CRITIQUE DVD. André Tubeuf (1930 – 2021) : le lied (Bel air classiques)

tubeuf liede documentaire critique classiquenews bac187-visuel-recto-730x1038CRITIQUE DVD. André Tubeuf (1930 – 2021) : le lied (Bel air classiques) – Rue Milton, dans son salon cosi, cadre intimiste qui prête à la confession, le musicologue, écrivain et philosophe André Tubeuf délivre (en 2018) les clés de compréhension d’une passion ainsi explicitée : le lied, entendez l’équivalent germanique de la mélodie française. Les 7 épisodes composent chacun un commentaire libre sur le sujet questionné : connaisseurs de poésie, les compositeurs ayant réussi l’accord ténu, subtil, exceptionnel du verbe et de la musique, du chant et des climats sonores sont ainsi magistralement abordés, expliqués à travers une conversation libre, – une rencontre idéale où le savoir et le commentaire sont des portes ouvertes sur des trésors poétiques et musicaux de première valeur. Comme une odyssée explorant 7 constellations musicales, sont commentés avec finesse les auteurs suivants : tous les romantiques sont analysés sans érudition opaque mais avec la vivacité d’une culture qui sait être accessible : des préromantiques Mozart et Beethoven, aux grands noms du lied, Schubert évidemment (2 volets parmi les plus passionnants dont de nombreux exemples extraits du Winterreise / La Voayge d’hiver qui est la parabole de l’existence terrestre), Schumann, Brahms, et les plus tardifs et non les moindres : Wolf, Richard Strauss, Gustav Mahler…
CLIC D'OR macaron 200Avec éloquence et références aussi avec les peintres (Caspar Friedrich, Van Gogh, Spitzweg…), le guide narrateur, inspiré, enchanté, nous immerge dans les vertiges du verbe, sa résonance vocale et musicale, éclairant ce qui compose l’intense attractivité de chaque mesure ; au fond du texte, surgit parfois la vérité, l’essence de la passion humaine, solitude, aspiration, désir ou regret, amour et mort, espérance et doute ; les faces du questionnement sont sans fin mais manifestent une activité permanente qui révèle le génie des auteurs ; alors au terme d’une carrière faite écoute et lente assimilation et maturation critique dans la proximité d’œuvres qu’il connaît mais semble redécouvrir toujours, André Tubeuf laisse ici un testament, un témoignage qui fait figure d’exemple pour tous les mélomanes. Un régal.

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CRITIQUE DVD. André Tubeuf (1930 – 2021) : le lied (Bel air classiques) – Réalisation : Martin Mirabel – Paris 2018 : 7 conversations : documentaires (DVD, Blu Ray BelAir classiques). CLIC de CLASSIQUENEWS été 2022.

