acte, d’une grande beauté, mais à l’interprétation un peu faussée, il se rattrape au IIe acte et touche l’auditoire par son humanité. L’Olga de Marina Viotti est coquette et espiègle à souhait, avec une voix saine et bien maîtrisée. La Tatiana d’Ekaterina Morozova campe un air de la lettre au premier acte d’une grande beauté. Si son allure peut-être un peu trop digne pour le rôle -au premier acte-, son chant est toujours délicieusement nuancé et l’interprétation captivante, incarnée.

aONEGUINE_ONR-KlaraBeck_4136_acte1-362x543Le baryton roumain Bogdan Baciu faisant ses débuts en France dans le rôle-titre, est une découverte extraordinaire. La richesse de sa performance se trouve dans le chant, dans son interprétation presque trop chaleureuse parfois, émotive, tout en restant maître de son instrument qu’il sait bien projeter dans la salle également. Remarquons aussi Doris Lamprecht et Margarita Nekrasova dans les rôles de Madame Larina et Filipievna respectivement, excellentes dans tous les sens. Si les choeurs de l’Opéra préparés par Sandrine Abello et dirigés par Inna Petcheniouk sont en bonne forme vocalement, les contraintes ringardes et régulièrement incongrues de la mise en scène, semblent affecter malheureusement leur prestation. Reste l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg sous la baguette de Marko Letonja. Une direction sage sans être froide, donnant une exécution plutôt tempérée. Ceci peut bien s’accorder à la partition de Tchaïkovski qui réussit le pari de briller et de sentimentalisme et de clarté. Si l’équilibre n’est pas toujours là, parfois au détriment de l’œuvre musicale, ce même déséquilibre parvient parfois à distraire la vue pour s’adonner, heureusement, et en tout abandon, à l’ouïe. Félicitons ainsi les cuivres et les bois enivrants, et le groupe des cordes, impeccables. Encore à l’affiche à l’Opéra National du Rhin les 22, 24 et 26 juin (Strasbourg) ainsi que les 4 et 6 juillet à la Filature de Mulhouse. Illustrations : © Klara Beck

Compte-rendu, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 16 mai 2018. WAGNER : PARSIFAL (NP).Mattei, Schager, Kampe, Jordan/Jones.

Compte-rendu, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Bastille, le 16 mai 2018. Richard Wagner : Parsifal. Peter Mattei, GĂĽnther Groissböck, Andreas Schager, Anja Kampe, Evgeny Nikitin… Orchestre de l’OpĂ©ra. Philippe Jordan, direction. Richard Jones, mise en scène. Après une première repoussĂ©e suite Ă  un accident technique, la maison parisienne inaugure enfin sa nouvelle production de Parsifal, le festival lyrique sacrĂ©e, mis en scène par l’anglais Richard Jones. Philippe Jordan dirige l’orchestre de l’OpĂ©ra avec sophistication et clartĂ©, habituelles.

parsifal opera bastille richard jones par classiquenews annonce présentation opéraPARSIFAL EST VENU POUR SAUVER LE MONDE … OU PAS. La légende du Graal qui inspire le livret s’est imposée à Wagner après avoir lu la romance médiévale Parzifal de Wolfram von Eschenbach. Le compositeur écrivit par la suite le synopsis de ce qui allait devenir son ultime opéra, ce dès 1857, soit 25 ans avant la première qui eut lieu grâce au soutien de son mécène, Louis II de Bavière. Il est nécessaire de citer ici un annexe au programme de la création à Bayreuth, de la plume du compositeur lui-même, nommé « Héroïsme et Chrétienté » (Heldentum und Christentum). Dans ce texte moins connu que son testament antisémite « La judéité dans la musique » (Das Judenthum in der Musik), Wagner explique que les aryens, leaders teutons de l’humanité tout entière, sont descendants des dieux, et que les autres races, inférieures forcément, descendent, elles, des primates. Il y exprime aussi son dégoût vis-à-vis de la dévotion des chrétiens pour un dieu juif, à travers son incarnation, ce Christ juif qu’il tient en horreur. Le compositeur s’est donné donc la peine de ré-imaginer le Christ selon son goût. Ainsi, le chevalier Parsifal devient, de fait, un Christ aryen.

Si la mise en scène de Richard Jones, avec décors géants et costumes d’Ultz, défend une transposition vers une modernité indistincte, dans une sorte de collège-secte aux Ier et IIIe actes, ou encore qui s’inscrit dans le milieu scientifique (cf le palais de Klingsor au IIe), elle demeure en vérité très conventionnelle. Voire vaine. Sans tension véritable, exceptions faites aux Ier acte, quelque-peu rocambolesque, et au IIe avec une pseudo-revue des Filles-Fleurs déjantées (aux seins géants) ; mais cette vision schématique et caricaturales, en rien poétique, est dépourvue de profondeur au IIIe. Les bijoux seraient donc à chercher ce soir dans la musique. Ou pas.

La distribution a le mérite d’être plutôt homogène voire engagée à servir tous les partis de la production. Ainsi, l’Amfortas de Peter Mattei dans toute sa gloire, tourmenté à souhait, élégant toujours, et avec une voix capable de force comme de souplesse. Excellente aussi, l’interprétation de Günther Groissböck en Gurnemanz ; au niveau scénique, il est même peut-être un poil trop beau au Ier acte, mais fait preuve d’une résilience vocale qui ne laisse pas indifférent. Comme d’habitude son chant a du caractère et sa diction est fantastique. Un peu moins fantastique celle d’Evgeny Nikitin en Klingsor. Le timbre sied au rôle merveilleusement, et la prestation a un je ne sais quoi d’étrange comme d’inquiétant… ma non troppo. La Kundry d’Anja Kampe est bouillonnante, bouleversante, tout simplement excellente malgré la minceur dramaturgique de la production. Il s’agît d’une performance sans défaut au niveau vocal, même si elle a pris un certain moment pour se chauffer au cours du Ier acte (qui il est vrai n’espt « son » acte). Que dire du Parsifal d’Andreas Schager ? S’il est cristallin dans les aigus, si d’une manière générale, son interprétation vocale est solide, remplissant l’immensité de l’Opéra Bastille (un exploit en soit déjà), il laisse, lui, osons le dire, plutôt indifférent. Les lieux communs qui lui sont attribués dans la mise en scène ne permettent pas non plus de voir ou apercevoir un quelconque relief. Dommage. Félicitons les nombreux petits rôles en pleine forme et le travail des chœurs de l’Opéra de Paris, sous la direction spiritosa de José Luis Basso.

L’Orchestre sous la baguette toujours raffinée de Philippe Jordan étale une sonorité uniforme et correcte. Sophistiquée voire sévère dans la forme, sa direction explore la partition avec sagesse. Le final éthéré reste un moment de grande beauté. S’il n’est pas obligatoire de jouer Wagner avec la force de la grandeur que le compositeur s’est auto-attribuée, le geste s’affirme juste, mais elle est souvent sans conviction. Peut-être le chef est-il secrètement du même avis que le philosophe Nietzsche quand il dit, tout en louant la force et la beauté d’une grande partie de l’opéra, qu’il était question ici d’une « œuvre malicieuse… mauvaise… outrageante pour la morale ». Tout en reconnaissant sa séduction formelle, la partition n’est elle pas en soi vénéneuse et dangereuse ? Encore à l’affiche à l’Opéra Bastille le 20 et 23 mai 2018. Comme celle antérieure à Paris signée Warlikowski, encore une nouvelle production wagnérienne qui ne laissera pas un souvenir impérissable.

Compte-rendu, concert. Metz. L’Arsenal de Metz, le 19 avril 2018. Récital Farinelli. Vivica Genaux, mezzo-soprano.

handel_06 flavio 1728 Farinelli Cuzzoni senesino opera handel in londonCompte-rendu, concert. Metz. L’Arsenal de Metz, le 19 avril 2018. â€Â« Farinelli » Concerto de’ Cavalieri, orchestre baroque. Marcello di Lisa, direction. Vivica Genaux, mezzo-soprano. Nous sommes accueillis Ă  Metz dans la cĂ©lèbre salle de l’Arsenal, de rĂ©putation internationale pour son acoustique, dans le cadre d’un concert unique de la mezzo-soprano Vivica Genaux, avec l’orchestre Concerto de’ Cavalieri jouant sur des instruments d’époque sous la direction du chef Marcello Di Lisa. L’occasion est unique pour plusieurs raisons. L’intitulĂ© du concert n’est autre que « Farinelli » : nous avons au programme des morceaux composĂ©s ou retouchĂ©s Ă  l’intention du fameux castrat du XVIIIe siècle, agrĂ©mentĂ©s de pièces instrumentales des maĂ®tres de l’époque, dont bien sĂ»r Haendel et Scarlatti, mais aussi Vivaldi et Corelli.

Une salle pas comme les autres

 

Il est d’autant plus remarquable que l’enregistrement de la bande sonore du film des annĂ©es 90’s Farinelli, de GĂ©rard Corbiau, s’est Ă©galement fait Ă  l’Arsenal de Metz pour des raisons technologiques et acoustiques. Il y a donc ce soir une sensation de rĂ©capitulation musicale grâce Ă  ce concert oĂą nous pouvons constater davantage les qualitĂ©s qu’a créé la renommĂ©e de cette salle extraordinaire. Le son cristallin et limpide impacte l’audience dès les premières mesures du Concerto grosso op.6 n°4 en rĂ© majeur de Corelli, exĂ©cutĂ© Ă  la perfection par le Concerto de’ Cavalieri.

 

Baroque pyrotechnique

Au cours de la soirée la mezzo-soprano ravit les cœurs avec les airs de Haendel tels que Lascia ch’io pianga et Cara Sposa, dont les performances furent tendre et intense respectivement. Le Salve Regina de Pergolèse chanté avec beaucoup d’émotion maîtrisée, contenue, est une sorte de respiration / méditation à côté de l’archi célèbre air de Hasse retouché par Broschi « Son qual nave », où la cantatrice fait preuve d’une grande intelligence vis-à-vis des vocalises interminables. Elle réussit avec des ornementations particulières, parfois inattendues. Elle campe cet air avant l’entracte laissant le public enflammé et affamé.

Le programme se termine officiellement en tout brio avec l’air de Carlo Broschi « Qual guerriero in campo armato », fait sur mesure pour son frère le castrat Farinelli. Les lignes vocales ne sont pas sans rappeler l’autre célèbre air de Borschi/Hasse « Son qual nave ». Si la frivolité de cet air peut offenser certaines profondeurs délicates, il est surtout et avant un tour de force et une pièce de résistance, un vrai show-stopper que la mezzo-soprano ne fait que trop bien interpréter avec son gosier mitraillette, et dont la performance est compensé d’applaudissements effrénés et de bravos illimités. Vivica Genaux offre à l’auditoire le bis pyrotechnique baroque par excellence, l’air de Vivaldi « Agitata da due venti », où elle s’abandonne aux acrobaties vocalisantes sans difficulté apparente, pour la grande joie du public.

Un concert dont nous nous souviendrons certainement et qui a définitivement cautionné le déplacement, et pour la salle et pour les artistes invités

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Compte rendu, opĂ©ra. TOURS. OpĂ©ra, le 16 mars 2018. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Jean / Sinivia

Compte rendu, opĂ©ra. TOURS. OpĂ©ra, le 16 mars 2018. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Jean / Sinivia. Compte rendu, opĂ©ra. TOURS. OpĂ©ra, le 16 mars 2018. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Barbara Bargnesi, Gustavo Quaresma, Mikhael Piccone, Marc Barrard… Choeurs de l’opĂ©ra, Orchestre Symphonique RĂ©gion Centre-Val de Loire/Tours. Samuel Jean, direction musicale. Adriano Sinivia, mise en scène.

Le plus chaleureux bijoux comique de Donizetti vient fondre la glace hivernale Ă  l’OpĂ©ra de Tours! La production de l’OpĂ©ra de Lausanne, signĂ©e Adriano Sinivia, est assurĂ©e par une distribution rayonnante de jeunesse. Les choeurs et orchestre de l’opĂ©ra interprètent l’œuvre lĂ©gère avec un charme indĂ©niable. Un melodramma giocoso succulent malgrĂ© les bĂ©mols.

 

 

 

Une comédie romantique pas comme les autres

  

 

TOURS opera elisir amore samuel jean compte rendu critique par classiquenews©MariePétry

  

 

L'OpĂ©ra de TOURS affiche l'ELISIR d'AMORE de DONIZETTIDonizetti, grand improvisateur italien de l’Ă©poque romantique (au dĂ©but du siècle), compose L’Elisir d’Amore en deux mois (pas en deux semaines!) en 1832. Le texte de Felice Romani s’inspire du livret de Scribe pour l’opĂ©ra d’Auber « Le Philtre », dont la première a eu lieu un an auparavant. L’opus est une comĂ©die romantique en toute lĂ©gèretĂ©, racontant l’amour contrariĂ© du pauvre Nemorino pour la frivole et riche Adina, et leur lieto fine grâce Ă  la tromperie de Dulcamara, charlatan, et son magico elisire. Une Ĺ“uvre d’une jouissance infatigable, vĂ©ritable cadeau vocal pour les 5 solistes, aux voix dĂ©licieusement flattĂ©es par les talents du compositeur.

Le jeune ténor brésilien Gustavo Quaresma dans le rôle de Nemorino est tout tendre et touchant, bondissant à souhait sur le plateau, avec du swing dans les ensembles et très mignon dans les solos. L’archicélèbre romance du 2e acte « Una furtiva lagrima » est son sommet d’expression vocale ; il y rayonne de chaleur et d’humanité. A ses côtés, la soprano Barbara Bargnesi dans le rôle d’Adina, interprète avec brio le rôle coquin de la jeune femme gâtée par la nature, bien née, et bien dôtée. Sa prestation vocale est fabuleuse, son timbre charnu et la virtuosité insolente dans les nombreuses vocalises touchent l’auditoire, et compensent les très peu nombreux défaut de justesse. Elle est aussi excellente actrice, convaincante dans l’espièglerie comme dans le pathos final.
Le Dulcamara de Mark Barrard est une force comique d’un magnĂ©tisme assumĂ©. Sa performance captive,… et par sa voix large et saine, et par son jeu d’acteur, malin et vivace Ă  souhait ! Le Belcore de Mikhael Piccone est un cas particulier. S’il joue très bien le rĂ´le du grand beau-gosse militaire insouciant et prĂ©tentieux, avec un je ne sais quoi d’élĂ©gant dans sa posture et sa plastique, aussi avec sa musique plutĂ´t rustique au charme facile, l’affectation dans la voix, plutĂ´t drĂ´lissime, empĂŞche parfois la projection. Nous apprĂ©cions les qualitĂ©s de la Giannetta de Julie Girerd, soliste des choeurs de l’opĂ©ra sous la direction d’Alexandre Hervient. Remarquons d’ailleurs l’excellente prestation du choeur, en très bonne forme : il est de bout en bout rĂ©jouissant !

L’Orchestre Symphonique RĂ©gion Centre-Val de Loire/Tours est dans la meilleure des formes Ă©galement. Sous la direction de Samuel Jean, les bois se distinguent souvent, et la couleur mĂ©lancolique ressort davantage avec le choix de tempi parfois ralentis. Donizetti se distingue par son don incroyable des sensations et des sentiments sincères dans la texture mĂŞme de la musique. La caractĂ©risation musicale est incroyable et d’un naturel confondant (Ă  l’opposĂ© de la farce dĂ©licieuse d’un Rossini plus archĂ©typale Ă  notre avis). Dans ce sens, la production d’Adriano Sinivia, avec les dĂ©cors magistraux de Cristian Taraborrelli s’accorde Ă  ces aspects. Il s’agĂ®t lĂ  d’un mĂ©lodrame joyeux d’un petit monde gigantesque, oĂą des personnages simples s’adonnent Ă  une vie simple dans les prĂ©s, Ă©picĂ©e des pĂ©ripĂ©ties sentimentales grâce Ă  l’oeuvre d’un charlatan/entremetteur. Fortement recommandĂ© Ă  nos lecteurs pour guĂ©rir tous les maux ! Encore Ă  l’affiche demain, le mardi 20 mars 2018.

 

 

 

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Compte rendu, opĂ©ra. TOURS. OpĂ©ra, le 16 mars 2018. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Jean / Sinivia. Compte rendu, opĂ©ra. TOURS. OpĂ©ra, le 16 mars 2018. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Barbara Bargnesi, Gustavo Quaresma, Mikhael Piccone, Marc Barrard… Choeurs de l’opĂ©ra, Orchestre Symphonique RĂ©gion Centre-Val de Loire/Tours. Samuel Jean, direction musicale. Adriano Sinivia, mise en scène. Illustrations : © Marie PĂ©try

 

 
 

 
 

Compte-rendu, opĂ©ra. Lille, OpĂ©ra, le 19 mai 2017. VIVALDI : Arsilda. Lucile Richardot… Collegium 1704,Vaclav Luks / David Radok

Compte-rendu, opĂ©ra. Lille, OpĂ©ra, le 19 mai 2017. VIVALDI : Arsilda. Lucile Richardot… Collegium 1704,Vaclav Luks / David Radok. Première française de l’Arsilda de Vivaldi Ă  l’OpĂ©ra de Lille ! Une coproduction internationale de haute qualitĂ© avec le fabuleux ensemble Collegium 1704 en charge de la musique, finement dirigĂ©e par son chef, Vaclav Luks. La distribution tout aussi internationale rayonne de talents, la mise en scène atemporelle du tchèque David Radok rĂ©ussit Ă  captiver un public divers, avec perruques poudrĂ©es et iphone sur scène ! Un choc heureux et une production d’une incroyable actualité !

 

 

 

Vivaldi l’exubérant : une Arsilda enthousiasmante à Lille

Le concert des sentiments

 

 

Antonio_Vivaldi grand portrait classiquenews_1L’archicĂ©lèbre « PrĂŞtre Roux » vĂ©nitien, Antonio Vivaldi, est l’une des figures de la musique classique les plus connues grâce, notamment, Ă  ses compositions instrumentales, tels que les nombreux concerti pour violon, dont les fameuses 4 saisons. Or, dans une Ĺ“uvre presque aussi large que celle d’un Mozart, avec plus de 500 concerti, et 46 opĂ©ras, nous nous rĂ©jouissons de l’attention qu’on porte de plus en plus Ă  ses pièces mĂ©connues. L’Arsilda en tournĂ©e concerne le dernier opĂ©ra vĂ©nitien du compositeur, contemporain de sa Juditha Triumphans (1716), le seul oratorio de Vivaldi ayant survĂ©cu au passage du temps, et qui dĂ©ploie une grande exubĂ©rance. Comme d’habitude dans la Venise lyrique du baroque tardif, selon les maintes conventions d’opera seria, l’histoire du livret n’est qu’un prĂ©texte quelque peu Ă©rudit, particulièrement propice Ă  la mise en musique d’un riche Ă©ventail de sentiments, avec un regard Ă  la fois cynique et plein d’espoir sur les contradictions , inhĂ©rentes Ă  la condition humaine. Ainsi, Arsilda, reine du Pont, aime Tamese, roi de Cilicie prĂ©sumĂ© mort dont la sĹ“ur Lisea assume l’identitĂ© en travesti pour un devoir politique. Lisea est Ă©prise de Barzane, roi de Lydie et ami de Tamese, mais il finit par tomber amoureux d’Arsilda. Tout se termine dans le lieto fine classique, en l’occurrence un double mariage après moult vicissitudes, masques tombĂ©es, fausses identitĂ©s dĂ©voilĂ©es, orgueils ravalĂ©s… Tamese regagne son trĂ´ne et se marie avec Arsilda, tandis que Lisea regagne, non sans une amertume inavouable mais bien audible, Berzane.

Dans cette production, le chef Vaclav Luks a eu l’intelligence de reprendre l’air de Lisea du deuxième acte « Fra cieche tenebre » et d’en faire la vĂ©ritable fin de l’opĂ©ra, après le double-mariage d’une perplexitĂ© et d’un impact psycho-Ă©motionnel qui anticipe celui de Cosi fan tutte de Mozart, créé presque un siècle plus tard. Dans cet air pathĂ©tique et court, Lisea, chantant sa dĂ©solation, entone une prière, une imploration abstraite de consolation. Le happy-ending conventionnĂ© cède enfin Ă  la rĂ©alitĂ©.

Heureuse rĂ©alitĂ©, celle de cette première ! Quel plaisir de voir un travail de recherche courageux et pointu si finement exĂ©cutĂ©! L’orchestre Collegium 1704 et son choeur Collegium Vocale 1704 sont la barque immuable sur laquelle nous traversons l’ocĂ©an des souffrances humaines et d’autres affects baroques rĂ©sonnant toujours d’actualitĂ© de nos jours. Qu’il s’agisse des cordes agitĂ©es pendant les nombreuses descriptions des phĂ©nomènes naturelles, ou encore les rares et excellentes participations ponctuelles des vents -cuivrĂ©s et boisĂ©s!-, ou encore le continuo irrĂ©prochable assurĂ© par les clavecins, thĂ©orbes & co. Une première oĂą la musique est sans doute la protagoniste, avec les nombreux visages et talents singuliers de ses interprètes.

Dans ce sens, la distribution est Ă  la hauteur du pari, mĂŞme si pas toujours Ă©gale et avec un petit instant d’Ă©chauffement nĂ©cessaire pour certains rĂ´les. Le baryton-basse argentin Lisandro Abadie dans le rĂ´le de l’oncle Cisardo qui ouvre l’oeuvre, a un timbre sĂ©duisant, un registre large avec une bonne dose de virtuositĂ©. Bien sĂ»r, la virtuositĂ© pyrotechnique est plutĂ´t relĂ©guĂ©e aux seconds rĂ´les comme celui de l’oncle mais aussi celui de Mirinda, confidente d’Arsilda, brillamment interprĂ©tĂ© par la soprano Lenka Macikova. Elle a les morceaux les plus agiles et les plus charmants, et fait ainsi preuve d’une virtuositĂ© vocalisante, rayonnante de panache et de personnalitĂ©. Son air « Io son quel gelsomino » clĂ´turant le premier acte est un sommet de grâce pastorale et de naĂŻvetĂ©, et la soprano le chante dĂ©licieusement tout en ayant un jeu d’actrice percutant, accompli. Le Berzane du contre-tĂ©nor Justin Kim est tout aussi solide. Les morceaux qui lui sont attribuĂ©s par Vivaldi sont parfois plus dramatiques, sans devenir altiers comme ceux de Lisea ou d’Arsilda. Il est tout autant pyrotechnique et bon acteur, l’effort sur scène est parfois Ă©vident, donnant Ă  son rĂ´le davantage d’humanitĂ© et d’Ă©motion. Beaucoup d’Ă©motion et de virtuositĂ© aussi et surtout dans le rĂ´le de Tamese, interprĂ©tĂ© par le tĂ©nor Fernando Guimaraes, lui aussi touchant d’humanitĂ©. Si sa performance fut juste, il semblait parfois fatiguĂ©.

Tout le contraire en ce qui concerne les rĂ´les de Lisea et d’Arsilda, tenus par Lucile Richardot et Olivia Vermeulen respectivement. Les vĂ©ritables hĂ©roĂŻnes de l’opĂ©ra, leur prĂ©sence sur le plateau captivait immanquablement l’attention totale des spectateurs. La première campe un personnage Ă  la subtilitĂ© et Ă  la sensibilitĂ© Ă  fleur de peau, tout en reprĂ©sentant par son chant et son jeu, une sĂ©rie de sentiments contrastants. Que ce soit dans la hargne ou dans la plainte amoureuse, ou dans le doute et l’hĂ©sitation, ce qu’elle fait avec son instrument pĂ©nètre les cĹ“urs. La justesse de sa diction et son engagement scĂ©nique sont tout aussi remarquables que son chant charnu, veloutĂ©. L’Arsilda d’Olivia Vermeulen est tout pathos, toute dignitĂ©, et elle commande l’attention sans problème. Dès son air d’entrĂ©e, au premier acte : « Io sento in questo seno », nous sommes captivĂ©s par son beau chant, tout aussi riche en Ă©motions que fin dans le legato. Les choeurs sollicitĂ©s Ă  plusieurs reprises sont si dynamiques et la performance si fantastique que nous aurions voulu les entendre davantage.

Que dire de la mise en scène de David Radok ? Le fils d’Alfred Radok, figure mythique de la mise en scène en Europe centrale, s’attaque Ă  l’œuvre avec habiletĂ©. Comme tout opĂ©ra seria oĂą il y a très peu d’action, et oĂą les airs ont cette structure contraignante de la rĂ©capitulation (ou forme A-B-A), la tâche n’est pas Ă©vidente. La proposition du tchèque est en l’occurrence atemporelle et se concentre sur le travail d’acteur. L’œuvre commence en costumes d’Ă©poque et perruques poudrĂ©es et se termine en costumes modernes avec accessoires modernes tels qu’un smartphone ! FĂ©licitations Ă  toute l’Ă©quipe artistique concertĂ©e ; Ă  Zuzana Jezkova pour les costumes fabuleux ; Ă  Andrea Miltnerova pour une chorĂ©graphie illustrative et amusante, Ă  Premysl Janda pour les plus belles lumières, parfois carrĂ©ment inoubliables, ou encore Ă  Ivan Theimer pour les toiles changeantes en fond de scène, d’une poĂ©sie indĂ©niable, souvent invisible aux yeux. Dans le lieu unique choisi par le metteur en scène, assurant aussi la scĂ©nographie, tout est reprĂ©sentation. Cela fonctionne et cela rayonne de modernitĂ© comme de candeur. Radok nous dit que les dĂ©sirs des vĂ©nitiens de l’Ă©poque de Vivaldi ne sont pas si diffĂ©rents des dĂ©sirs actuels, ceux interconnectĂ©s de 2017, et surtout, il nous montre que les contradictions et incohĂ©rences de l’homme, quand il devient esclave de ses dĂ©sirs, continuent d’agiter nos esprits, après trois siècles. Une coproduction de prestige dont la valeur dĂ©passe largement l’investissement et qui peut s’avĂ©rer lĂ©gendaire avec le temps. Très fortement recommandĂ©e Ă  tous nos lecteurs, encore Ă  l’affiche Ă  Lille le mardi 23 mai, puis en tournĂ©e au Luxembourg, Caen (13 et 15 juin) et Versailles (23 et 25 juin 2017).

 

 

 

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Compte-rendu, opĂ©ra. Lille, OpĂ©ra, le 19 mai 2017. VIVALDI : Arsilda, Regina di Ponto. Lucile Richardot, Olivia Vermeulen, Justin Kim, Lisandro Abadie… Collegium 1704, choeurs et orchestre. Vaclav Luks, direction. David Radok, mise en scène.

 

 

 

Compte rendu, opĂ©ra. Paris Bastille, le 16 mai 2017. Eugène OnĂ©guine. TchaĂŻkovski. Netrebko, Mattei… E. Gardner / Willy Decker

tchaikovski Pyotr+Ilyich+Tchaikovsky-1Compte rendu, opĂ©ra. Paris Bastille, le 16 mai 2017. Eugène OnĂ©guine. TchaĂŻkovski. Netrebko, Mattei… E. Gardner / Willy Decker. Retour heureux d’Eugène OnĂ©guine de TchaĂŻkovski Ă  l’OpĂ©ra de Paris. La production maison signĂ©e Willy Decker revient Ă  l’affiche en ce printemps 2017 avec une distribution de choc, dont Anna Netrebko et Peter Mattei sont les protagonistes. L’Orchestre de l’opĂ©ra dans la meilleure des formes est dirigĂ© par le chef Edward Gardner. Une soirĂ©e romantique Ă  souhait, avec un je ne sais quoi d’Ă©lĂ©giaque, de distinguĂ©, comme la poĂ©sie de Pouchkine qui inspire le livret.

Inoubliables scènes lyriques

VĂ©ritable chef d’oeuvre lyrique de TchaĂŻkovski, sans doute son opĂ©ra le plus jouĂ© et le plus connu en dehors de la Russie, l’opĂ©ra est inspirĂ© du roman Ă©ponyme en vers de Pouchkine. Il raconte l’histoire d’OnĂ©guine l’excentrique citadin blasĂ© qui rejette l’amour inconditionnel de la jeune provinciale Tatiana, pour ensuite le regretter 5 ans après, quand il la (re)dĂ©couvre en nouvelle aristocrate, mariĂ©e Ă  l’un de ses amis, le Prince GrĂ©mine. Il revient sur ses choix : il revient sur la dĂ©claration d’amour professĂ©e par Tatiana, avec le but de la faire tout quitter pour lui, lui demandant maintenant ce qu’il n’a pas voulu donner auparavant. Si Tatiana finit par accepter la sincĂ©ritĂ© de leur amour, l’œuvre s’Ă©loigne des conventions romantiques occidentales du XIXe siècle, dans le sens oĂą elle a la force et la dignitĂ©, l’agence vĂ©ritable, d’ĂŞtre maĂ®tresse de son esprit et non pas esclave de ses affects. Ainsi, elle pleure un peu, elle se bat et gagne, elle le remercie…  puis le congĂ©die. Elle repart avec son mari. OnĂ©guine, lui, finit dans le dĂ©sespoir de la solitude.

Dans la nombreuse correspondance existante de Tchaikovski, nous constatons un rapprochement avec l’hĂ©roĂŻne, mais pas que. TchaĂŻkovski le romantique aime la vĂ©ritĂ© des sentiments des personnages de Pouchkine. Des liens avec sa vie personnelle sont bien curieux et mĂŞme frappants. Notamment le fait que lui, Ă  l’encontre d’OnĂ©guine, dĂ©cida de se marier avec une ancienne Ă©lève du conservatoire, Antonina Milioukova qui lui aurait Ă©crit Ă  plusieurs reprises des lettres Ă©prises d’affection. Comme nous le savons, le mariage fut un fiasco et TchaĂŻkovski tomba dans une dĂ©pression suicidaire après six semaines de vie commune.

Rien de pathologique pourtant dans l’excellent travail artistique et la rĂ©alisation des fabuleux interprètes engagĂ©s. La Prima Donna Anna Netrebko dans le rĂ´le de Tatiana est une force musico-théâtrale. Le temps est suspendu pendant la durĂ©e du cĂ©lèbre air de la lettre du premier acte, oĂą elle chante avec une clairvoyance mĂ©lancolique mais surtout du courage, son amour pour OnĂ©guine. Elle est au sommet d’une belle carrière, et nous nous dĂ©lectons de la voir mettre tout son art au service de l’opus du maĂ®tre Russe. Idem pour la prestation magnifique du baryton suĂ©dois Peter Mattei dans le rĂ´le-titre. Quel art, quelle science, quelle sensibilitĂ© Ă  fleur de peau tout en ayant une maĂ®trise indĂ©niable de ses moyens. Surtout quel jeu d’acteur saisissant. Un duo de choc en vĂ©ritĂ© !
Et nous pourrions dire mĂŞme un quatuor de choc, puisque l’Olga de Varduhi Abrahamyan fut excellente comme le Lensky candide et touchant d’humanitĂ© du tĂ©nor Pavel Cernoch, toujours agrĂ©able Ă  voir comme Ă  entendre. En ce qui concerne ce dernier, son air du premier acte fut un sommet de lyrisme dans la soirĂ©e. Remarquons enfin la voix large et la prestance d’Alexander Tsymbalyuk dans le rĂ´le du Prince GrĂ©mine, ou encore le Monsieur Triquet de Raul GimĂ©nez, qui compense l’articulation du français difficile Ă  comprendre avec un jeu scĂ©nique percutant et un instrument toujours bien agile. Les choeurs très sollicitĂ©s sont dans la meilleure des formes sous la direction de JosĂ© Luis Basso.

Un autre protagoniste ? Prestation exemplaire aussi de la phalange parisienne sous la direction du chef Edward Gardner. L’Ă©quilibre entre fosse et orchestre est remarquable pour une première Ă  Bastille, surtout avec l’instrument puissant de la Netrebko. La partition quant Ă  elle se voit exĂ©cutĂ©e avec brio et sensibilitĂ©, elle est riche en mĂ©lodies mĂ©morables qui captivent l’audience. Les vents se distinguent par la beautĂ© des pages que le compositeur leur attribue, et nous sommes bercĂ©s, valsĂ©s, exaltĂ©s en permanence pendant les presque 3 heures de reprĂ©sentation.
Le travail du metteur en scène allemand est d’une efficacitĂ© et d’une sincĂ©ritĂ© permanente :nul acte et nul moment paraĂ®t gratuit ou incongru, et ce en dĂ©pit de la nature du livret coupĂ© en scènes avec peu d’action vĂ©ritable. Comme toujours chez Tchaikovski, c’est le portrait des sentiments qui prime en cette première printanière, et nous avons l’impression que toutes les Ă©quipes concertĂ©es sont d’accord avec le maĂ®tre,  Ă  la hauteur de son Ĺ“uvre. A voir et revoir sans modĂ©ration, Ă  l’OpĂ©ra Bastille les 19, 22, 25, 28 et 31 mai 2017 ainsi que les 3, 6, 11 et 14 juin 2017 (attention : Nicole Car remplace Anna Netrebko pour les reprĂ©sentations du mois de juin).

Compte rendu, danse. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 14 mars 2017. Balanchine : Le Songe d’une nuit d’étĂ©. Simon Hewett, direction musicale.

Compte rendu, danse. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 14 mars 2017. Balanchine : Le Songe d’une nuit d’Ă©tĂ©. Paul Marque, Eleonora Abbagnato, StĂ©phane Bullion, Alice Renavand… Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. FĂ©lix Mendelssohn, compositeur. Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris. Anne-Sophie Ducret, Pranvera Lehnert, solistes. Simon Hewett, direction musicale. EntrĂ©e au rĂ©pertoire du ballet narratif de Balanchine, Le Songe d’une Nuit d’EtĂ© d’après la dĂ©licieuse comĂ©die de Shakespeare. Une raretĂ© dans l’œuvre du maĂ®tre nĂ©oclassique, encore mĂ©connue en France, la chorĂ©graphie permet Ă  l’occasion aux jeunes talents du Ballet de l’OpĂ©ra, d’assumer des rĂ´les, pendant qu’une partie de la compagnie est en tournĂ©e Ă  l’Ă©tranger. Sur les musiques de Felix Mendelssohn, chĹ“ur et orchestre sont dirigĂ©s par le chef Simon Hewett pour une soirĂ©e d’amour et d’humour fĂ©erique, bondissant et lĂ©ger.

 

 

 

Un Songe délicieux

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Avec l’ancien directeur du Ballet, la maison nationale a eu une ouverture remarquable vis Ă  vis de Balanchine et son Ĺ“uvre. Pendant le court mandat Millepied nous avons vu donc une sĂ©rie de pièces du Russe, entrer au rĂ©pertoire de l’OpĂ©ra. L’ouverture continue maintenant avec la nouvelle directrice de la danse, AurĂ©lie Dupont, et le moment est finalement venu pour Le Songe de Balanchine d’ĂŞtre appris et dansĂ© par le Ballet parsien ! La nouvelle production s’inspire directement des maquettes originales, surtout en ce qui concerne les dĂ©cors et les costumes signĂ©s Christian Lacroix. A la musqiue de Mendelssohn, dĂ©jĂ  citĂ©e, (musique de scène pour la pièce de Shakespeare), sont ajputĂ©s ses opus 21 et 61, avec l’ajout d’autres pièces supplĂ©mentaires du compositeurs, comme le poème symphonique Die Schöne Melusine, féérique Ă  souhait. Le chĹ“ur de l’opĂ©ra et les solistes Anne-Sophie Ducret et Pranvera Lehnert interprète les morceaux chantĂ©s dans la fosse comme d’habitude. Dès les premières mesures de l’ouverture, l’ambiance fantastique est instaurĂ©e, avec un orchestre très en forme et complice (seul bĂ©mol : les cuivres parfois faux). Le chant agrĂ©mente davantage et rehausse l’attrait de la production.

balanchine28Balanchine, peu habituĂ© Ă  chorĂ©graphier des ballets narratifs, rĂ©duit l’intrigue de Shakespeare Ă  une histoire d’amour et met en valeur les diffĂ©rentes facettes des relations amoureuses. Il n’y a pas de vĂ©ritable rigueur au sein de la dramaturgie, avec un premier acte de plus d’une heure, oĂą il y a de l’action, et un deuxième plus court qui n’est que du divertissement ; comme d’habitude chez Balanchine la virtuositĂ© est surtout l’affaire de la ballerina, son Ă©lĂ©ment fĂ©tiche. Ce soir, l’Etoile Eleonora Abbagnato danse le rĂ´le de Titania qui lui sied comme un gant de soie. L’allure altière et le raffinement sont lĂ , saisissants mais aussi, et surtout, l’attitude et l’arabesque sont très belles, avec un je ne sais quoi de coquin, rayonnant, de naturel et de tonicitĂ© avec l’illusion toujours efficace et impressionnante de l’absence d’effort. L’Abbagnato est Titania, pour notre plus grande bonheur.
abbagnato eleonora le-songe-d-une-nuit-d-ete_repetition_emmanuel-thibault_eleonora-abbagnatoSon ObĂ©ron n’est autre que le jeune Paul Marque, rĂ©cemment nommĂ© Sujet suite Ă  ses performances exemplaires au Prix de Varna. Il est ce soir un Roi des fĂ©es des plus Ă©lĂ©gants: ses lignes, son legato distinguĂ©, ses entrechats captivent. Sa pantomime est efficace sans ĂŞtre affectĂ©e. Un beau couple princier. L’Etoile StĂ©phane Bullion est, lui, tout aussi remarquable dans le rĂ´le du Chevalier de Titania et nous avons droit Ă  un fabuleux duo avec Titania au premier acte oĂą il est un excellent partenaire, de surcroĂ®t sĂ©ducteur. Le Puck d’Hugo Vigliotti bondissant est mignon et drĂ´le, comme l’est le Bottom facĂ©tieux, grotesque ma non troppo, de Francesco Vantaggio. Les couples d’Hermia et Lysandre, et HĂ©lĂ©na et DĂ©mĂ©trius sont interprĂ©tĂ©s par LaĂ«titia Pujol / Alessio Carbone et Fanny Gorse / Audric Bezard respectivement. Remarquons particulièrement l’HĂ©lĂ©na hystĂ©rique et hyperactive de Fanny Gorse, CoryphĂ©e (!), et l’allure macho mais beau gosse du DĂ©mĂ©trius de Bezard, Premier Danseur. La Pujol et Alessio Carbone sont peut-ĂŞtre plus en retrait mais avec un bel investissement. L’Hippolyte d’Alice Renavand, Etoile, est virtuose et captivante, tandis que le ThĂ©sĂ©e du Premier Danseur Florian Magnenet est tout Ă  fait princier, mais pas très hĂ©roĂŻque — Illustration : Eleonora Abbagnato en rĂ©pĂ©tition.