Nouvelle Tosca à NANCY : Paoli / Allemandi

puccini-giacomo-portrait-operas-classiquenews-dossier-special-HOMEPAGE-classiquenewsNANCY. PUCCINI : Tosca. 22 juin – 2 juillet 2022. Allemandi / Paoli. Nouvelle production de Tosca à Nancy. L’œuvre marque l’évolution du goût contemporain : il semble que Tosca, sommet lyrique de Puccini au début du XXè (création en janvier 1900), quasi simultané au Pelléas de Debussy (1902) soit devenu l’opéra le plus joué sur les scènes lyriques mondiales, surclassant Carmen de Bizet, Don Giovanni de Mozart et La traviata de Verdi, trio de tête des ouvrages les plus représentés dans les 5 dernières saisons. Si Carmen, l’opéra « africain » selon Nietzsche, exacerbe la passion furieuse de la Gitane, libre et suicidaire, Tosca offre une autre vision de l’amour tragique, celle d’un couple d’artistes (Floria, cantatrice / Mario, peintre) broyés tous deux par la machination d’un monstre politique, le baron Scarpia, préfet de Rome et monarchiste aussi radical (que Mario est bonapartiste). Au huis clos du trio vocal : Floria, Mario, Scarpia, qui fixe définitivement le trio des tessitures affrontées : un baryton jalouse le ténor car il aime la même soprano… Puccini ajoute le réalisme poétique des évocations de Rome, arrière plan de l’action qui est aussi un personnage à part entière. Chacun des 3 actes s’inscrit dans un lieu emblématique de la ville éternelle : église San Andrea della Valle (acte I) ; Palais Farnèse, le bureau du tortionnaire Scarpia (acte II) ; terrasse du Château San Angello (acte III) ; sans omettre, l’évocation pastorale du jeune berger menant son troupeau de moutons sur les collines romaines, vrai tableau idyllique, virgilien, celui de la campagne en son aube printanière, au cÅ“ur de la tragédie qui se noue…
3 TEMPS FORTS Puccini a le génie de la composition, autant dans l’exposition des passions individuelles que dans la grandeur des scènes collectives. L’acte I est certes d’exposition mais il est construit aussi comme un vaste crescendo dramatique qui se déploie en toute puissance dans le dernier tableau à l’église où Scarpia impose son pouvoir sur l’assemblée des croyants réunis autour de la statue de la Vierge ; dans l’acte II, le plus théâtral au sens d’une scène fermée, étouffante, où Mario est torturé, Floria harcelée et implorante (son air fameux : Vissi d’amore, vissi d’arte / Je vivais d’amour et d’art), Scarpia… définitivement liquidé ; au III, la tension culmine dans un climat suspendu où le formidable duo amoureux est détruit quand s’accomplit la vengeance et la duplicité haineuse de Scarpia… Tosca regorge de coups de théâtre et de rebondissements qui ne seraient qu’accents spéctaculaires s’il n’était la musique, arrière plan prodigieux en tableaux atmosphériques, au souffle déjà cinématographique.

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NANCY, Opéra de Lorraintosca puccini nancy opera paoli allemandi critique opera classiquenews.gif.
PUCCINI : Tosca – Nouvelle production / 6 représentations
Du mercredi 22 juin au samedi 2 juillet 2022,
Mise en scène de Silvia Paoli
Orchestre & Chœur de l’Opéra national de Lorraine,
Direction musicale : Antonello Allemandi

Mercredi 22 juin, 20h
Vendredi 24 juin, 20h
Dimanche 26 juin, 15h
Mardi 28 juin, 20h
Jeudi 30 juin, 20h
Samedi 2 juillet, 20h

RÉSERVEZ VOS PLACES
directement sur le site de l’Opéra National de Lorraine, NANCY, ici :
https://www.opera-national-lorraine.fr/fr/activity/336-tosca-puccini

Distribution
Salome Jicia : Floria Tosca,
Rame Lahaj : Mario Cavaradossi,
Daniel Mirosław : le Baron Scarpia,
Tomasz Kumięga : Cesare Angelotti,
Daniele Terenzi , un Sacristain,
Marc Larcher : Spoletta,
Jean-Vincent Blot : Sciarrone,
Yong Kim : un geôlier
Heera Baen : un berger

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Une heure avant le début du spectacle sur chaque représentation (gratuit, sur présentation du billet)

CRITIQUE CD événement. SIBELIUS : 7 symphonies, Tapioca – Oslo Philharmonic, Klaus Mäkelä (4 CD – Decca, fev-juin 2021)