Au deuxième acte, paraĂ®t le couple formĂ© par Karl Paquette, Etoile et Sae Eun Park, première Danseuse rĂ©cemment nommĂ©e. Ils sont excellents, virtuoses, elle plus tremblotante que lui, bien sĂ»r, et lui toujours beau et solide partenaire. N’oublions aussi l’excellente interprĂ©tation du Corps de Ballet de l’OpĂ©ra, très sollicitĂ© dans ce ballet, et des Ă©lèves de l’Ecole de Danse de l’OpĂ©ra, très touchants ! En conclusion, c’est une soirĂ©e fĂ©erique oĂą s’accordent plus ou moins harmonieusement, la danse nĂ©oclassique virtuose, une comĂ©die timide mais coquine et les plus belles pages de musique jamais Ă©crites. Fabuleux spectacle drĂ´le, attendrissant et lĂ©ger. Encore Ă  l’affiche de l’OpĂ©ra Bastille, les 15, 17, 18, 21, 23, 24, 27 et 29 mars 2017.

 

 

 

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 10 mars 2017. Bizet : Carmen. Roberto Alagna, B. de Billy / C. Bieito

alagna don jose operabastille mars et juillet 2017 compte rendu critique classiquenewsCompte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 10 mars 2017. Georges Bizet : Carmen. Roberto Alagna, ClĂ©mentine Margaine, Aleksandra Kurzak, Roberto Tagliavini… Choeur et Orchestre de l’OpĂ©ra. JosĂ© Luis Basso, chef des choeurs. Bertrand de Billy, direction musicale. Calixto Bieito, mise en scène. Retour hyper attendu de l’opĂ©ra français par excellence, l’archicĂ©lèbre Carmen de Georges Bizet, Ă  l’OpĂ©ra Nationale de Paris ! Une fin d’hiver…. brĂ»lante par son esprit mĂ©diterranĂ©en grâce aux talents concertĂ©s d’une distribution inĂ©gale mais solide, avec Roberto Alagna en chef de file. La direction musicale est assurĂ©e plus ou moins en dernière minute par le maestro Bertrand de Billy, suite au dĂ©part du jeune chef initialement programmĂ© Lionel Bringuier, pour des « raisons personnelles ». Un des « bad boys » de l’opĂ©ra, Calixto Bieito, signe une mise en scène qui a fait le tour du monde, pour de très bonnes raisons, et qui palpite d’actualitĂ© en dĂ©pit des annĂ©es. Georges Bizet (1838 – 1875) sans doute le compositeur français le plus cĂ©lèbre du 19e siècle, et peut-ĂŞtre de tous les temps grâce Ă  l’immense popularitĂ© internationale de ses pages, quitte notre monde exactement 3 mois après la première Ă  l’OpĂ©ra Comique de son chef-d’Ĺ“uvre incontestable Carmen, dont le livret est une adaptation de la nouvelle de MĂ©ritĂ©e, par Henri Meilhac et Ludovic HalĂ©vy. On aime croire que le public et la critique avaient Ă  l’Ă©poque de la crĂ©ation, dĂ©testĂ© l’œuvre par son contenu, jugĂ© immoral par la sociĂ©tĂ© bourgeoise hypocrite du XIXe siècle.

 

 

 

Carmen, antidote à la névrose

 

Or, il est curieux de constater les 35 reprĂ©sentations achevĂ©es au Comique, quand des « cartons » lyriques dans nos temps, n’ont parfois que 5 ou 6 reprĂ©sentations… Encore plus curieux de voir qu’en 2017, cette Ĺ“uvre dans les mains habiles d’un metteur en scène suscite toujours les rĂ©actions bruyantes d’une minoritĂ© du public qui ne supporte pas que Carmen soit une autre chose qu’une Ĺ“uvre d’Ă©vasion, Ă  l’exotisme rĂ©confortant. Curieux public ambigu surtout, qui a massacrĂ© la production de Carmen d’Yves Beaunesne de 2012, certes inintĂ©ressante et que nous avons vite oubliĂ©e, mais dont la seule valeur rĂ©sidait prĂ©cisĂ©ment dans un esprit d’Ă©vasion naĂŻve rocambolesque et affirmĂ©…

 

Ni Roberto Alagna annoncĂ© souffrant, mais qui assure quand mĂŞme la première, accessoirement soirĂ©e de Gala, ni le chef remplacĂ© peu de temps avant la première ont fait de cette première un fiasco. Au contraire, l’OpĂ©ra de Paris relève enfin le dĂ©fi d’offrir une Carmen de grande valeur Ă  son public complexe et diverse, assoiffĂ© d’art. La joie commence dans la fosse d’orchestre oĂą Bertrand de Billy dirige un orchestre pĂ©tillant et plein de brio. Les nombreux effets spĂ©ciaux dans l’orchestration sont savamment exĂ©cutĂ©s, et si l’on peut penser par moments Ă  des questions comme l’Ă©quilibre et les tempi plutĂ´t rapides, le rĂ©sultat est tout Ă  fait heureux et très espagnol, s’accordant ainsi brillamment Ă  la production mĂ©diterranĂ©enne (n’oublions pas que le soleil sicilien brille naturellement chez Alagna!). Le souvenir des interludes est particulièrement beau et les bois ont offert une prestation excellente et joyeuse.

 

 

alagna-roberto-donjose-opera-bastille-mars-2017Moins joyeuse cependant, la souffrance d’un Roberto Alagna toujours magnĂ©tique sur scène et passionnĂ©. Il connaĂ®t très bien la production et la collaboration avec Bieito est de valeur. Comment critiquer la performance vocale d’un homme souffrant ? En l’occurrence nous sommes tellement stimulĂ©s par son art de la diction en Don JosĂ©, une maĂ®trise de l’articulation de la langue française mĂŞme malade, que nous conserverons plutĂ´t ce souvenir que celui d’une voix qui se casse au moment le plus intense de la partition. La performance est touchante d’humanitĂ© et l’investissement scĂ©nique du tĂ©nor est toujours impressionnante.

Ses duos avec MicaĂ«la et Carmen sont d’une beautĂ© troublante. L’excellente Carmen de ClĂ©mentine Margaine a une voix large et imposante, elle rĂ©ussit le dĂ©fi de remplir l’immensitĂ© de la salle avec son instrument.

 

 

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Nous avons prĂ©fĂ©rĂ© son « Près des remparts de SĂ©ville » au premier acte Ă  son Habanera. Ici elle fait preuve d’un art vocal subtile, avec des aigus dĂ©licieux et une ligne de chant captivante par les effets si beaux qu’elle ajoute. La chanson bohème au deuxième acte avec Frasquita et Mercedes est peut-ĂŞtre moins rĂ©ussie que le trio des cartes au troisième acte, oĂą elles font toutes preuve de peps et de complicitĂ©, et vocale et scĂ©nique. DĂ©buts heureux Ă  l’OpĂ©ra de Paris pour la jeune mezzo française !

 

 

La MicaĂ«la d’Aleksandra Kurzak est d’une beautĂ© sincère mais inĂ©gale. IrrĂ©prochable au niveau scĂ©nique, nous garderons surtout le souvenir de ses piani très beaux et oublierons sa diction. L’Escamillo de Roberto Tagliavini est un d’une voix large et sombre, la performance est solide, sans plus. Remarquons Ă©galement les performances des 2e rĂ´les tels que le Morales, enchanteur et sĂ©ducteur de Jean-Luc Ballestra ou encore l’excellente Vannina Santoni en Frasquita, faisant ses dĂ©buts Ă  la maison parisienne. Le chĹ“ur de l’opĂ©ra augmentĂ© du chĹ“ur d’enfants et de la MaĂ®trise des Hauts-de-Seine, a aussi brillĂ© d’un dynamisme sans Ă©gal !

Que dire de la mise en scène Ă©purĂ©e de Calixto Bieito ? Connu pour ses transpositions, parfois très regietheatre, sa Carmen datant d’il y a 18 ans, parle encore plus que jamais. Elle est intelligente et belle, parfois mĂŞme poĂ©tique, mais surtout d’une impressionnante efficacitĂ©. Elle stimule l’esprit critique sans ĂŞtre pourtant prĂ©tentieuse. Elle n’est pas abstraite mais n’insulte pas non plus l’intellect par condescendance. Au contraire, elle rehausse la valeur du livret rempli des clichĂ©s. La production se situe plus ou moins Ă  la fin de la dictature de Franco, et si des esprits fragiles trouvent insupportable et vulgaire la rĂ©alitĂ©, ce soir fut l’occasion pour ceux-ci de purger leurs prĂ©jugĂ©s par le moyen de quelques huĂ©es injustifiĂ©es, et d’une logorrhĂ©e criarde et bebette. Si nous apprĂ©cions moins le rĂ´le d’Escamillo dans cette production, la lecture est rĂ©vĂ©latrice en ce qui concerne les profondeurs du personnage de MicaĂ«la. Carmen & co., sont fantastiques en vraies femmes (et loin des gitanes exotiques ou femmes fatales), et les scène de foule sont particulièrement remarquables, notamment celle du torĂ©ador oĂą les chĹ“urs interprètent « Les voici ! » dans l’espace clĂ´s et vide du plateau, en regardant l’auditoire comme s’il s’agissait du dĂ©filĂ© d’entrĂ©e des torĂ©adors.

 

 

 

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Une mise en scène qui s’inscrit aussi dans cette idĂ©e de Nietzsche oĂą Carmen serait la rĂ©ponse lumineuse et gaie Ă  la musique de Wagner, l’antidote au philtre de Tristan. Très fortement recommandĂ© Ă  nos lecteurs, Ă  voir et revoir sans modĂ©ration ! A l’affiche avec plusieurs distributions Ă  l’OpĂ©ra Bastille, les 13, 16, 19, 22, 25, 28, 31 mars, ainsi que les 2, 5, 8, 11 et 14 avril, puis de retour l’Ă©tĂ© aux mois de juin et juillet 2017.

 

 

 

Compte rendu, concert. Théâtre des Champs Elysées. 5 fevrier 2017. Scottish Chamber Orchestra. Robin Ticciati, direction musicale. Maria Joao Pires, piano

Compte rendu, concert. PARIS, Théâtre des Champs ElysĂ©es, le 5 fĂ©vrier 2017. Scottish Chamber Orchestra. Robin Ticciati, direction musicale. Maria Joao Pires, piano. Passage immanquable du Scottish Chamber Orchestra et de la pianiste Maria Joao Pires au Théâtre des Champs ElysĂ©es pour un concert plein de charme en subtilitĂ© et brio populaire ! L’ensemble est sous la direction remarquable du jeune chef Robin Ticciati.

 

 

 

Charme et brio pour Dvorak, Mozart et Haydn

 

 

Maria-Joao-Pires-c-Felix-Broede-DGLe programme de la soirĂ©e commence avec des extraits de la version orchestrale de Legendes Op.59 de Dvorak. A l’origine pour piano Ă  quatre mains, l’œuvre est un cycle de petites pièces dĂ©diĂ© au cĂ©lèbre critique musical Allemand de BohĂŞme, Eduard Hanslick. Le Scottish Chamber Orchestra en propose 5 sur les 10, autour d’un Allegretto Grazioso (n°7) en la oĂą l’ensemble fait preuve d’un dynamisme particulier alternant entre grâce folklorique et brio romantique, et ce chez tous les instrumentistes (remarquons les bois d’une candeur pĂ©tillante!). Elle se termine avec le Molto Maestoso (n°4) tout Ă  fait imposant, qui fait penser Ă  une promenade distinguĂ©e autour du Château de ZvĂ­kov, le roi des châteaux en BohĂŞme.

Vient ensuite la pianiste portugaise Maria Joao Pires pour le dernier Concerto pour piano de Mozart, celui en si bĂ©mol majeur achevĂ© dĂ©but janvier de l’annĂ©e de sa mort prĂ©maturĂ©e, 1791. Le dialogue diaphane entre le piano et l’orchestre est une Ă©vidence dès le dĂ©part comme souvent chez Mozart. Ce soir Ticciati et Pires sont en plus très complices, une complicitĂ© qui relève du grand respect, mais surtout de la grande admiration envers le gĂ©nie Salzbourgeois. Si l’interprĂ©tation des mouvements extĂ©rieurs est surtout immaculĂ©e pour le premier et dansante pour le dernier, en ce qui concerne l’orchestre, avec de très jolis vents, l’opus orbite autour du mouvement centrale d’une beautĂ© inouĂŻe, Ă  la douceur presque religieuse et, dans les mains de Maria-Joao Pires, d’une intĂ©rioritĂ© saisissante. L’impact est tel qu’il est gĂ©nĂ©reusement offert en tant que bis Ă  la fin du concert, pour le grand bonheur de l’auditoire !

Robin Ticciati at Glyndebourne, East Sussex, Britain - 25 Jun 2011Le programme se termine avec la dernière symphonie de Haydn, la 104 en rĂ© mineur dite « Londres ». Elle fait partie du cycle des symphonies composĂ© Ă  Londres Ă  la fin du 18e siècle par le compositeur autrichien. Nous y trouvons tout l’art du père du Classicisme viennois, mĂŞme dans une tonalitĂ© mineure rare, avec les mouvements extĂ©rieurs les plus entraĂ®nants, l’initial avec adagio introductif tout Ă  fait princier, et le dernier avec un brio idĂ©alement exultant ! Occasion idĂ©ale pour chef et orchestre de montrer encore plus leur qualitĂ©s. Robin Ticciati comme Haydn, va de l’allĂ©gresse populaire Ă  la pompe presque militaire avec une facilitĂ© et un naturel remarquables, avec une joie tout Ă  fait Ă©vidente. Tour de force indĂ©niable pour le chef et l’orchestre ! Une soirĂ©e riche en couleurs, surtout gĂ©nĂ©reuse en charme et en brio !

 

 

 

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Compte rendu, concert. Paris, Théâtre des Champs Elysées, le 5 février 2017. Scottish Chamber Orchestra. Robin Ticciati, direction musicale. Maria Joao Pires, piano.

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 18 janvier 2017. Wagner : Lohengrin. Jonas Kaufmann, Martina Serafin, RenĂ© Pape… Philippe Jordan.

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 18 janvier 2017. Richard Wagner : Lohengrin. Jonas Kaufmann, Martina Serafin, RenĂ© Pape… Choeurs et Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. JosĂ© Luis Basso, chef des choeurs. Philippe Jordan, direction musicale. CrĂ©ation parisienne du Lohengrin milanais de Claus Guth. L’opĂ©ra romantique en trois actes de Richard Wagner revient Ă  la maison nationale dans une fabuleuse distribution dont le très attendu Jonas Kaufmann dans le rĂ´le-titre, Martina Serafin dans le rĂ´le d’Elsa et RenĂ© Pape dans le rĂ´le du Roi de Germanie. L’Orchestre de l’OpĂ©ra est dirigĂ© avec prĂ©cision et sensibilitĂ© par le chef Philippe Jordan. Un partie du public rĂŞvant du mirage temporairement rĂ©confortant du cygne blanc est dans la perplexitĂ© devant la justesse historique de la production de Claus Guth,… sans féérie ; une soirĂ©e avec quelques aspects ahurissants et incongrus mais surtout une soirĂ©e rayonnante de talents comme d’humanitĂ©.

Lohengrin : un “hĂ©ros” pas comme les autres…
KAUFMANN : SOLAIRE
JORDAN : HIERATIQUE MAIS RAFFINÉ

kaufmann-jonas-tenor-lohengrin-bastilleLe poème Ă©pique dont s’inspire le compositeur très librement date du XIIIeme siècle et est de la plume d’Eschenbach. Wagner, comme d’habitude, situe l’action (atemporelle dans le poème) dans un fait historique du Xeme siècle germanique. Dernier opĂ©ra -Ă  proprement parler- de Richard Wagner, il raconte l’histoire de Lohengrin, fils de Parsifal, chevalier au Cygne Blanc, hĂ©ros artiste qui vient au monde avec le but de trouver enfin son Ă©panouissement, mais qui finit par n’y constater que de dĂ©sillusion et mort. Il arrive après la plainte d’Elsa, hĂ©ritière de Brabant, gardĂ©e par Telramund l’ami, suite Ă  la mort de ses parents. A cause des machinations et manipulations de sa femme Ortrud, il accuse Elsa du meurtre de son frère Gottfried de Brabant et exige du Roi sa punition mortelle. Le Roi ne peut qu’accorder un jugement par combat, et Elsa fait appel Ă  un chevalier pour sa cause. Voici Lohengrin qui se manifeste et qui gagne, qui impose la condition de son sĂ©jour : qu’elle ne lui pose jamais la question de son identitĂ©. Ortrud, orgueilleuse, manipulatrice blessĂ©e (et aussi sorcière!), regagne la confiance d’Elsa : l’enchanteresse arrive Ă  semer le doute chez elle, jusqu’au moment de la dĂ©ception ultime, quand elle pose la terrible question au chevalier du cygne, qui s’en va par la suite. Pour un pseudo lieto fine, Richard Wagner fait en sorte que Gottfried rĂ©apparaisse -il Ă©tait le cygne, Ortrud l’avait ensorcelĂ©-, donc le frère et la sĹ“ur pourront accomplir leur mission politique, malgrĂ© la terrible dĂ©ception du sauveur et l’Ă©moi de celle qui l’a trahi.