sibelius-makela-symphonies-decca-critique-cd-review-classiquenews-CLIC-tapiola-symphonies-sibelius-critique-cdCRITIQUE CD événement. SIBELIUS : 7 symphonies, Tapioca – Oslo Philharmonic, Klaus Mäkelä (4 CD – Decca, fev-juin 2021) – S’attaquer si jeune à un massif immense reste un défi et avant l’écoute, une promesse indécise. Le violoncelliste de 26 ans, promu directeur musical de l’Orchestre de Paris, et ici, chef du Philharmonique d’Oslo ne manque pas de tempérament ni d’audace ; entre séduction et parfois vibration éthérée, sa direction ne laisse pas indifférent bien au contraire. L’orchestre norvégien connaît Sibelius ; leur habitude du compositeur s’entend naturellement, dans la verve, l’instinct musical, la cohésion native. Mäkelä le finlandais ressent son confrère Sibelius avec suffisamment de tact pour en exprimer le souffle, l’ampleur, l’intériorité inquiète et surtout la formidable quête lumineuse et l’espérance finale.

 

 

 


Klaus Mäkelä et l’Oslo Philharmonic jouent Sibelius

Jeunesse, audace, mesure…

 

 

 

Parmi les réussites de ce coffret plus que recommandable, distinguons surtout la 2è, la plus construite, la mieux définie par son éloquente stature et la scintillement assumé des timbres ; la 4è manque encore d’inquiétude secrète, d’intranquille activité et surtout de subtilité dans le taillage des timbres et des réponses et de l’architecture rythmiques. Mais le geste va forte dans la persuasion, l’énergie irrépressible, le feu sous la glace, offrant un ultime tiercé parmi les plus polisses de la discographie récente : 5è à l’audace pleine de panache sans les ambiguïtés abyssales de Barbirolli, Bernstein, Karajan ; 6è, parfois trop appliquée sans vertiges ; la 7è ivre certes, mais un peu sage et retenue malgré tout : l’analyse instrumentale corsèterait-elle le souffle, l’urgence, l’électrisation pourtant nécessaire ?

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200Mais au crédit de cette « première » intégrale qui souhaitons-le devrait profiter de prochaines recueillant les fruits de la maturité et de l’expérience, saluons le raffinement des couleurs, la lisibilité voire la transparence du contrepoint et des étagements de pupitres – en bonus, les 3 fragments découverts dans les manuscrits de travail de Sibelius, alors sur le métier d’une 8è symphonie, jamais achevée, complètent la valeur de cette intégrale riche en attraits manifestes. Sans être enchantés, on demeure séduits. Ce qui n’est pas une mince récolte pour le jeune maestro à qui tout semble sourire et qui gagnerait à forcer sa nature un peu sage.

 

 

 

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CRITIQUE CD coffret événement. JEAN SIBELIUS (1865 – 1957) : Symphonies 1 à 7, Tapiola opus 112 – 3 fragments pour la 8è symphonie – Orchestre Philharmonique d’Oslo – Klaus Mäkelä, direction – enregistré à Oslo, Konserthaus – de février à juin 2021. 4 CD DECCA – CLIC de CLASSIQUENEWS – Photos : M. Borggreve

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE, concert. Paris, Philharmonie, le 31 mai 2022. R. STRAUSS (concert II) : Macbeth, Ein Heldenleben – Une vie de héros / Gewandhausorchester Leipzig – Andris Nelsons