Coup de gĂ©nie et de sincĂ©ritĂ© rafraĂ®chissante :  voir la production de Claus Guth, qui transpose l’action Ă  la pĂ©riode de la crĂ©ation de l’oeuvre, c’est-Ă -dire au  plein milieu du 19e siècle. Si la mise en scène fait penser, visuellement au moins, Ă  La Traviata et s’il n’y a pas de Cygne explicite, ce qui paraĂ®tra ĂŞtre insupportable pour certains wagnĂ©riens de surcroĂ®t attachĂ©s Ă  leur prĂ©jugĂ©s (comme leur idole d’ailleurs!), reconnaissons davantage l’aspect innovant et la grande cohĂ©rence comme l’efficacitĂ© dramaturgique de la production (tâche toujours difficile avec la plupart des opĂ©ras de Wagner).

La distribution dans ce sens est visiblement investie dans le parti-pris, et ceci s’exprime aussi très souvent par la performance musicale. Une rĂ©ussite.

Le tĂ©nor Jonas Kaufmann en Lohengrin offre une vision particulièrement humaine du chevalier. Touchant par son jeu d’acteur dĂ©veloppĂ©, le chanteur berce et enchante la salle avec un instrument d’une terrible et troublante beautĂ©, surtout dans son sublime rĂ©cit « In fernem Land » au IIIème acte. L’Elsa de Martina Serafin paraĂ®t habitĂ©e de la niaise dualitĂ© potache que son auteur lui confère, mystique et absente, mais aussi caractĂ©rielle et manipulatrice, ma non troppo. Elle rayonne surtout par les qualitĂ©s de sa voix très sollicitĂ©e, aux dĂ©fis redoutables. Son air de l’acte II, « Euch LĂĽften » (rĂ©cit de son bonheur) fut un moment remarquable et beau. Tout aussi remarquable, mais cette fois-ci par une beautĂ© plutĂ´t espiègle et endiablĂ©e, l’Ortrud d’Evelyn Herlitzius. Manipulatrice, machiavĂ©lique Ă  souhait, elle campe un « Entweihte Götter !» au IIème acte tout Ă  fait … terrifiant. Remarquons Ă©galement la performance très classe de RenĂ© Pape en Roi, ou encore l’excellente diction, style musical et travail d’acteur, de Tomasz Konieczny dans le rĂ´le de Telramund !

Que dire des chĹ“urs sinon qu’ils sont fabuleux et dynamiques sous la direction du chef JosĂ© Luis Basso.  Moins immĂ©diatement fĂ©dĂ©ratrice peut-ĂŞtre la prestation de Philippe Jordan, dirigeant l’orchestre ; si nous avons trouvĂ© son travail d’une finesse presque Ă©rotique, avec un timbre diaphane et des crescendo subtiles, l’archicĂ©lèbre marche nuptiale qui sert de prĂ©lude Ă  l’acte III, est passĂ© presque sans qu’on s’en aperçoive -choeurs salvateurs en l’occurrence.  L’orchestre dans les opĂ©ras de Wagner ne devrait pas ĂŞtre systĂ©matiquement tonitruant, donc Ă  rebours des critiques Ă©mises Ă  son encontre, quel rĂ©gal d’Ă©couter son Wagner, hiĂ©ratique bien sĂ»r, mais raffinĂ©.

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A ne pas manquer LOHENGRIN de Richard Wagner Ă  l’OpĂ©ra Bastille, les 24, 27, 30 janvier ainsi que les 2, 5, 8, 11, 15 et 8 fĂ©vrier 2017 (attention deux distributions alternatives chez les protagonistes).

Compte rendu, opĂ©ra. Lille. OpĂ©ra de Lille, le 12 janvier 2017. Haendel : Il trionfo del tempo e del disinganno. Le Concert d’AstrĂ©e, orchestre. Emmanuelle HaĂŻm / Krysztof Warlikowski

handel haendel classiquenewsCompte rendu, opĂ©ra. Lille. OpĂ©ra de Lille, le 12 janvier 2017. Haendel : Il trionfo del tempo e del disinganno. Ying Fang, Franco Fagioli, Michael Spyres… Le Concert d’AstrĂ©e, orchestre. Emmanuelle HaĂŻm, direction musicale. Krysztof Warlikowski, mise en scène. Première Lilloise d’Il Trionfo del tempo e del disinganno de Haendel / Warlikowski ! Une soirĂ©e neigeuse et heureuse sous la direction musicale d’Emmanuelle HaĂŻm et son ensemble le Concert d’AstrĂ©e, avec un beau quatuor vocal composĂ© de la soprano Ying Fang, le contre-tĂ©nor Franco Fagioli, le tĂ©nor barytonant MichaĂ«l Spyres et la contralto Sara Mingardo.

L’oratorio profane est composĂ© par Haendel lors de son premier sĂ©jour en Italie, la première a lieu Ă  Rome en juin 1707. Le livret est de la plume de son admirateur le Cardinal Benedetto Pamphili, qui est aussi l’auteur des textes de quelques cantates italiennes d’Il Caro Sassone, dont la fabuleuse et rĂ©vĂ©latrice « Tra le fiamme ». Un regard profond sur la correspondance existante et une analyse des textes que le cardinal a Ă©crit pour le compositeur cosmopolite rĂ©vèle des rapports de mĂ©cĂ©nat non dĂ©pourvus d’intĂ©rĂŞt romantique et … sexuel. Aussi, le livret au ton moralisateur apparent est bel et bien une Ĺ“uvre profane avec aucune citation de la Bible et dont le mot « Dieu », si insupportable pour certaines personnes, n’est mentionnĂ© que deux fois.
Or, le concept de cette coproduction est un acte oĂą l’on dĂ©crie et l’on dĂ©nonce, plutĂ´t modestement qu’ouvertement, l’Eglise Catholique ; avec des clichĂ©s bien dosĂ©s et parfois subtiles pour rappeler au public de 2017, la souffrance bien vivante des gens toujours bouleversĂ©s par les ravages historiques de l’institution religieuse depuis des siècles. Un parti pris qui touche facilement (un peu trop) le public non habituĂ© aux transpositions contemporaines. Un parti pris rayonnant de pragmatisme et d’efficacitĂ©, aux coutures Ă©videntes, certes, mais jamais anti-musical ni vulgaire. Ici, BeautĂ© est une jeune fille insouciante de libertĂ© qui suit Plaisir en boĂ®te. Ils se droguent et puis l’overdose. Les parents, le Temps et le DĂ©senchantement (une des maintes traductions approximatives pour le personnage « Disinganno », que je prĂ©fĂ©rerais nommer tout simplement « VĂ©rité »), viennent tout gĂ©rer, bien Ă©videmment, et exhortent Plaisir Ă  quitter le foyer imaginĂ©. Ensuite, la BeautĂ© de Warlikowski ne veut plus vivre sans son Plaisir ; donc elle se suicide Ă  la fin… Ou comment remplacer gravitas par … pathos.

Warlikowki, provocateur ma non troppo
Haendel rayonnant d’enthousiasme et de fraĂ®cheur

Et puis il y a la musique. La plus rayonnante et virtuose de la plume de Haendel est interprĂ©tĂ©e avec maestria par la fabuleuse distribution. Si la BeautĂ© de la soprano Ying Fang est touchante Ă  souhait par sa fragilitĂ©, et que l’instrument rayonne de jeunesse et d’humanitĂ©, elle campe une performance solide, Ă  l’investissement théâtral saisissant et surtout avec un style baroque plein de brio et de lĂ©gèretĂ©. Elle fait dĂ©monstration de sa technique notamment dans les da capo de ses airs, toujours rĂ©ussi et parfois mĂŞme innovants ! Le plus virtuose fut peut-ĂŞtre lors du cĂ©lèbre air « Un pensiero nemico di pace ». La virtuositĂ© vocale est le domaine de Plaisir et du contre-tĂ©nor Franco Fagioli, qui rĂ©ussit bien ses airs Ă  la colorature pyrotechnique. Le sommet est plus son « Come nembo che fugge col vento » vers la fin, redoutable Ă  souhait, que le très bel air « Lascia la spina » (connu surtout sous le nom de « Lascia ch’io pianga » de l’opĂ©ra Rinaldo). Dans le dernier, il est un peu touchant et ce fut beau, mais il nous impressionne plus par la maĂ®trise de son instrument et ses envolĂ©es virtuoses que par l’intĂ©rioritĂ© ou la profondeur.

Ces qualitĂ©s sont incarnĂ©s plutĂ´t par les parents, malgrĂ© la volontĂ© d’en faire d’eux des clichĂ©s d’autoritĂ©. La musique triomphe Ă  la fin et MichaĂ«l Spyres comme Sara Mingardo sont superlatifs dans leur interprĂ©tation et musicale et scĂ©nique. Le Temps du tĂ©nor Ă  la voix gĂ©nĂ©reuse et saisissante fait presque peur lors de son air « Urne voi », et entraĂ®ne par la force de sa bravoure endiablĂ©e lors du « à ben folle quel nocchier ». La Mingardo quant Ă  elle a la voce e lo stile, et nous laisse 100% impressionnĂ©s ! Que ce soit dans ses airs comme dans l’incroyable quatuor « Voglio tempo per risolvere » : la perfection.
Le Concert d’AstrĂ©e sous la baguette d’Emmanuelle HaĂŻm honore l’opus avec une performance pleine de brio et de swing baroque, avec une belle prestation des vents (y compris l’orgue sublime de Benoit Hartouin -aussi chargĂ© du continuo impeccable). A voir et surtout Ă©couter Ă  l’OpĂ©ra de Lille encore les 17, 19 et 21 janvier 2016.

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Compte rendu, opĂ©ra. Lille. OpĂ©ra de Lille, le 12 janvier 2017. Haendel : Il trionfo del tempo e del disinganno. Ying Fang, Franco Fagioli, Michael Spyres… Le Concert d’AstrĂ©e, orchestre. Emmanuelle HaĂŻm, direction musicale. Krysztof Warlikowski, mise en scène.

Compte rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, le 4 dĂ©cembre 2016. Gluck : IphigĂ©nie en Tauride. VĂ©ronique Gens, Etienne Dupuis, Stanislas de Barbeyrac… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris. Bertand de Billy, direction musicale. Krysztof Warlikowski, mise en scène

Compte rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, le 4 dĂ©cembre 2016. Gluck : IphigĂ©nie en Tauride. VĂ©ronique Gens, Etienne Dupuis, Stanislas de Barbeyrac… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris. Bertand de Billy, direction musicale. Krysztof Warlikowski, mise en scène. La première mise en scène d’opĂ©ra du metteur en scène polonais Krysztof Warlikowski revient Ă  la maison qui l’avait commandĂ© in loco en 2006. On se souvient aussi d’une prodigieuse mise en scène, nĂ©ons et capharnaĂĽm, mystique expressionniste du Roi Roger que le metteur en scène prĂ©senta ensuite sur la scène de Bastille en juin 2009 : Lire notre critique ici. La sĂ©rie de reprĂ©sentations de fin d’annĂ©e 2016 d’IphigĂ©nie en Tauride de Gluck est en l’occurrence dĂ©diĂ©e Ă  la mĂ©moire du regrettĂ© GĂ©rard Mortier, ancien Directeur de l’OpĂ©ra (dĂ©cĂ©dĂ© en 2014) et commanditaire de la production… devenue emblĂ©matique. 10 annĂ©es ont passĂ© : que reste-t-il de cette rĂ©alisation ? Une distribution d’acteurs-chanteurs rayonnante de musicalitĂ©, dirigĂ©e ici par le chef Bertrand de Billy. Un spectacle que Warlikowski dĂ©die lui mĂŞme Ă  la Reine Marie-Antoinette ; soit un Ă©vĂ©nement d’une valeur artistique inestimable !

 

 

 

L’Iphigénie de Garnier : un concert de beaux timbres

 

 

gluck iphigĂ©nie en tauride veronique gens opera de paris classiquenews aqjvxc0wfg2dzk9s6vvwLa soprano française VĂ©ronique Gens interprète le rĂ´le-titre de la Princesse Atride devenue prĂŞtresse de Diane en Tauride après avoir Ă©tĂ© sauvĂ©e par la dĂ©esse quand son père Agamemnon voulait la sacrifier pour aider les Grecs Ă  gagner la guerre de Troie. Cantatrice idĂ©ale pour un rĂ´le en dignitĂ© et en sincĂ©ritĂ©, VĂ©ronique Gens campe une IphigĂ©nie de grande classe, affirmant une performance impeccable, mĂŞme si au dĂ©but du premier acte, l’Ă©quilibre entre fosse et scène Ă©tait fragile. Son air au IV: « Je t’implore et je tremble, O DĂ©esse implacable ! » est un des rares moments de dĂ©monstration pyrotechnique vocale dans l’opus, interprĂ©tĂ© avec franchise et fĂ©rocitĂ©, Ă  l’effet d’exultation indĂ©niable ! Le trio au III : « Je pourrais du tyran, tromper la barbarie » entre Pylade et Oreste, est un autre superbe moment lyrique, riche d’ambivalence et de sentiments partagĂ©s. Le duo de Pylade et Oreste qui suit : « Et tu prĂ©tends encore que tu m’aimes ! » est fabuleusement chantĂ© par Stanislas de Barbeyrac et Etienne Dupuis. L’Oreste du dernier a la diction parfaite et un timbre d’une beautĂ© particulière (remarquĂ© dĂ©jĂ  par classiquenews dans le rare opĂ©ra ThĂ©rèse de Massenet). Le tĂ©nor français dans le rĂ´le de Pylade est aussi un bijou en beautĂ© et justesse ; sa performance musicale est un modèle d’hĂ©roĂŻsme et de sentimentalitĂ©. Remarquons Ă©galement les performances des seconds rĂ´les depuis la fosse : excellentes Adriana Gonzalez et Emanuela Pascu en Diane et deuxième prĂŞtresse respectivement, et surtout celle du jeune baryton polonais Tomasz Kumiega avec l’une des voix les plus allĂ©chantes de la soirĂ©e (!).

 

 

 

Warlikowski : la sincérité qui dérange

 
 
 

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Puisque l’œuvre de Gluck est en vĂ©ritĂ© une Ĺ“uvre composite, avec une Ă©tonnante fluiditĂ© malgrĂ© ce fait, son aspect le plus impressionnant est théâtral. Gluck fournit Ă  ses personnages des airs dĂ©jĂ  Ă©crits dans les annĂ©es 50, et Ă  son chĹ“ur, de la musique de ses ballets prĂ©cĂ©dents, notamment SĂ©miramis de 1765. Le livret de Nicolas-François Guillard, d’après Guymond de La Touche, et d’après Euripide, est d’une grande efficacitĂ© dramatique. Sur ce terreau, l’homme de théâtre et artiste contemporain qu’est Warlikowski offre au public parisien une relecture des plus brillantes du livret, sinon LA plus brillante. TransposĂ©e dans une maison de retraite transfigurĂ©e, l’intrigue est en l’occurrence toujours celle de l’hĂ©roĂŻne Ă©ponyme, soit IphigĂ©nie, mais « rĂ©incarnĂ©e » sur la scène de Garnier, en tant que vieille femme hantĂ©e par son passĂ©. Le commentaire Ă©vident sur la condition humaine cache derrière lui une pensĂ©e critique et une profondeur artistique rares dans notre contexte actuel enclin Ă  l’abandon frivole et Ă  la superficialitĂ©. La direction scĂ©nique est remarquable, Ă  causer des frissons en permanence par la vĂ©racitĂ© dramaturgique et la clartĂ© de l’intention. Tous les chanteurs sur scène font preuve d’un excellent, riche et complexe travail d’acteur. Les figurants et acteurs embauchĂ©s sont Ă©galement complètement investis dans la production, notamment l’IphigĂ©nie muette de l’actrice Renate Jett, touchante et bouleversante, ou encore la Clytemnestre dĂ©licieusement mimĂ©e d’Alessandra Bonarota.

 
 

L’Orchestre de l’OpĂ©ra National de Paris sous la baguette du chef Bertrand de Billy, en dĂ©pit des soucis d’Ă©quilibre initial, se montre plein de brio et d’entrain. Les nombreux rĂ©citatifs accompagnĂ©s sont percutants et les effets spĂ©ciaux instrumentaux chers Ă  Gluck sont jouĂ©s solidement. Une fabuleuse occasion de redĂ©couvrir ce chef d’oeuvre musical et théâtral, nourriture pour les sens et pour l’esprit ! Encore Ă  l’affiche les 9, 12, 15, 19, 22 et 25 dĂ©cembre.

Compte rendu, ballet. Paris. Palais Garnier. 27 octobre 2016. SoirĂ©e Balanchine, hommage Ă  Violette Verdy. François Alu, Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann, Mathieu Ganio, Amandine Albisson, Marie-Agnès Gillot, Hugo Marchand… Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. Elena Bonnay, piano solo. Maxime Tholance, violon solo. Orchestre de l’opĂ©ra National de Paris. Kevin Rhodes, direction.

ballet-de-lopera-de-paris-danseursSoirĂ©e Balanchine et hommage Ă  la regrettĂ©e Violette Verdy, en ce soir d’automne au Palais Garnier Ă  Paris. Au trois ballets programmĂ©s du nĂ©o-classique Balanchine s’ajoute un quatrième Ă  l’occasion de l’hommage qui se prĂ©sente aussi sous forme de court-mĂ©trage projetĂ©. La Sonatine de Ravel, crĂ©e par Verdy est ce 4e ballet fabuleusement interprĂ©tĂ© par un couple d’Etoiles. SoirĂ©e pĂ©tillante et Ă©toilĂ©e, brillante dans sa conception, inĂ©gale dans l’exĂ©cution.