nelsons-andris-gewandhausleipzig-concert-critique-review-strauss-philharmonie-de-paris-classiquenews-critique-concert-richard-straussCRITIQUE, concert. Paris, Philharmonie, le 31 mai 2022. R. STRAUSS (concert II) : Macbeth, Ein Heldenleben – Une vie de héros / Gewandhausorchester Leipzig – Andris Nelsons – Retour du letton Andris Nelsons à la Philharmonie, là même où le maestro vedette actuelle du label Deutsche grammophon, a dirigé les Wiener Philharmoniker (Beethoven) ou le Boston Symphony Orchestra (Mahler), dont il est directeur musical comme c’est le cas du Gewandhausorchester Leipzig (comme avant lui un certain Artur Nikkisch).
Le programme de la soirée est copieusement orchestral. Et Nelsons, fédérant le collectif de Leipzig offre une approche généreuse, somptueusement contrastée, soulignant chez Richard Strauss, sa flamme dramatique, ses audaces parfois délirantes, avec un panache particulièrement élaboré. L’opus 23, Macbeth, (2è version créée en 1892) concentre toute le fougue et la transe dramatique du jeune Strauss d’avant les premiers opéras, ses formidables ressources expressives nettement audibles dans l’esthétique des contrastes exacerbés et cette rugosité brucknérienne dès les premières mesures, qui confère à l’esprit général l’idée d’une fièvre démoniaque habitant l’âme maudite du héros Shakespearien : éruptif et acérés, énergiques et fédérés, chef et orchestre préparent et construisent en réalité l’élévation lumineuse finale, le triomphe de Macduff, comme le fruit d’une gradation progressive où le magma et la grande forge orchestrale se décantent à mesure du déroulement, vers une apothéose allégée, éthérée, aux couleurs diaphanes, d’autant mieux polie que l’amorce et le développement central sont incandescents, contrastés, partie constituante du chaudron orchestral en son plein bouillonnement furioso.

 

 

 

Andris Nelsons joue Richard Strauss à la Philharmonie

Volupté et vertiges du Gewandhausorchester Leipzig

 

 

 

Une même incandescence porte la Suite orchestrale extraite de l’opéra Der RosenKavalier / Le Chevalier à la rose dans un bain de volupté presque indécente tant l’hédonisme extériorisée des pupitres s’affranchissent de toute retenue, dans la plasticité des timbres, dans le scintillement des cordes, jusqu’à l’énoncé du thème final, celui du trio Quinquin, La Maréchale, Sophie dont Andris Nelson, amoureusement, tire avec une douceur murmurée, le fil mélodique jusqu’à la rupture, soulignant combien Strauss est le maître incontestable des arcs thématiques grandiose, éperdus, d’un souffle infini qui appelle l’extase dans le renoncement. Aux flamboiements exposés, maîtrisés de l’orchestre répondent la précision et l’engagement du chef qui sait aussi sonner psychologique.

La pièce de consistance de ce second concert du Gewandhauss orchester Leipzig à la Philharmonie est « Ein Heldenleben / Une vie de héros », opus 40, aboutissement d’une décennie fabuleuse au terme de laquelle Strauss édifie cette cathédrale sonore grandiose, épique, flamboyante qui le rend apte en mars 1899… pour l’opéra. Conçu pour le Concertgebouw d’Amsterdam, la partition amplifie les ressources de l’orchestre Lisztéen et wagnérien, dans des proportions, des dialogues, des vertiges contrastés qui re dessinent jusqu’à la spatialité de l’orchestre ; Strauss n’ a rien à envier du vortex wagnérien tant les tableaux sonores suspendus et comme en lévitation, atteignent une plénitude orchestrale inédite.
Macbeth et « Ein Heldenleben » / Une vie de héros font déjà la réussite du coffret Strauss enregistré par Nelsons pour DG (cd4, enregistré en mai 2021 avec les mêmes instrumentistes de Leipzig – coffret cd CLIC de CLASSIQUENEWS) ; un bain de volupté de timbres là encore, de séquences symphoniques serties comme des joyaux auxquels le chef apporte une sensibilité particulière pour les effets transcendants des contrastes (déflagration des tutti, silences abyssaux, pianissimi arachnéens évanescents) : la vision, le geste, la conception équilibrent l’opulence comme l’éloquence instrumentale. Les amateurs de sensualité sonore sont servis ; tout en privilégiant la rondeur et la lisibilité des lignes mélodiques, Nelsons étire le ruban texturé à la limite de la tenue, ciselant et caressant comme peu le miroitant tapis orchestral.
S’il n’était le prétexte narratif très précis des 5 parties, très précisément identifiées, la réalisation qu’en donne le Gewandhausorchester Leipzig réussit des prodiges de beautés sonores, de fait entre la sincérité de Mozart et la puissance de Wagner. Strauss, voie médiane entre les deux géants, s’ingénie à perfectionner un nouveau langage pour l’orchestre où l’intelligence des tutti comme le caprice fantaisiste et comme ivre des parties solistes (violon solo pour l’évocation de l’être aimé par le héros / versatilité et humeur elle aussi vascillante, miroitante, glissandi taquins et en duo avec l’amoureuse clarinette, de « La compagne du héros » au 3) affirme une maîtrise totale de l’écriture comme de l’orchestration. La Bataille explosive du 4 (tant admirée de Romain Rolland), rugit dans de somptueuses convulsions avant que le thème de l’amour (clé de la partition) de fait, n’impose sa loi sidérale.