 

 

 

Balanchine : un page peut ĂŞtre tournĂ©e…

 

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Nous sommes de l’avis que le ballet le plus remarquable de la soirĂ©e, et qui en lui seul cautionne notre prĂ©sence au Palais Garnier en cette nuit pluvieuse d’automne parisien, est Sonatine de Ravel, pièce prĂ©sentĂ©e seulement lors des 5 premières reprĂ©sentations, en hommage Ă  la regrettĂ©e Violette Verdy, crĂ©atrice du ballet (photo ci dessus), dĂ©cĂ©dĂ©e l’hiver dernier. Il est interprĂ©tĂ© par un duo d’Etoiles toujours allĂ©chant par ses compĂ©tences artistiques concertĂ©es, une bonne entente Ă©vidente et une musicalitĂ© palpitante et sincère. Soit : Mathias Heymann et Myriam Ould-Braham. Lui est un rĂŞveur romantique par excellence avec un je ne sais quoi de troublant, « d’impactant », sur scène ; pas par une allure menaçante quelconque, ni par une plastique stĂ©rĂ©otypĂ©e princière, mais par l’excellence technique pourtant pleine de chaleur et l’engagement absolu dans sa prestation, avec une bonne dose de joie et de bonne humeur. Elle, qu’on voit Ă©voluer en profondeur et maturitĂ© avec un immense plaisir, est, ce soir, la vision parfaite de la crĂ©atrice Verdy, surtout en ce qui concerne sa musicalitĂ©. Elle ajoute un sens de lĂ©gèretĂ© supplĂ©mentaire avec un cĂ´tĂ© frĂ©missant et frĂŞle très touchant. L’hommage consiste aussi dans la projection d’un court-mĂ©trage de Vincent Cordier mettant en valeurs les qualitĂ©s de la ballerine disparue.
tchaikovski Pyotr+Ilyich+Tchaikovsky-1MOZARTIANA. Le ballet Mozartiana faisant son entrĂ©e au rĂ©pertoire de la compagnie ouvre la soirĂ©e. C’est une suite orchestrale de Tchaikovsky Ă  quatre mouvements, oĂą le Tchaikovsky classiciste fait un hommage Ă  son maĂ®tre artistique voire spirituel, Wolfgang Amadeus Mozart (crĂ©ant des arrangements orchestraux des 3 pièces pour piano solo de Mozart et une de… Gluck). Au niveau de la composition, malgrĂ© l’immense profondeur du Russe, l’œuvre reflète la vision un rien superficielle et limitĂ©e du XIXe siècle vis-Ă -vis du gĂ©nie salzbourgeois. Est mise donc en valeur seulement une joliesse caractĂ©rielle, plutĂ´t « baroqueuse », l’aspect le moins pertinent de l’opus de Mozart. Il paraĂ®t que Tchaikovsky a voulu prĂ©senter Ă  un très grand public des Ĺ“uvres rares de l’autrichien, s’adressant Ă  leurs prĂ©jugĂ©s. Pari rĂ©ussi, et pourtant d’un aspect anecdotique presque complètement inintĂ©ressant. Comme la danse d’ailleurs. Balanchine prĂ©tendait, paraĂ®t-il, faire quant Ă  lui un hommage Ă  Tchaikovsky. Si nous remarquons avec joie la Gigue endiablĂ©e du Premier Danseur François Alu, corps racĂ©, très beau et tonique en dĂ©pit du costume de caractère. Autour de lui, le couple d’Etoiles : DorothĂ©e Gilbert et Josua Hoffalt. Si elle a un haut du corps et un travail des bras Ă  l’expression sublime, nous n’avons pas Ă©tĂ© emballĂ©s par ses pointes, moins saines que d’habitude. Et Josua Hoffalt, bon partenaire, donne une illusion de lĂ©gèretĂ© sur scène qui cache derrière elle la mollesse de la rĂ©alitĂ©. Pour un danseur qui aime mettre en valeur au niveau du discours, l’aspect extrĂŞmement « masculin », athlĂ©tique, de la danse classique (habitude mignonne de certains danseurs… souvent pas très sĂ»rs d’eux), sa prestation dans Mozartiana manque en dynamisme et peps, pour dire le moindre.

Si le ballet Brahms-Schönberg Quartet n’est pas le plus authentique et innovant de Balanchine, le spectacle est beau Ă  regarder ; la musique du quatuor pour piano et cordes en sol mineur de Brahms magistralement orchestrĂ©e par le Schöngberg post-romantique, est fabuleusement interprĂ©tĂ©e par l’Orchestre de l’OpĂ©ra dirigĂ© par l’habituĂ© Kevin Rhodes. Les costumes de Karl Lagerfeld et la toile viennoise du fond ajoutent Ă  ce je ne sais quoi d’Ă©lĂ©gant et d’austro-hongrois propre au ballet, aux fortes inspirations folkloriques russes et caucasiennes. Au premier mouvement l’Etoile Mathieu Ganio est toujours l’âme romantique incarnĂ©e, avec des lignes et une prestance sublimes, mais en l’occurrence le partenariat avec la Gilbert laisse Ă  dĂ©sirer: l’attention se pose sur la troisième danseuse du mouvement, Ida Viikinkoski, et aussi sur les 4 danseurs masculins du corps : Nicolas Paul, Fabien RĂ©villion, JĂ©rĂ©my Loup-Quer et Germain Louvet, tous les quatre rayonnants de beautĂ©, surtout les 3 derniers un brin plus frais. Les Etoiles Amandine Albisson et StĂ©phane Bullion sont le couple du deuxième mouvement. Si elle est l’image de la danseuse Ă  la vĂ©ritable bonne santĂ©, habitĂ©e, inspirante et inspirĂ©e, et lui l’Etoile sombre tĂ©nĂ©breux Ă  faire craquer les cĹ“urs, le partenariat ne fait pas forcĂ©ment rĂŞver. Cependant, l’exĂ©cution est impeccable. Idem pour le troisième mouvement vaillamment interprĂ©tĂ© par le Premier Danseur Arthus Raveau, qui rayonne de plus en plus, et ne laisse surtout pas insensible avec des lignes Ă©blouissantes et une prĂ©cision en solo, davantage sĂ©duisante. MĂ©lanie Hurel qui l’accompagne n’est pourtant pas Ă©clipsĂ©e. Le dernier mouvement est le moment de revendication pour Josua Hoffalt qui forme un couple tonique avec la fabuleuse Etoile Alice Renavand. L’inspiration folklorique et chorĂ©graphique, musicale, percutante et entraĂ®nante, semble convenir beaucoup mieux au danseur qui s’Ă©clate.

Le programme finit avec le Violin Concerto de Stravinsky, magistralement dansĂ© par le corps et les couples de Marie-Agnès Gillot / Hugo Marchand et ElĂ©onora Abbagnato / Audric Bezard. Les premiers sont bien sĂ»r impressionnants sur scène ; elle, mettant toujours sa vie au service de la danse pour le plus grand bonheur de l’auditoire et mettant en valeur le chorĂ©graphe ; lui, hyper-performant comme d’habitude et avec rĂ©activitĂ© et technique saisissantes. Les seconds, bien que plus cohĂ©sifs en apparence, sont peut-ĂŞtre moins profonds dans l’exĂ©cution qui demeure très plastique et extĂ©rieure. Remarquons Paul Marque, laurĂ©at du Concours de Varna 2016 et nouvel espoir de la compagnie, avec une remarquable technique, et n’oublions pas la performance superlative du violoniste Maxime Tholance, rĂ©ussissant une partition complexe et difficile.
drrl0dstcuctvjbybdgsAu final, nous tenons lĂ  un programme intĂ©ressant qui, espĂ©rons-le, tourne la page ouverte par la direction prĂ©cĂ©dente du renouveau surdosĂ© de Balanchine Ă  Paris. A cĂ´tĂ© d’autres nĂ©o-classiques, nous remarquons la valeur historique et artistique du GĂ©orgien, ainsi que le besoin Ă©vident de continuer l’exploration des chorĂ©graphes et styles moins reprĂ©sentĂ©s Ă  l’OpĂ©ra de Paris. Peut-ĂŞtre le public sera gâtĂ© dans le futur grâce aux nouvelles entrĂ©es au rĂ©pertoire d’autres amĂ©ricains tels que Martha Graham et Merce Cunningham… Pour l’hommage Ă  Verdy demeure beaucoup plus rĂ©ussi que l’hommage Ă  Mozart et Tchaikovsky. ReprĂ©sentations au Palais Garnier du 1er au 15 novembre 2016 (sans la Sonatine de Ravel, hĂ©las…).

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https://www.operadeparis.fr/saison-16-17/ballet/george-balanchine

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 3 novembre 2016. Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann. Ramon Vargas, StĂ©phanie d’Oustrac, Nadine Koutcher, Ermonela Jaho… Choeurs de l’OpĂ©ra. JosĂ© Luis Basso, direction. Orchestre de l’OpĂ©ra National de Paris, Philippe Jordan,, direction. Robert Carsen, mise en scène.

C’est “LA” production-phare des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, signĂ©e Robert Carsen, remontant Ă  2000, et qui revient cet hiver Ă  l’OpĂ©ra National de Paris. S’il n’y a plus Jonas Kaufmann en protagoniste pour des raisons de santĂ©, Ramon Vargas vient sauver le bateau, se joignant Ă  un quatuor de voix fĂ©minines principales de qualitĂ©, avec la dĂ©licieuse StĂ©phanie d’Oustrac, Nadine Koutcher, Ermonela Jaho et Kate Aldrich. Philippe Jordan dirige l’orchestre maison avec une Ă©tonnante attention aux dĂ©tails et une bonne dose de courage comme de libertĂ©. Un spectacle qui se veut spectaculaire et qui l’est, mais dont les coutures (et les clichĂ©s!) commencent Ă  devenir quelque peu rĂ©barbatifs.

 

 

 

Offenbach version Carsen : du sérieux, de l’humour, de l’intelligence

 

 

Ĺ’uvre posthume et presque composite par laquelle Offenbach rĂŞvait d’ĂŞtre finalement acceptĂ© comme autre chose qu’un compositeur de musique «lĂ©gère », la partition des Contes d’Hoffmann est en rĂ©alitĂ© un phĂ©nomène de son temps, non sans relations avec l’antisĂ©mitisme rampant de l’époque ; c’est un dĂ©fi musical et scĂ©nique. Si l’aspect inachevĂ© peut se rĂ©soudre facilement dans des mains habiles, la question de l’exigence musicale demeure dĂ©licate, notamment en ce qui concerne la distribution des rĂ´les fĂ©minins (une cantatrice pour les trois, ou bien trois diffĂ©rentes?). Le livret de Jules Barbier d’après Michel CarrĂ©, est inspirĂ© de trois contes de l’auteur et musicien romantique allemand E.T.A Hoffmann, cĂ©lèbre entre autres pour avoir proclamĂ© Haydn, Mozart et Beethoven comme les trois maĂ®tres de l’esprit romantique. L’histoire est celle d’un Hoffmann imaginĂ©, amoureux d’une prima donna et dont l’obsession devient un empĂŞchement crĂ©atif qui le poussant Ă  l’ivresse. Il dĂ©sire cet idĂ©al fĂ©minin incarnĂ© par la soprano, Ă  la fois « artiste, jeune fille, courtisane ». Sa Muse artistique s’empare de son ami Nicklausse pour l’accompagner ; elle tente de lui rappeler sa mission en tant qu’artiste.

vargas ramon contes hoffmann opera bastille compte rendu critique classiquenewsEn Niklausse justement, la mezzo-soprano française StĂ©phanie d’Oustrac ouvre et ferme l’œuvre avec les qualitĂ©s qui lui sont propres : une articulation sans dĂ©faut, un timbre polyvalent, flexible, une capacitĂ© remarquable Ă  habiter un rĂ´le par la force de son art vocal bien mĂ»ri, ses indĂ©niables dons d’actrice… Nous avons Ă©tĂ© emballĂ©s dès son entrĂ©e au prologue oĂą elle se montre Muse parfaite, sensuelle ; ensuite Ă  chaque acte, elle compose un compagnon sincère d’un Hoffmann vouĂ© Ă  l’Ă©chec affectif (mais il se trouve que ceci va le rapprocher de… son Art, sa Muse! Le lieto-fine est donc quand mĂŞme lĂ , latent). Ramon Vargas s’absente de ses rĂ©pĂ©titions aux Etats-Unis pour remplacer Jonas Kaufmann souffrant. Si la diction du français laisse parfois Ă  dĂ©sirer, il impressionne par son investissement musical et scĂ©nique, une voix souple dans les aigus redoutables et ce je ne sais quoi de touchant qui sied magistralement au jeune personnage romantique et sincère, qu’il interprète.
Les trois sopranos brillent toutes par leurs qualitĂ©s individuelles. L’Olympia de Nadine Koutcher faisant ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra de Paris, est pyrotechnique, mĂŞme drĂ´lissime Ă  souhait ; elle campe l’archi-cĂ©lèbre air de l’automate « Les oiseaux dans la charmille » sans difficultĂ©, tout en se donnant Ă  fond au niveau de la mise en scène, en un 1er acte très comique. L’Antonia du deuxième acte est toute Ă©motion, grâce au bel investissement et au sens du drame d’Ermonela Jaho. La Giulietta du troisième est plus théâtrale que musicale dans l’interprĂ©tation de Kate Aldrich. Remarquons l’excellente et courte prestation de Doris Soffel dans le rĂ´le de la mère d’Antonia. Si leurs prestations sont tout aussi minces, les performances d’un Yann Beuron, d’un Paul Gay et d’un François Lis ne passent pas inaperçues, surtout par rapport au premier, avec un art du langage dĂ©lectable.

Les Contes d’Hoffmann composent ainsi un Ă©vĂ©nement digne d’enthousiasme, non seulement par les difficultĂ©s inhĂ©rentes Ă  la production d’une Ĺ“uvre posthume, mais plus particulièrement grâce Ă  l’Ă©ventail des sentiments mis en musique avec panache par Offenbach, dont l’aspect théâtral est spĂ©cofiquement mis en valeur dans la mise en scène dĂ©sormais « historique » de Robert Carsen. A voir et revoir Ă  l’OpĂ©ra Bastille encore les 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24 et 27 novembre 2016.

Compte rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 17 septembre 2016. Puccini : Tosca. Hartejos, Alvarez, Terfel. Audi / Ettinger

TOSCA HARTEROS TERFEL opera bastille septembre 2016CtIYZimWEAAzMpG.png-largeCompte rendu, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 17 septembre 2016. Puccini : Tosca. Anja Harteros, Marcelo Alvarez, Bryn Terfel… Choeurs de l’OpĂ©ra de Paris. JosĂ© Luis Basso, direction. Orchestre de l’OpĂ©ra. Dan Ettinger, direction. Pierre Audi, mise en scène. La saison lyrique s’ouvre Ă  l’OpĂ©ra Bastille avec la reprise de Tosca, production de Pierre Audi datant de 2014. Si les Ă©lĂ©ments extra-musicaux demeurent les mĂŞmes, pour la plupart enfin, il s’agĂ®t bel et bien d’une ouverture de saison « CHOC » par la trinitĂ© de stars ainsi rĂ©unies dans la distribution : Anja Harteros finalement de retour sur la scène nationale ; Marcelo Alvarez rayonnant de candeur (seul revenant de la crĂ©ation!) et le grand et tĂ©nĂ©breux, « bad boy », Bryn Terfel. A ces stars, s’invite le chef IsraĂ«lien Dan Ettinger qui explore et exploite les talents de l’Orchestre de l’OpĂ©ra avec une maestria et une profondeur, rares.

Et Hartejos parut, devant elle vibrait tout Paris…

le triomphe absolu de la musique !

Nous invitons nos lecteurs Ă  rĂ©lire le compte rendu de la crĂ©ation de cette production (Compte rendu, opĂ©ra / TOSCA de Puccini Ă  l’OpĂ©ra Bastille, octobre et novembre 2014, avec alvarez dĂ©jĂ  et BĂ©zier…) en pour ce qui concerne la direction artistique de Pierre Audi.

Surprise de lire dans le programme de la reprise que le travail du metteur en scène est Ă  rapprocher de la notion wagnĂ©rienne de gesamkunstwerk ou « Ĺ“uvre d’art totale » (!). En dĂ©pit de rĂ©serves qu’on Ă©mettre Ă  l’égard du théâtre du Herr Wagner, nous comprenons l’intention derrière un tel constat et regrettons que la rĂ©alisation ne soit pas Ă  la hauteur de telles prĂ©tentions. La scĂ©nographie imposante et impressionnante de Christof Hetzer, les superbes lumières de Jean Kalman et les costumes sans dĂ©faut de Robby Duiveman, demeurent riches en paillettes et restent, dans le meilleur des cas, pragmatiques et efficaces, en une production dĂ©cevante, sinon au pire, … injustifiable. Remarquons l’absence totale (et fort rĂ©vĂ©latrice) de l’Ă©quipe artistique aux moments des saluts…

Hartejos, alvarez, TOSCA, BastilleLa surprise et le bonheur furent donc surtout musicaux. L’histoire tragique intense de Floria Tosca, diva lyrique amoureuse et meurtrière, trouve dans ce plateau une rĂ©alisation musical plus que juste, souvent incroyable. La soprano Anja Harteros se montre vĂ©ritable Prima Donna Assoluta avec un timbre d’une beautĂ© ravissante, une agilitĂ© vocale saisissante, virtuose mais jamais dĂ©monstrative, les piani les plus beaux du monde, le souffle immaculĂ© qui laisse bĂ©at… Bien qu’en apparence laissĂ©e Ă  elle mĂŞme au niveau du travail d’acteur, elle incarne une Tosca qui touche par ses nuances de cĹ“ur, parfois piquante, souvent capricieuse, … jalouse et amoureuse toujours ! Le cĂ©lèbre « Vissi d’arte » Ă  l’acte II reçoit les plus grandes ovations de la soirĂ©e. Le Caravadossi, peintre amoureux et rĂ©volutionnaire du tĂ©nor argentin Marcelo Alvarez brille maintenant par sa candeur, un timbre rayonnant de jeunesse, un chant riche lui en belles nuances. Ses moments forts sont Ă©videmment la « Recondita armonia » au Ie acte et le cĂ©lèbre « E lucevan le stelle » au III.

A leurs cĂ´tĂ©s, Bryn Terfel est un fabuleux Scarpia, grand et mĂ©chant mais pas moche! Il a une prestance magnĂ©tique qui inspire la terreur et l’admiration. Son chant est grand malgrĂ© les quelques petits soucis d’Ă©quilibre entre fosse et orchestre aux moments hyperboliques de la partition comme le Te Deum Ă  la fin du Ier acte.

ettinger dan maestro chef d orchestreAu regard de la distribution, nous nous attendions Ă  de telles performances, mais la plus grande surprise fut le chef d’orchestre. La direction musicale de Dan Ettinger s’Ă©loigne souvent du grand-opĂ©ra et du vĂ©risme ; elle devient beaucoup plus impressionniste et subtile, rehaussant profondĂ©ment l’impact de l’Ă©criture puccinienne pour orchestre, peu sophistiquĂ©e en rĂ©alitĂ©. Lors des moments forts, l’orchestre est bien sĂ»r vĂ©hĂ©ment comme il doit l’ĂŞtre, mais le travail du chef voit sa plus sublime expression dans l’attention aux dĂ©tails, dans la modĂ©ration du pathos mĂ©lodramatique typique chez Puccini, aussi bien chez les cuivres tempĂ©rĂ©s que chez les cordes caractĂ©rielles … Une rĂ©vĂ©lation !

Reprise exemplaire et extraordinaire dans tous les sens musicaux du terme, avec une mise en scène non dĂ©pourvue de beautĂ© plastique; surtout fonctionnelle, Ă  voir (et Ă  applaudir) Ă  l’OpĂ©ra Bastille les 20, 23, 26 et 29 septembre ainsi que les 3, 6, 9, 12, 15 et 18 octobre 2016, avec deux distributions. Celle de ce soir touchait l’excellence.

Compte rendu, ballet. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 4 septembre 2016. La Belle au Bois Dormant. Alexei Ratmansky, mise en scène et chorĂ©graphie. Hee Seo, Marcelo Gomes… American Ballet Theatre, compagnie invitĂ©e. Tchaikovski, compositeur. Orchestre de l’OpĂ©ra National de Paris. David LaMarche, direction.

L‘American Ballet Theatre est invitĂ© en ouverture du cycle chorĂ©graphique de la saison 2016-2017 Ă  l’OpĂ©ra National de Paris. Le spectacle proposĂ© est le ballet multidiffusĂ©, La Belle au Bois Dormant mais selon le regard d’Alexei Ratmansky. La fantastique musique de Tchaikovski est interprĂ©tĂ©e par l’Orchestre de l’OpĂ©ra dirigĂ© par le chef invitĂ© David LaMarche. Pour la soirĂ©e de notre venue, les « Principals » Hee Seo et Marcelo Gomes, jouent la Princesse Aurore et le Prince DĂ©sirĂ©. Un Ă©vĂ©nement en pertinence et en importance, qui rĂ©sident souvent au-delĂ  de la danse !

 

 

 

 

Vertus des troupes invitées : Petipa revisité

 

 

la-et-sleelping-beauty-review-pictures-003Ratmansky aime revisiter les classiques. Sur ce, il s’inscrit dans une lignĂ©e d’artistes amoureux et respectueux du patrimoine tel le grand Rudolf Noureev. En ce qui concerne cette première collaboration entre Tchaikovski et Petipa (1890), il s’agĂ®t juste, en principe, de l’oeuvre-phare de la danse acadĂ©mique, d’un ballet symphonique emblĂ©matique. L’histoire en un prologue et trois actes est inspirĂ©e du conte Ă©ponyme de Charles Perrault. Une princesse tombe dans un sommeil inĂ©luctable Ă  cause de la mĂ©chancetĂ© d’une fĂ©e. Seule le baiser d’un prince la rĂ©veillera. La narration est mince mais riche en couleurs, s’agissant en effet d’un ballet dĂ©monstratif.

Mais qu’est-ce que veut dĂ©montrer, Ratmansky, dans cette production ? A part une baisse frappante des exigences techniques et une volontĂ© assez quelconque de donner aux femmes des attributs burlesques avec plumes et paillettes « so Las Vegas », on ne sait pas. L’actuel artiste en rĂ©sidence au sein de la Compagnie amĂ©ricaine parle de sa rĂ©vision de la partition chorĂ©graphique existante en notation StĂ©panov (datant de la fin du 19e siècle, le système associe mouvements et notes musicales) ; il dĂ©fend le dĂ©sir de faire une production plus Petipa que les autres… Si l’aspect théâtral et comique mis en valeur dans la production a un certain effet chez le public, avec la fabuleuse entrĂ©e de Carabosse sur un char tirĂ© par des rats dansants, le kitsch est peut-ĂŞtre un peu trop prĂ©sent, et apparemment sans le vouloir. Au niveau de la danse, il s’agĂ®t sans doute d’un Petipa Ă  part.

 

 


Parlons technique
. Au niveau de la danse, le couple des protagonistes est beau et solide. Hee Seo est une Princesse Aurore toute sourire mais aussi toute frĂŞle ; ses pointes sont belles, et elle rĂ©ussi ses pas redoutables du 1er et 3e actes. Marcelo Gomes en Prince DĂ©sirĂ© correspond parfaitement au personnage, par son physique et sa prestance tout Ă  fait… dĂ©sirables. Il se montre un excellent partenaire lors du pas de deux avec Aurore au 3e acte. Après sa variation, il est rĂ©compensĂ© par les bravos (y compris ceux d’un jeune Premier Danseur du Ballet de l’OpĂ©ra assistant Ă  la reprĂ©sentation). C’est sympa et c’est beau, ma non troppo. Si leurs performances sont bien, voire amĂ©ricainement « cool », comme celles, d’ailleurs, d’une dĂ©licieuse Betsy McBride en Chaperon Rouge, ou encore celle, virtuose ma non tanto, de l’Oiseau Bleu de Gabe Stone Shayer, nous n’avons pas beaucoup plus de commentaires Ă  faire.

 

 

VERTUS des Ă©changes interculturels… L’aspect le plus remarquable de la venue de cette production Ă  Paris est prĂ©cisĂ©ment le fait qu’il s’agĂ®t d’une compagnie Ă©trangère avec une technique et une rĂ©alitĂ© diffĂ©rente Ă  celle de la danse classique en France. Une occasion d’une grande importance pour stimuler la crĂ©ativitĂ© et motiver davantage nos danseurs. Toujours dans la continuitĂ© philosophique du grand mandat de Noureev, ces Ă©changes et expĂ©riences reprĂ©sentent de la nourriture pour les artistes. Il est question ici, comme cela l’a toujours Ă©tĂ©, d’un art bel et bien vivant, et le fruit des ces Ă©changes et frottements est le seul remède Ă  la maladie si fantasmĂ©e de la stagnation artistique. Alexei Ratmansky, russe, assumant avec fiertĂ© son cĂ´tĂ© « old school », a l’ouverture et le courage de dire qu’il ne voit pas de problème avec des cygnes noirs. L’American Ballet Theatre, compagnie anciennement dirigĂ©e par Mikhail Baryshnikov, se prĂ©sentant partout dans le monde, -y compris Ă  Paris, sommet souvent inatteignable de ce que maints bon diseurs croient ĂŞtre la tour d’ivoire de la Culture-,  n’a aucun problème avec une Princesse Aurore corĂ©enne et un Prince DĂ©sirĂ© venant de l’Amazonie. Cette expĂ©rience paraĂ®trait donc confirmer (et il y en a qui doutent encore!) qu’on peut survivre, crĂ©er, briller, dans l’acceptation de la diversitĂ© inhĂ©rente Ă  la rĂ©alitĂ©. Matière Ă  rĂ©flexion, cette production par une troupe Ă©trangère est rĂ©jouissante et d’un principe interculturel des plus positifs.

 

 

 

 

A voir ce classique revisitĂ©, sur la musique toujours irrĂ©sistible de Tchaikovski (David LaMarche, direction) Ă  l’OpĂ©ra Bastille les 7, 8, 9 et 10 septembre 2016.

LIRE aussi notre compte rendu complet Seven Sonatas / Ratmansky prĂ©sentĂ© Ă  l’OpĂ©ra Garnier, Ă  Paris en mars 2016

Compte rendu, ballet. Paris, Palais Garnier, le 31 mai 2016. Coralli/Perrot : Giselle. Mathieu Ganio,Koen Kessels

Le romantisme fantastique est de retour au Palais Garnier avec le ballet Giselle ! Bijou de la danse acadĂ©mique et ballet romantique par excellence, il s’agit du dernier ballet classique de la Compagnie pour la saison 2015-2016 de l’OpĂ©ra de Paris. Une sĂ©rie d’Etoiles et de Premiers Danseurs interprètent les rĂ´les titres, accompagnĂ©s par Koen Kessels dirigeant l’Orchestre des LaurĂ©ats du Conservatoire. La production créée en 1998 avec les fabuleux costumes et dĂ©cors d’Alexandre Benois a donc tout pour plaire, Ă  tous les sens.

Giselle rédemptrice

Les distributions peuvent changer Ă  la dernière minute (la possibilitĂ© est bien indiquĂ©e dans les publications de l’opĂ©ra), le principe qui peut susciter la dĂ©ception chez les spectateurs venus applaudir tel ou tel danseur, telle ou telle Ă©toile.., revĂŞt de bonnes raisons. Cette saison riche en controverses et faits divers reprĂ©sente aussi une sorte de transition ; nous avons eu droit au brouhaha inĂ©vitable d’une grande maison, bastion de la Haute Culture, devant ses expĂ©rimentations dont le but est de trouver un sens renouvelĂ© dans l’ère contemporaine. Pour brosser de nouvelles perspectives, il est important d’avoir une conscience Ă©veillĂ©e par rapport Ă  l’histoire et au contexte, l’importance de la revalorisation avant la transformation. Le progrès semble ĂŞtre plus durable quand il est Ă©difiĂ© sur des bases solides. Tout dĂ©truire pour tout refaire peut aussi paraĂ®tre lĂ©gitime, mais surtout prĂ©cipitĂ©. Que Giselle (et plus tard Forsythe, dans le contemporain/nĂ©o-classique) clĂ´t la saison du Ballet est dans ce sens un fait chargĂ© de signification et, dans le contexte des directeurs fugaces et ballets dĂ©programmĂ©s, une lueur d’espoir, de beautĂ©, un rappel d’excellence pour l’avenir, affirmation très nĂ©cessaire dans notre Ă©poque criblĂ©e de tensions, de terreur et de violence.

Ces sentiments font Ă©galement partie, curieusement en l’occurrence, de l’imaginaire cher aux Romantiques. La passion, les contrastes, la violence, l’espoir mystifiĂ©, les bonheurs et horreurs de la vie quotidienne sublimĂ©s, etc., etc. Autant de thèmes plus ou moins prĂ©sents dans Giselle. Dans l’acte 1, diurne, nous avons la fĂŞte villageoise, des tableaux folkloriques Ă  la base sublimĂ©s par la danse technique et virtuose des vendangeurs et paysans. Remarquons ici l’excellente prestation du Premier Danseur François Alu et du Sujet Charline Giezendanner dans le pas de deux des paysans. Elle y est sauterelle, fine, mignonne et radieuse Ă  souhaits, depuis le dĂ©but et pendant ces variations jusqu’Ă  la coda ! Lui, s’il commence tout Ă  fait solide, mais sans plus, finit son pas de deux avec panache et brio après s’ĂŞtre montrĂ© tout Ă  fait impressionnant dans ses sauts Ă©poustouflants, ses impeccables cabrioles ; le tout avec une attitude de joie campagnarde qui lui sied très bien !
Mais après la fĂŞte vint la mort de Giselle, suite Ă  la dĂ©ception du mensonge d’Albrecht, et l’acte est fini. L’acte II, nocturne (ou « blanc » Ă  cause des tutus omniprĂ©sents), est l’acte des Wilis, spectres des jeunes filles mortes avant leur mariage, qui chassent des hommes dans la forĂŞt et qu’elles font danser jusqu’Ă  leur mort. Valentine Colasante, Première Danseuse, joue Myrta, la Reine des Wilis, et se montre imposante ma non troppo, sĂ©duisante avec ses pointes et ses diagonales, et humaine dans ses sauts. Les deux Wilis de Fanny Gorse et HĂ©loĂŻse Bourdon sont fabuleuses, tout comme le Hilarion qu’elles croisent et dĂ©cident de tourmenter, rĂ´le ingrat en l’occurrence magistralement interprĂ©tĂ© par le Premier Danseur, Vincent Chaillet. Mais outre le fabuleux Corps de Ballet, paysans, vendangeurs, dames et seigneurs, et spectres, Giselle est avant tout… Giselle.

Lincoln Center Festival 2012Albrecht, le Duc qui sĂ©duit et baratine Giselle, puis en souffre, n’a pas de meilleur interprète que l’Etoile Mathieu Ganio. LE Prince Romantique de l’OpĂ©ra de Paris Ă  notre avis : le danseur campe son rĂ´le avec Ă©lĂ©gance et gravitas. Outre ses belles lignes et son jeu d’acteur remarquable, il est surtout très agrĂ©able Ă  la vue grâce Ă  sa technique qui impressionne Ă  chaque fois. Ses entrechats sont souvent les plus beaux, les plus rĂ©ussis, souvent irrĂ©prochables ; son extension, ses sauts sont imprĂ©gnĂ©s de l’intensitĂ© dramatique qui lui est propre, et frappent toujours par la finesse dans l’exĂ©cution. La Giselle de l’Etoile DorothĂ©e Gilbert (qu’on n’attendait pas voir sur scène ce soir), est l’autre superbe partie du couple tragique, et la protagoniste prima ballerina assoluta indĂ©niable après cette reprĂ©sentation ! Elle est toute vivace toute candide au Ier acte, excellente danseuse et actrice, sa descente aux enfers de la folie suite au chagrin amoureux, et sa mort imminente, sont dans sa prestation frappantes par la sincĂ©ritĂ©. Comment elle passe si facilement du badinage villageois sautillant Ă  la folie meurtrière riche en pathos est tout Ă  fait remarquable. Au IIème acte, elle est la grâce nostalgique, la douleur amoureuse, la ferveur mystique, faite danseuse. La mĂ©lancolie l’habite dĂ©sormais en permanence, mais elle n’est pas plus forte que le souvenir de l’amour inassouvi qui a causĂ© sa mort. Quelle dĂ©monstration d’un art subtil de l’arabesque par l’Etoile en vedette ! Quelle profondeur artistique quand elle s’Ă©lève sur ses pointes ! L’expression de son Ă©lan amoureux quand elle sauve Albrecht Ă  la fin de l’oeuvre est exaltante, comme toute sa performance.

Remarquons Ă©galement la performance très solide de l’Orchestre des LaurĂ©ats du Conservatoires, surtout les vents sublimes, et espĂ©rons que les quelques petits dĂ©calages, repĂ©rĂ©s ça et lĂ , entre fosse et plateau soient maĂ®trisĂ©s rapidement par le chef Koen Kessels. A ne pas manquer car Giselle fait un retour d’autant plus rĂ©ussi qu’il Ă©tait attendu, au Palais Garnier, avec plusieurs distributions, du 30 mais jusqu’au 14 juin 2016.

Compte rendu, ballet. Paris, OpĂ©ra Garnier, le 16 avril 2016. Spectacle de l’Ecole de Danse de l’OpĂ©ra National de Paris. Bournonville,Petit…Guillermo Garcia Calvo, direction musicale.

PrĂ©sentation de l’Ecole de Danse de l’OpĂ©ra National de Paris ce soir au Palais Garnier ! Les petits rats de Paris interprètent sur scène 3 chorĂ©graphies qui mettent en valeur l’excellence et la diversitĂ© de l’Ă©cole française. Les futurs virtuoses des ballets du monde entier offrent donc du Bournonville, du Petit, du Taras, en une soirĂ©e Ă  perdre l’haleine ! Le chef espagnol Guillermo Garcia Calvo assure la direction musicale ; il est tout Ă  fait complice de l’Orchestre des LaurĂ©ats du Conservatoire. Un Ă©vĂ©nement exaltant qui a tenu ses promesses !

Les virtuoses de l’avenir

L’Ecole de Danse de l’OpĂ©ra de Paris est dirigĂ© par Elisabeth Platel, danseuse Etoile retraitĂ©e et crĂ©atrice de maints rĂ´les principaux des ballets classiques de Noureev ! Elle a Ă  sa charge les 156 Ă©lèves, dont 76 sont sur scène pour les 4 reprĂ©sentations de ce printemps 2016. Ils ont entre 10 et 18 ans et sont les promesses de la danse Ă  venir ! Le programme qu’elle a conçu pour ces 4 dates a tout pour plaire Ă  tous ! La soirĂ©e commence avec un extrait de l’acte 1 du ballet « Conservatoire » par le danois Auguste Bournonville. Pour nous, il est impossible de rater quoi que ce soit en relation avec le style Bournonville, l’Ecole Danoise de Danse Ă©tant la vĂ©ritable hĂ©ritière de la danse acadĂ©mique française, remontant ses origines jusqu’Ă  Jean-Georges Noverre, père du ballet moderne, et passant par Auguste Vestris (fils de GaĂ©tan Vestris, lui-mĂŞme crĂ©ateur du rond de jambe en l’air), soit une figure lĂ©gendaire vĂ©ritable icĂ´ne par sa virtuositĂ© technique et la popularisation de l’entrechat.

Que dire alors des petits rats de l’opĂ©ra s’attaquant Ă  la virtuositĂ© danoise ? L’extrait fait rĂ©fĂ©rence Ă  un cours de danse pris par Bournonville lors de son sĂ©jour parisien, cours donnĂ© par nul autre qu’Auguste Vestris. D’une grande difficultĂ© technique, nous nous rĂ©jouissons de voir la jeunesse s’attaquer Ă  une danse qui pousse leur potentiel. Ici, le MaĂ®tre de Ballet interprĂ©tĂ© par LĂ©o de Busserolles (1ère division), bien que d’un regard sĂ©rieux, se distingue tout de mĂŞme par le professionnalisme de son exĂ©cution, … brillante. Si les jeunes danseurs ne s’abandonnent pas Ă  la lĂ©gèretĂ© presque comique du ballet (qui est Ă  la base très vaudevillesque), nous saluons la technique ; l’incroyable effort, le travail de bas de jambe sont impressionnants. Le moment le plus tendre de la soirĂ©e fut l’entrĂ©e des tout petits rats de la 6ème division, tous joie ; tous virtuositĂ©, lors de leur dĂ©monstration maĂ®trisant des dĂ©gagĂ©s ravissants !