La fougue des cuivres, la fabuleuse clarinette, et le basson, le jeu alterné des cordes jouent avec les multiples citations straussiennes de la partie 5 (Des helden friedenswerke /«  Les Å“uvres de paix du héros ») – autocitations crânement assumées qui donnent le vertige par leur plénitude suggestive, leur mordant poétique.
On est saisi du début à la fin par la tension, le miracle d’un legato orchestral superbe et caressant, la souplesse voluptueuse que chef et instrumentistes cultivent sans pause. Qu’il s’agisse ou non d’une excroissance autobiographique hypertrophiant le culte de l’Artiste, Nelsons, fédérateur et séducteur, rappelle combien la partition de 1899, est un sommet de l’écriture orchestrale, l’une de ses plus flamboyantes voire délirantes odyssées instrumentales. Un régal magistralement réalisé. A retrouver dans le coffret STRAUSS dédié par Andris Nelsons et ses deux orchestres de Lepizig et Boston pour Deutsche Grammophon, paru en mai 2022 (CLIC de classiquenews).

 

 

 
 

 

 

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CRITIQUE, concert. Paris, Philharmonie, le 31 mai 2022. R. STRAUSS (concert II) : Macbeth, Ein Heldenleben – Une vie de héros / Gewandhausorchester Leipzig – Andris Nelsons

 

 

 
 

 

 

 

 

 

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LIRE aussi notre critique du coffret RICHARD STRAUSS / Andris Nelsons – Boston Symphonique Orch / GewandhausOrchester Leipzig – CLIC de CLASSIQUENEWS (mai 2022) :

Andris-Nelsons--Strauss-leipzig-boston-critique cd review classiquenews deutsche grammophonjpgCRITIQUE CD, coffret événement, critique. R. STRAUSS / NELSONS (7 cd DG Deutsche Grammophon) – 2 orchestres : Boston Symphony Orchestra, Gewandhausorchester Leipzig ; 1 chef :  Andris Nelsons font ici la valeur de ce coffret  «  Alliance », dédié aux oeuvres symphoniques majeures de Richard Strauss. Outre la vivacité énergique du maestro, c’est aussi l’opportunité de comparer les qualités de chacune des deux phalanges dont il est directeur musical.
Chaque orchestre réalise 3 programmes Straussiens – puis ce « retrouve en cd 7, dans la première de « Festliches Präludium » (Festive Prelude, pour orgue et orchestre : soliste, Olivier Latry), – ample fresque orchestrale jouée par les 2 formations réunies en nov 2019 (Boston), point fort de ce projet interorchestral et aussi, point de départ du cycle Straussien entre Boston et Leipzig.