Vient ensuite Les Forains de Roland Petit. Créé au Théâtre des Champs ElysĂ©es en 1945, il s’agĂ®t d’un ballet narratif, vrai commentaire sur la rĂ©alitĂ© de l’artiste dans la sociĂ©tĂ©. Très théâtral, il raconte l’histoire des forains rĂ©pĂ©tant et prĂ©sentant un show. Que des solistes dont nous retenons le Clown très expressif et bondissant de Giorgio Furès (1ère division), la Vision de LoĂŻe Fuller de Bleuenn Battistoni (1ère division), la Belle Endormie pleine de brio et de charme de CĂ©lia Drouy (mĂŞme division), ou encore la prĂ©sence scĂ©nique so pop star du Prestidigitateur d’Andrea Sarri (toujours la mĂŞme division). La soirĂ©e se termine avec le ballet inclassable de John Taras, Piège de Lumière. Un bonheur nĂ©oclassique très particulier : il raconte l’histoire des bagnards se retrouvant dans une jungle, oĂą ils mettent des pièges de lumière pour attirer les insectes… Et une histoire d’amour fantaisiste s’esquisse entre un jeune bagnard, fabuleusement interprĂ©tĂ© par Zino Merckx, et une morphide ou papillon des tropiques, interprĂ©tĂ© avec une prestance altière et fantastique par Nine Seropian. Remarquons Ă©galement un Iphias de GaĂ©tan Vermeulen, Ă  la belle ligne et rĂ©ussissant ses sauts, entrechats et divers pas, avec une certaine lĂ©gèretĂ©… papillonnante.

L’orchestre a fait preuve d’un sens rythmique indĂ©niable, sachant s’adapter rapidement aux spĂ©cificitĂ©s des musiques de Holger Simon Paulli, Henri Sauguet et Jean-Michel Damase. Une soirĂ©e d’espoirs et de beautĂ©, et aussi un outil pĂ©dagogique s’inscrivant dans le lĂ©gat de l’ancien Directeur du Ballet de l’OpĂ©ra de Paris, Rudolf Noureev, qui insistĂ© sur le fait qu’aux jeunes danseurs il fallait « donner Ă  manger », donc les faire danser ! Un spectacle heureux et des jeunes talents prometteur… Bravo aux danseurs !

Compte rendu, ballet. Paris, OpĂ©ra Garnier, le 16 avril 2016. Spectacle de l’Ecole de Danse de l’OpĂ©ra National de Paris. Auguste Bournonville, Roland Petit, John Taras, ballets. Orchestre des LaurĂ©ats du conservatoire… Guillermo Garcia Calvo, direction musicale.

Compte-rendu, Passion. Massy. Opéra de Massy. 23 mars 2016. J.S. Bach : Passion selon Saint-Jean.Choeur Aedes. Les Surprises. Mathieu Romano

Compte-rendu, oratorio. Massy. OpĂ©ra de Massy. 23 mars 2016. J.S. Bach : Passion selon Saint Jean. Fernando Guimaraes, Rachel Redmond, Enguerrand de Hys… Ensemble Aedes, choeur. Ensemble Les Surprises, orchestre. Mathieu Romano, direction musicale. Qui dit pĂ©riode de Pâques dit Bach… quelle meilleure façon de cĂ©lĂ©brer les 10 ans de l’Ensemble Aedes que de prĂ©senter la Passion selon Saint Jean du Cantor de Leipzig (Direktor Musices), avec l’orchestre aux 18 instrumentistes sur instruments d’Ă©poque : Les Surprises ? Nous sommes donc Ă  l’OpĂ©ra de Massy pour la première Ă©tape de cette cĂ©lĂ©bration qui continue son chemin Ă  Compiègne puis Ă  Suresnes.

bach_js jean sebastianPASSION INTIMISTE. Sans doute la moins pathĂ©tique des Passions de Bach, elle n’est pas pourtant sans anecdote ni controverse. Si auparavant on a voulu voir un anti-sĂ©mitisme notoire dans le texte, les recherches actuelles et la remise en contexte prouvent au contraire que l’Oratorio de Jean-SĂ©bastien Bach est l’un des moins antisĂ©mites, surtout par rapport Ă  son siècle. On a voulu voir aussi une Passion un peu trop lyrique, trop exubĂ©rante pour le sujet d’origine sacrĂ©e ; le reproche que les âmes les plus conservatrices font encore au Mozart de la Messe en Ut, par exemple. Si ce dernier point reste un sujet de dĂ©bat stylistique, l’interprĂ©tation intimiste du choeur Aedes aide Ă  remettre en question tous les a priori qu’on peut avoir par rapport Ă  la musique dite sacrĂ©e, et surtout en ce qui concerne l’ornamentation et la stylisation dans l’expression d’une ferveur religieuse quelconque.

DirigĂ©s par Mathieu Romano, le choeur et l’orchestre des Surprises dĂ©butent la soirĂ©e avec quelques petits soucis d’accordage aux cordes (toujours une question dĂ©licate dans les instruments d’Ă©poque), qu’ils ont pu rĂ©gler rapidement après le choeur qui ouvre l’oeuvre « Herr, unser Herrscher, dessen Ruhm in allen Landen herrlich ist! ». La distribution des solistes est jeune et brille d’un dynamisme particulier, Ă  commencer par la soprano Ă©cossaise Rachel Redmond (collaboratrice frĂ©quente et talent dĂ©nichĂ© par William Christie) qui se montre toute agilitĂ©, virtuose dans chacun de ses airs, qu’ils soient mĂ©ditatifs ou agitĂ©s. Le jeune tĂ©nor Enguerrand de Hys interprète ses airs pour tĂ©nor avec un timbre et un style remarquables, mĂŞme s’il y eut des moments oĂą l’Ă©quilibre entre sa voix allĂ©chante et l’orchestre baroque s’est vu compromis. Le tĂ©nor Fernando Guimaraes interprète quant Ă  lui le rĂ´le ingrat, pĂ©nalisant et hyper expressif de l’évangĂ©liste. Si la diction de son allemand approximatif est parfois flagrante, il campe une performance pleine d’esprit, très dramatique comme la partition l’exige. Si l’interprĂ©tation de l’alto MĂ©lodie Ruvio est solide et parfois intense, elle demeure pourtant peu mĂ©morable. A la diffĂ©rence de celles des deux basses, Victor Sicard dans le rĂ´le de JĂ©sus (NDLR* : autre partenaire familier des Arts Florissants et laurĂ©ats rĂ©cents du Jardin des voix de William Christie) et Nicolas Brooymans (membre du choeur Aedes) dans le rĂ´le de Pilate. Le premier, qui est plus baryton que basse offre un chant tout Ă  fait touchant, spiritoso. Brooymans quant Ă  lui impressionne par sa voix large et imposante.

Le Choeur Aedes s’amĂ©liore progressivement. Si au dĂ©but de la prĂ©sentation nous avons Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s par la dynamique quelque peu hasardeuse entre les voix du choeur, ils se sont très rapidement accordĂ©s. Par la suite ils ont tout simplement rayonnĂ© par un entrain baroque, et se sont montrĂ©s d’un dynamisme aux effets surprenants, une qualitĂ© qui leur est propre et très remarquable. Une fois avoir surpassĂ© les soucis d’accordage des cordes,  Les Surprises se sont aussi accordĂ©s Ă  la complicitĂ© du choeur, sans pour autant captiver l’audience. Une proposition très intĂ©ressante, et une cĂ©lĂ©bration des dix ans d’existence de l’Ensemble Aedes tout Ă  fait Ă  la hauteur de leur âge !

 

(*) NDLR : Note de la Rédaction

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 14 mars 2016.TchaĂŻkovski : Iolanta / Casse-Noisette. Sonia Yoncheva… Dmitri Tcherniakov

SoirĂ©e de choc très attendue Ă  l’OpĂ©ra National de Paris ! Après une première avortĂ©e Ă  cause des mouvements syndicaux, nous sommes au Palais Garnier pour Iolanta et Casse-Noisette de TchaĂŻkovski, sous le prisme unificateur (ma non troppo), du metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov lequel a eu la tâche d’assurer la direction non seulement de l’opĂ©ra mais aussi du ballet. Une occasion rare de voir aussi 3 chorĂ©graphes contemporains s’attaquer Ă  l’un des ballets les plus cĂ©lèbres du rĂ©pertoire. Le tout dans la mĂŞme soirĂ©e, avec la direction musicale d’un Alain Altinoglu plutĂ´t sage et la prĂ©sence inoubliable de la soprano Sonia Yoncheva dans le rĂ´le-titre. Une proposition d’une grande originalitĂ© avec beaucoup d’aspects remarquables, pourtant non sans dĂ©faut.

 iolanta casse noisette iolantha opera de paris

 

 

 

Iolanta, hymne Ă  la vie

yoncheva_sonya_recital_parisSonia Yoncheva est annoncĂ©e souffrante avant le dĂ©but de la reprĂ©sentation et tout le Palais Garnier soupire en consĂ©quence. Or, surprise, la cantatrice bulgare dĂ©cide quand mĂŞme d’assurer la prestation… pour notre plus grand bonheur ! Iolanta est le dernier opĂ©ra de Tchaikovsky et il raconte l’histoire de Iolanta, princesse aveugle qui regagne la vue par l’amour, histoire tirĂ©e de la pièce du danois Henrik Hertz « La fille du Roi RenĂ© ». Ici, le Roi RenĂ© occulte la cĂ©citĂ© de sa fille pour lui Ă©viter toute souffrance. Elle vit dans un monde aseptisĂ© mais soupçonne qu’on lui cache quelque chose. Elle a un certain malheur mais elle ne sait pas ce que c’est. C’est sa rencontre avec VaudĂ©mont, ami de Robert de Bourgogne Ă  qui elle est promise dès sa naissance, qui crĂ©e en elle le dĂ©sir de regagner la vue ; elle y arrive. Une histoire simple mais d’une beautĂ© bouleversante, et ce dans plusieurs strates.

Nous sommes rapidement Ă©mus par la beautĂ© de la musique de Tchaikovsky, dès la première scène introductrice, et jusqu’Ă  la fin de l’opĂ©ra. Ici le maĂ®tre russe montre la plus belle synthèse de charme charnel, et sensoriel, et de profondeur philosophique et spirituelle. L’œuvre commence par un arioso de Iolanta suivi des choeurs dĂ©licieux Ă  l’effet immĂ©diat. Sonia Yoncheva, mĂŞme souffrante, se rĂ©vèle superlative dans ce rĂ©pertoire et nous sommes complètement sĂ©duits par son chant rayonnant et glorieux (de quoi souffrait-elle ce soir-lĂ , nous nous le demandons). Son arioso initial qui sert de prĂ©sentation a une force dramatique et poĂ©tique qu’il nous sera difficile d’oublier. Le rĂ´le souvent incompris de VaudĂ©mont est interprĂ©tĂ© par le tĂ©nor Arnold Rutkowski brillamment mais avec un certain recul (il s’agĂ®t de ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra National de Paris). Au niveau vocal et dramatique il est excellent, et nous sommes de l’avis que l’apparente rĂ©serve du personnage est voulue par les crĂ©ateurs, les frères TchaĂŻkovski (Modest en a Ă©crit le livret). Ce rĂ´le est dans ce sens une vrai opportunitĂ© pour les tĂ©nors de se dĂ©barrasser du clichĂ© du hĂ©ros passionnĂ©ment musclĂ© et souvent sottement hyper-sexuĂ©. Curieusement, nous sommes tout autant sensibles au charme viril du jeune baryton Andrei Jilihovschi faisant Ă©galement ses dĂ©buts Ă  l’opĂ©ra dans le rĂ´le de Robert de Bourgogne. Il est tout panache et rayonne d’un je ne sais quoi de juvĂ©nile qui sied bien au personnage. Si la musique d’Ibn Hakia, le mĂ©decin maure interprĂ©tĂ© par Vito Priante est dĂ©licieusement orientalisĂ©e, sa performance paraĂ®trait aussi, bien que solide, quelque peu effacĂ©e. Le Roi RenĂ© de la basse Alexander Tsymbalyk a une voix large et pĂ©nĂ©trante, et se montre complètement investi dans la mise en scène. S’il demeure peut-ĂŞtre trop beau et trop jeune pour ĂŞtre le vieux Roi, il campe une performance musicale sans dĂ©faut. Remarquons Ă©galement les choeurs, des plus rĂ©ussis dans toute l’histoire de la musique russe !

Casse-Noisette 2016 ou fracasse-cerneaux, protéiforme et hasardeux

Si la lecture de Tcherniakov pour Iolanta, dans un salon (lieu unique) issu de l’imaginaire tchekhovien, est d’une grande efficacitĂ©, l’idĂ©e d’intĂ©grer Casse-Noisette dans l’histoire de Iolante (ou vice-versa), nous laisse mitigĂ©s. Il paraĂ®trait que Tcherniakov s’est donnĂ© le dĂ©fit de faire une soirĂ©e cohĂ©rente dramatiquement, en faisant de l’opĂ©ra partie du ballet. C’est-Ă -dire, Ă  la fin de Iolanta, les dĂ©cors s’Ă©largissent et nous apprenons qu’il s’agissait d’une reprĂ©sentation de Iolanta pour Marie, protagoniste du Casse-Noisette. Si les beaucoup trop nombreuses coutures d’un tel essai sont de surcroĂ®t Ă©videntes, elles ne sont pas insupportables. Dans ce sens, fĂ©licitons l’effort du metteur en scène.

Son Casse-Noisette rejette ouvertement Petipa, E.T.A Hoffmann, Dumas, et mĂŞme TchaĂŻkovski diront certains. Il s’agĂ®t d’une histoire quelque peu tirĂ© des cheveux, oĂą Marie cĂ©lèbre son anniversaire avec sa famille et invitĂ©s, et après avoir « regardĂ© » Iolanta, ils s’Ă©clatent dans une « stupid dance » signĂ© Arthur Pita, oĂą nous pouvons voir les fantastiques danseurs du Ballet carrĂ©ment s’Ă©clater sur scène avec les mouvements les plus drolatiques, populaires et insensĂ©s, elle tombe amoureuse de VaudĂ©mont (oui oui, le VaudĂ©mont de l’opĂ©ra qui est tout sauf passionnĂ© et qui finit amoureux de Iolanta, cherchez l’incongruitĂ©). Mais puisque l’amour c’est mal, devant un baiser passionnĂ© de couple, les gens deviennent très violents, autant que la belle maison tchekhovienne tombe en ruines. On ne sait pas si c’est un tremblement de terre ou plutĂ´t la modestie des bases intellectuelles de cette conception qui fait que tout s’Ă©croule. Ensuite nous avons droit Ă  l’hiver sibĂ©rien et des sdf dansant sur la neige et les dĂ©gâts, puis il y a tout un brouhaha multimedia impressionnant et complètement inintĂ©ressant, mĂ©langeant cauchemar, hallucination, fantasme, caricature, grotesque, etc. Heureusement qu’il y a TchaĂŻkovski dans tout ça, et que les interprètes se donnent Ă  fond. C’est grâce Ă  eux que le jeu se maintient mais tout est d’une fragilitĂ© qui touche l’ennui tellement la proposition rejette toute rĂ©fĂ©rence Ă  la beautĂ© des ballets classiques et romantiques.

Enfin, parlons des danses et des danseurs. Après l’introduction signĂ©e Arthur Pita, faisant aussi ses dĂ©buts dans la maison en tant que chorĂ©graphe invitĂ©, vient la chorĂ©graphie d’un Edouard Lock dont nous remarquons l’inspiration stylistique Modern Danse, Ă  la Cunningham, avec un peu de la Bausch des dĂ©buts. L’effet est plutĂ´t Ă©trange, mais il demeure très intĂ©ressant de voir nos danseurs parisiens faire des mouvements gĂ©omĂ©triques saccadĂ©s et rĂ©pĂ©titifs Ă  un rythme endiablĂ©, sur la musique romantique de TchaĂŻkovski. Il signe Ă©galement les divertissements nationaux toujours dans le mĂŞme style pseudo-Cunningham. Si les danseurs y excellent, et se montrent tout Ă  fait investis et sĂ©rieux malgrĂ© tout, la danse en elle mĂŞme Ă  un vrai effet de remplissage, elle n’est ni abstraite ni narrative, et Ă  la diffĂ©rence des versions classiques ou romantiques, le beau est loin d’ĂŞtre une prĂ©occupation. Autant prĂ©senter les chefs-d’oeuvres abstraits de Merce Cunningham, non ?

La Valse des Fleurs et le Pas de deux final, signĂ©s Cherkaoui, sauvent l’affaire en ce qui concerne la poĂ©sie et la beautĂ©. La Valse des fleurs consiste dans le couple de Marie et VaudĂ©mont dansant la valse (la chorĂ©graphie est très simple, remarquons), mais elle se rĂ©vèle ĂŞtre une valse des âges avec des sosies du couple s’intĂ©grant Ă  la valse, de façon croissante au niveau temporaire, finissant donc avec les sosies aux âges de 80 ans. Dramatiquement ça a un effet, heureusement. Le Pas de deux final est sans doute le moment aux mouvements les plus beaux. StĂ©phane Bullion, Etoile et Marion Barbeu, Sujet, offrent une prestation sans dĂ©faut. Alice Renavand, Etoile, dans le rĂ´le de La Mère se montre particulièrement impressionnante par son investissement et son sĂ©rieux, et par la maĂ®trise de ses fouettĂ©s dĂ©licieusement exĂ©cutĂ©s en talons !!! A part le corps de ballet qui s’Ă©clate et s’amuse littĂ©ralement, nous voulons remarquer la performance rĂ©vĂ©latrice d’un Takeru Coste, Quadrille (!), que nous venons de dĂ©couvrir Ă  cette soirĂ©e et qui nous impressionne par son sens du rythme, son athlĂ©tisme, sa plastique… Il incarne parfaitement l’esprit du Robert de Bourgogne de l’opĂ©ra, avec une certaine candeur juvĂ©nile allĂ©chante.

L’Orchestre et les choeurs de l’opĂ©ra de Paris quant Ă  eux offrent une prestation de qualitĂ©, nous remarquons les morceaux Ă  l’orientale de l’opĂ©ra, parfaitement exĂ©cutĂ©s, comme les deux grands choeurs fabuleux oĂą tout l’art orchestrale de Tchaikovsky se dĂ©ploie.