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE CD événement. Les Noces royales de Louis XIV – Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles – nov 2021)

noces-royales-louis-XIV-mazarin-poeme-harmonique-cavalli-cd-chateau-versailles-spectacles-cd-critique-review-cd-classiquenewsCRITIQUE CD événement. Les Noces royales de Louis XIV – Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles – nov 2021) – Le Poème Harmonique exprime l’immense espoir que fait naître la Paix entre les puissances catholiques de France et d’Espagne (Paix de Pyrénées, 7 nov 1659) et la solennité de l’événement dynastique qui en résulte (négocié par Mazarin), le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, célébré en grande pompe le 9 juin 1660 sous la voûte de l’église de Saint-Jean Baptiste à St-Jean de Luz. Souffle majestueux, exaltation vivace presque dansante, collective essentiellement dont le spectacle Motet Jubilate Deo de Lully demeure l’emblème le plus juste : superbe gerbe heureuse, partagée et dans sa déclamation ample et précise, d’une rondeur toujours élégantissime. Solistes enivrés et acteurs autant que chanteurs (formidable Anne Quintans en dessus ; guide d’une joie triomphale).

 

Eclectisme stylistique pour les Noces de Louis

L’heure n’est pas encore à l’élaboration de l’opéra français mais la Cour de France a déjà le sens du spectacle : ce Mariage est une théatralisation d’un pouvoir qui entend démontrer sa grandeur active ; sens de l’articulation, force du groupe et mise en place scrupuleuse des individualités vocales, Le Poème Harmonique déploie d’éloquents arguments, égaux à ceux de leurs compétiteurs, Les Epopées, autre ensemble invité à Versailles et qui tout autant révolutionne aujourd’hui l’interprétation des Motets de Lully dans un cycle désormais décisif (Collection des Grands Motets de Lully / Les Epopées / Stéphane Fuget / CLIC de CLASSIQUENEWS).
En 1660, tout relève encore de la haute sensualité italienne dont témoignent les superbes pièces ici choisies, celles des vénitiens Salomone Rossi (très solennelle et presque grave Sinfonia); surtout le Magnificat de Cavalli, compositeur incontournable alors (qui allait livrer bientôt pour Paris, son Ercole Amante) dont le Magnificat expose les somptueuses effluves célébratives (jamais jouées cependant pour les noces royales mais plutôt pour une fête liturgique à Venise). Sans connaître précisément le programme musical de la Messe nuptiale de juin 1660, les pièces ici abordées évoquent le style général du goût clairement ultramontain partagé par Louis de France et son mentor Mazarin. Tout y paraît et se complète, en résonance avec les très nombreuses festivités qui ont accompagné le cortège royal français, descendu de Paris au pays basque et vice versa : chansons de circonstance des Français André de Rosiers et Nicolas CLIC D'OR macaron 200Métru ; langueur vénitienne comme l’atteste le solo tragique ou lamento extrait du Xerse de Cavalli ; et même théâtre picaresque délirant espagnol signé Juan Hidalgo. Le décorum n’empêche pas la caractérisation voire la surenchère dramatique : ce mariage offre un aperçu des styles divers ayant cours en France quand se marie le roi de France : éclectisme et sens du faste, spectacle et éloquente ferveur. Magistral.

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CRITIQUE CD événement. Les Noces royales de Louis XIV – Le Poème Harmonique / Vincent Dumestre, direction (1 cd Château de Versailles – enregistré à Versailles en nov 2021)  -  AGENDA : à l’affiche de la Chapelle royale de Versailles Dimanche 3 juillet 2022, 21h : 2 concerts en une soirée avec pyrotechnie finale : PLUS D’INFOS ici (directement sur le site de Château de Versailles Spectacles

TEASER VIDEO :

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PROGRAMME : Noces Royales de Louis XIV

Aux portes du temple
Jean-Baptiste Lully (1632 – 1687) : Sonneries pour les trompettes du Roi

Entrée des délégations
Jean-Baptiste Lully : Entrée pour la Maison de France, Les Espagnols, Les Basques

Célébration de la paix
Jean Veillot (1600 – 1662) : Hymne O filii e filiae
Jean-Baptiste Lully : Motet pour la Paix Jubilate Deo, LWV 77

Le Mariage
Salomone Rossi (1570 – 1630) : Sinfonia grave
Francesco Cavalli (1602 – 1676) : Magnificat