Si le chef Alain Altinoglu paraĂ®t un peu sage ce soir, insistant plus sur la limpiditĂ© que sur les contrastes, il explore les richesses de l’orchestre de la maison de façon satisfaisante. Un spectacle ambitieux qu’on conseille vivement de dĂ©couvrir, de par sa raretĂ©, certes, mais aussi parce qu’il offre beaucoup de choses qui pourront faire plaisir aux spectateurs… C’est l’occasion de dĂ©couvrir Iolanta, de se rĂ©galer dans une nuit « Tchaikovsky only », d’explorer diffĂ©rents types de danses modernes et contemporaines parfaitement interprĂ©tĂ©s par le fabuleux Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. DoublĂ© Iolanta et Casse-Noisette de Tcahikovski en 1 soirĂ©e au Palais Garnier Ă  Paris : encore Ă  l’affiche les 17, 19, 21, 23, 25, 26, 28 et 30 mars ainsi que le 1er avril 2016, avec plusieurs distributions.

 

 

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier. 14 mars 2016. P.E. TchaĂŻkovski : Iolanta / Casse-Noisette. Sonia Yoncheva, Alexander Tsymbalyuk, Andrej Jilihovschi… Choeur, Orchestre et Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. Dmitri Tcherniakov, conception, mise en scène. Arthur Pita, Edouard Lock, Sidi Larbi Cherkaoui, chorĂ©graphes. Alain Altinoglu, direction musicale.

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra National de Paris (Bastille), le 2 novembre 2015. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Roberto Alagna, Ambrogio Maestri, Aleksandra Kurzak… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris JosĂ© Luis Basso, chef des choeurs. Donato Renzetti, direction musicale.

donizetti opera classiquenews gaetano-donizettiLe plus chaleureux des bijoux comiques de Donizetti revient Ă  l’OpĂ©ra National de Paris ! L’Elisir d’Amore s’offre ainsi Ă  nous en cet automne dans une production signĂ©e Laurent Pelly, et une distribution presque parfaite dont Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak forment le couple amoureux, aux cĂ´tĂ©s du fantastique baryton Ambrogio Maestri en Dulcamara. Les choeurs et l’orchestre de l’OpĂ©ra interprètent l’œuvre lĂ©gère avec un certain charme qui ne se perd pas trop dans l’immensitĂ© de la salle. Un melodramma giocoso succulent malgrĂ© quelques bĂ©mols !

 

 

 

La « comédie romantique » par excellence, de retour à Paris

 

En 1832, Donizetti, grand improvisateur italien de l’Ă©poque romantique, compose L’Elisir d’Amore en deux mois (pas en deux semaines!). Le texte de Felice Romani s’inspire d’un prĂ©cĂ©dent de Scribe pour l’opĂ©ra d’Auber « Le Philtre », dont la première a eu lieu un an auparavant. L’opus est une comĂ©die romantique en toute lĂ©gèretĂ©, racontant l’amour contrariĂ© du pauvre Nemorino pour la frivole et riche Adina, et leur lieto fine grâce Ă  la tromperie de Dulcamara, charlatan, et son “magico elisire”. Une Ĺ“uvre d’une jouissance infatigable, vĂ©ritable cadeaux vocal pour les 5 solistes, aux voix dĂ©licieusement flattĂ©s par les talents du compositeur.

En l’occurrence, s’impose un Roberto Alagna tout Ă  fait fantastique en Nemorino. Nous peinons Ă  croire que ce jeune homme amoureux a plus de 50 ans, tellement son investissement scĂ©nique et comique est saisissant. Mais n’oublions pas la voix qui l’a rendu cĂ©lèbre et ce suprĂŞme art de la diction qui touche les cĹ“urs et caresses les sens. VĂ©ritable chef de file de la production, il est rĂ©actif et complice dans les nombreux ensembles et propose une « Una Furtiva Lagrima » de rĂŞve, fortement ovationnĂ©e. A cĂ´te de ce lion sur la scène, la soprano Aleksandra Kurzak rĂ©ussit Ă  faire de son Adina, la coquette insolente que la partition cautionne. Elle prend peut-ĂŞtre un peu de temps pour ĂŞtre Ă  l’aise, mais finit par offrir une prestation tout Ă  fait charmante. Le Dulcamara d’Ambrogio Maestri est une force de la nature, et par sa voix large et seine, et par son jeu d’actor, malin et vivace Ă  souhait ! Si nous sommes déçus du Belcore de Mario Cassi (faisant ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra de Paris, comme c’est le cas de la Kurzak), notamment par sa piccola voce dans cette salle si grande et par une piètre implication dans sa partition, nous apprĂ©cions à  l’inverse, les qualitĂ©s de la Giannetta de Melissa Petit.

Les choeurs de l’OpĂ©ra sont comme c’est souvent le cas, dans une très bonne forme, et se montrent rĂ©actif et jouissifs sous la direction de JosĂ© Luis Basso. L’Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris fait de son mieux sous la direction du chef Donato Renzetti. Quelques moments de grande beautĂ© instrumentale se rĂ©vèlent, par ci et par lĂ , mais l’enchantement ce soir naĂ®t de l’Ă©criture vocale fabuleuse plus que de l’Ă©criture instrumentale très peu sophistiquĂ©. Donizetti se distingue par son don incroyable de pouvoir imprimer des sensations et des sentiments sincères dans la texture mĂŞme de la musique. La caractĂ©risation musicale est incroyable et d’un naturel confondant (Ă  l’opposĂ© de la farce dĂ©licieuse d’un Rossini plus archĂ©typal). Dans ce sens, la production de Laurent Pelly datant de 2006 s’accorde Ă  ce naturel et Ă  cette sincĂ©ritĂ©, tout en mettant en valeur l’aspect comique voire anecdotique de l’œuvre. Une dĂ©licieuse reprise que nous recommandons vivement Ă  nos lecteurs ! A l’OpĂ©ra Bastille les 5, 8, 11, 14, 18, 21 et 25 novembre 2015.

Compte rendu, piano. Paris, Gaveau, le 4 novembre 2015. Seasons, les Saisons… Tchaikovski, Piazzola, Carrapatoso. Filipe Pinto-Ribeiro, piano

pinto-ribeiro-filipe-portrait-490-piano-classiquenewsCompte rendu, rĂ©cital de piano. Paris, salle Gaveau, le 4 novembre 2015. RĂ©cital Piano Seasons, les Saisons… Tchaikovski, Piazzola, Carrapatoso. Filipe Pinto-Ribeiro, piano. RĂ©cital intime et poĂ©tique Salle Gaveau ! Le pianiste portugais,  – « Steinway Artist » -,  Filipe Pinto-Ribeiro offre Ă  Paris pour la prĂ©sentation de son nouvel album paru chez Paraty « Piano Seasons », un programme personnel qui est Ă  l’image de son album discographique, un parcours musical mĂ©ticuleusement Ă©laborĂ©. C’est un aperçu du contenu du double album, avec les saisons comme thème conducteur. Nous avons donc trois approches diffĂ©rentes sur le sujet avec Tchaikovsky, Piazzolla et Carrapatoso, formant triptyque. L’Ă©vĂ©nement extraordinaire est aussi l’occasion de cĂ©lĂ©brer les 50 ans de la dĂ©lĂ©gation française de la Fondation Gubelkian ; il correspond aussi Ă  deux premières françaises des arrangements pour piano.

 

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Explorateur, poète alchimiste, Filipe Pinto-Ribeiro assemble les étapes d’un parcours marqué par la sensibilité et le coeur…

Tchaikovsky, Carrapatoso, Piazzolla…
Voyage au long des époques et des saisons

Le dĂ©but du programme est une citation du maĂ®tre Zen Dogen : « Au Printemps, les fleurs du cerisier, l’EtĂ©, le coucou. L’Automne, la lune, et l’Hiver, la neige, claire, froide ». Une introduction mĂ©ditative qui sied bien Ă  la poĂ©sie inhĂ©rente Ă  la thĂ©matique du rĂ©cital et ces trois visions des saisons, avec leurs couleurs et leurs arĂ´mes particuliers, immersion spĂ©cifique Ă  chacun des siècles des trois compositeurs. Un voyage poĂ©tique et pittoresque au XIXe, XXè et XXIe siècles. Le soliste commence avec des extraits des « Saisons » de Tchaikovsky pour piano solo. Une sĂ©rie de pièces courtes composĂ©e par le maĂ®tre Russe entre la première de son Concerto pour piano en si bĂ©mol mineur et son premier ballet, Le Lac des Cygnes. La commande suscite des contraintes tonales et programmatiques avec une certaine influence allemande, particulièrement Schumannienne, tout en restant remarquablement slave. Filipe Pinto-Ribeiro dĂ©ploie ses nombreux talents dès les premières mesures. Sa très fine sensibilitĂ© est le trait de caractère dominant tout au long du rĂ©cital. Cet aspect touchant se distingue et Ă©tonne davantage dans les extraits Ă  la mĂ©trique et au rythme irrĂ©guliers comme « Carnaval ». L’interprète dĂ©ploie sa technique toujours alliĂ©e Ă  une sensibilitĂ© directement palpable (« Troika », mouvement d’une difficultĂ© redoutable).« Barcarolle » se fait sommet d’expression et de beautĂ©, non seulement par l’exĂ©cution des aspects polyphoniques et contrapuntiques du morceau, mais aussi grâce Ă  l’accord harmonieux de la personnalitĂ© de l’artiste, avec un je ne sais quoi de nostalgique et d’insulaire ; l’approche très poĂ©tique Ă©voque le mouvement lent d’une barque qui appareille pour peut-ĂŞtre ne plus jamais revenir.

Telle sensibilitĂ© romantique se maintient dans la première française des Quatre dernières saisons de Lisbonne de son confrère, le compositeur portugais contemporain Eurico Carrapatoso (il s’agit Ă©galement d’un premier enregistrement mondial). L’œuvre est un mĂ©lange de folklore portugais, de romantisme et de modernisme musical. L’Hiver, au clair de Lune de janvier brillant sur le Tage, n’est pas sans rappeler Debussy et Satie. La Valse mĂ©lancolique du Printemps a un certain charme folklorique tout comme la Marche (im)populaire de l’EtĂ© qui mĂ©lange sombre religiositĂ© et musique de boulevard. Le Fado des Nymphes du Tage de l’Automne est le morceau le plus langoureux : il est ouvertement nostalgique. Un chant viscĂ©ralement Portugais, de grande beautĂ©.

Le rĂ©cital se termine avec la première française d’un nouvel arrangement pour piano solo (signĂ© Marcelo Nisinman) des Saisons de Buenos Aires du compositeur argentin Astor Piazzolla. Sommet du Nuevo Tango mĂ©langeant tango traditionnel, classique et jazz. Ici toute la pompe argentine cĂ´toie en permanence la sensualitĂ© inhĂ©rente au style du tango, tout en dĂ©montrant avec frivolitĂ©, et de façon expressionniste, une riche palette de sentiments (tristesse, solitude, passion…) ; ce par le biais d’une virtuositĂ© pianistique Ă  la fois scintillante et directe, dans laquelle Filipe Pinto-Ribeiro ne fait qu’exceller !

L’artiste est aussi gĂ©nĂ©reux avec un public chaleureux et impressionnĂ© : il offre trois bis dont nous relevons la forte sensibilitĂ©, demeurĂ© intacte, en particulier la beautĂ© sublime du premier : une mĂ©lodie de l’OrphĂ©e de Gluck arrangĂ© par Sgambati puis c’est le chant sombre et populaire du Jongo, Dance Nègre d’Oscar Lorenzo Fernandez. Des bijoux musicaux et poĂ©tiques qui confirment l’attrait particulier de ce rĂ©cital intime et virtuose Ă  la Salle Gaveau ! La dĂ©couverte d’un pianiste au toucher sensible et Ă  la technique remarquable dans le cadre intimiste et chaleureux de la Salle Gaveau s’impose aux auditeurs parisiens venus l’écouter. C’est une soirĂ©e riche en couleurs et en saveurs dont la qualitĂ© mĂ©morable se retrouve dans le disque qu’il vient de faire paraĂ®tre chez Paraty. Un grand artiste Ă  suivre dĂ©sormais.

 

 

Compte rendu, récital de piano. Paris, salle Gaveau, le 4 novembre 2015. Récital Piano Seasons, les Saisons… Tchaikovski, Piazzola, Carrapatoso. Filipe Pinto-Ribeiro, piano.

 

 

 

Compte rendu, danse. Paris. Palais Garnier, le 30 septembre 2015. Benjamin Millepied, JĂ©rĂ´me Robbins, Geogre Balanchine, ballets. Mathias Heymann, Amandine Albisson, François Alu… Ballet de l’OpĂ©ra National de Paris. Orchestre de l’OpĂ©ra. Maxime Pascal, direction.

L’OpĂ©ra National de Paris nous accueille pour la deuxième reprĂ©sentation de la soirĂ©e nĂ©o-classique signĂ©e Millepied, Robbins et Balanchine. Le Ballet de l’OpĂ©ra interprète la nouvelle chorĂ©graphie du Directeur du Ballet, “Clear, Loud, Bright, Forward”, l’Opus 19 / “The Dreamer” de Jerome Robbins faisant son entrĂ©e au rĂ©pertoire de la compagnie, ainsi que le “Thème et Variations” de George Balanchine, de retour au Palais Garnier depuis des annĂ©es d’absence.

Néoclassicisme revisité, hommage aux Etats-Unis

Benjamin Millepied : l'Ă©lĂ©gance sophistiquĂ©eLe spectacle commence avec la nouvelle production. Nous sommes immĂ©diatement frappĂ©s par la construction scĂ©nographique et les lumières de The United Visual Artists & Lucy Carter. Il s’agĂ®t d’un espace fermĂ©, un cube dans l’Ă©chelle de gris avec des lumières sensibles et intelligentes. Comme la chorĂ©graphie de Millepied d’ailleurs, qui s’inspire fortement des autres deux chorĂ©graphes de la soirĂ©e Robbins et Balanchine, mais pas que. L’esprit de groupe apparemment dĂ©contractĂ© et certaines dĂ©sarticulations rappellent Forsythe, ainsi que les costumes d’Iris van Herpen et l’aspect industriel de la production. L’œuvre est interprĂ©tĂ©e exclusivement par des jeunes danseurs, surtout des Sujets et CoryphĂ©es (avec la surprise d’un Quadrille, Roxane Stojano), et c’est un ballet Ă  l’expressionnisme abstrait, ma non tanto. Remarquons Ă©galement le mariage fabuleux de la danse avec la musique de Nico Muhly, collaborateur fĂ©tiche du chorĂ©graphe. D’une envergure peut-ĂŞtre plus modeste que le ballet prĂ©cĂ©dent de Millepied, Daphnis & ChloĂ© créée l’annĂ©e dernière ; il met nĂ©anmoins en valeur les qualitĂ©s des danseurs choisis, et pendant plus de 30 minutes, place Ă  un enchaĂ®nements de solos et d’ensembles, caractĂ©ristiques, ma non troppo, sur un rythme soutenu. Un danseur se distingue… Florimond Lorieux marque l’esprit par l’investissement physique, mais en vĂ©ritĂ© toute la troupe semble très homogène.

Dans l’Opus 19 / The Dreamer de Jerome Robbins, c’est Mathias Heymann, Etoile qui se dĂ©marque, avec le partenariat heureux et fort surprenant d’Amandine Albisson, Etoile. Nous sommes toujours admiratifs des belles lignes du danseur, mais tout particulièrement de la performance d’Albisson, que nous trouvons fantastique, avec une aisance phĂ©nomĂ©nale dans le nĂ©oclassicisme de Robbins, dans ses influences de danse moderne et de danses traditionnelles Russes. Elle paraĂ®t et s’affirme, Ă©panouie et charnelle comme nous trouvons Mathias Heymann poĂ©tique et rĂŞveur. Les contrastes inhĂ©rents Ă  leur partenariat s’exacerbent mĂŞme, vivement distinguĂ©s par rapport au Corps de ballet rĂ©duit qui se fond sur le fond bleu. Le merveilleux Concerto pour violon en rĂ© majeur, op. 19 de Prokofiev est l’accompagnement de choc du ballet. Il est brillamment interprĂ©tĂ© par FrĂ©dĂ©ric Laroque de l’Orchestre de l’OpĂ©ra, et son jeu dactyle est Ă  la hauteur de la partition et de l’occasion.

Le retour du Thème et Variations de Balanchine est plutĂ´t problĂ©matique. Il s’agĂ®t du ballet le plus immĂ©diatement accessible Ă  un public très grand et divers, avec Tchaikovsky, costumes et tutus rayonnants. La danse, elle, fait hommage officieux Ă  Marius Petipa, avec un enchaĂ®nement des pas acadĂ©miques redoutables et un je ne sais quoi de So American typique de Balanchine (le ballet est créée en 1947 pour le Ballet Theatre Ă  New York, futur American Ballet Theatre). Le couple de Premiers Danseurs qui interprète l’œuvre le soir de notre venue est celui devenu habituel de François Alu et Valentine Colasante. Maints danseurs ont tĂ©moignĂ© de l’extrĂŞme difficultĂ© de cette Ĺ“uvre de 25 minutes, nous le remarquons davantage Ă  cette reprĂ©sentation. Une reprise souvent tremblante et angoissĂ©e ; nous sommes Ă©tonnĂ©s de voir la Colasante rater ou tricher ses entrechats, mĂŞme si elle arrive Ă  une certaine excellence d’exĂ©cution Ă  la fin du ballet. Comme souvent c’est le cas avec le virtuose Alu, ses pas redoutables sont rĂ©alisĂ©s de façon impeccable ou presque, ses entrechats sont bien rĂ©alisĂ©s et c’est le danseur qui tremble le moins. Ceci fait qu’il fait de l’ombre aux autres danseurs, notamment sa partenaire qui a une prestance naturelle mais dont la performance reste moyenne ce soir. MalgrĂ© l’impressionnante beautĂ© de la chorĂ©graphie, le luxe de la musique et des costumes, c’est la performance qui nous laisse plus mitigĂ©s, avec une sensation plus de soulagement Ă  sa fin que de bĂ©atitude.

Un trio des ballets nĂ©o-classiques Ă  voir au Palais Garnier de l’OpĂ©ra de Paris, pour la belle curiositĂ© de la crĂ©ation de Millepied et pour le songe dĂ©licieux qu’est la pièce de Robbins faisant son entrĂ©e au rĂ©pertoire. A l’affiche les 1er, 2, 4, 5, 7, 9, 10 et 11 octobre 2015.