Ballet des nations & Réjouissances
Francesco Cavalli : Xerse : “Lasciate mi morire”
André de Rosiers (actif 1634 – 1672) : Après une si longue guerre
Nicolas Métru (1600/1605 – 1663) : Ô France
Juan Hidalgo (1614 – 1685) : Celos aun del aire matan

 

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AUTRES CD du Poème Harmonique, Vincent Dumestre, critiqués / distingués par CLASSIQUENEWS :

sebastian-duron-coronis-alpha788 poeme harmonique druet bunel opera critique review cd review critique classiquenews CLIC de classiquenewsCRITIQUE. CD événement. DURÓN : Coronis (Le Poème Harmonique, 2 cd Alpha – PARIS, avril 2021)– Formidable production pour sa vitalité rayonnante, ses contrastes opulents, ses situations truculentes qui mêlent grâce à la seule inspiration de Sebastian Durón (1660-1716), langueur extatique, rage guerrière, réalisme satirique. Le Poème Harmonique, chanteurs et instrumentistes relèvent tous les défis de cette action mythologique certes, surtout carnavalesque et bouffone, aux airs de tendresse grave, en particulier au II (Jornada Segunda) où s’imposent dans la fresque délirante, la prière et la plainte bouleversante de Protée (si peu respecté malgré ses alertes et prédictions) et Triton (soupirant démuni, colérique, éconduit par la voluptueuse Coronis). Les solistes concernés ici, Cyril Auvity et Isabelle Druet composent de superbes tempéraments vocaux, doués de puissance et de justesse humaine, de profondeur comme de sincérité émotionnelle. A leurs côtés, rien à dire aux épatantes Ana Quintans dans le rôle-titre : sa plasticité diamantine incarne à la perfection la beauté langoureuse et active qui finalement décide du sort de la Thrace…

Le-Bourgeois-gentilhomme poeme harmonique lully 400 ans de moliere critique cd review clic de classiquenewsCRITIQUE, CD événement. Molière / Lully : musiques pour la comédie-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021) – Intercalées dans la pièce de Molière, les musiques de scènes (ballets, divertissements, airs…) de Lully soulignent le génie facétieux du surintendant de la musique depuis 1661 ; sa verve n’a de limite que le génie de Molière ; chacun semble même rivaliser d’astuces expressives, de finesse parodique sur le thème d’un Bourgeois désireux d’être anobli… à l’heure où la Cour ne parle que des Turcs en audience près du Roi-Soleil. Les 2 Baptistes ont précédemment présenté (également à Chambord, devant la Roi) Monsieur de Pourceaugnac(1669). Pour cette restitution des parties intégrales que Lully a alors façonnées, le Poème Harmonique met en lumière l’articulation langoureuse des jeunes tempéraments du chant baroque actuel ; le Bourgeois Gentilhomme s’il moque l’exotisme des moeurs du Grand Turc à travers une charge contre son ambassade alors à Versailles pour une réception attendue, reportée auprès de Louis XIV, exprime d’abord au I, l’empire de l’amour sur des cÅ“urs enivrés …

POEME-HARMONIQUE-ANAMORFOSI-allegri-monteverdi-marazzolli-mazzochi-cd-review-critique-cd-classiquenews-vincent-dumestreLIVE STREAMING : 11 déc, 20h30. ANAMORFOSI par Le Poème Harmonique. Concert en direct à vivre sur Youtube, vend 11 déc 20h30. Le Poème Harmonique explore l’Italie du Seicento, « où la langue musicale est celle des passions, profanes et sacrées »… Le programme a été l’objet d’un somptueux album discographique (enregistré en juin 2018) distingué par le CLIC de CLASSIQUENEWS : Cd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA) – «  Au carrefour du profane et du sacré, se développe une même musique, constante et touchante par ses aspérités passionnelles. En hymnes sacrés ou en vers madrigalesques, l’écriture musicale ne varie pas, mais elle modifie son sens selon les paroles associées : (…) les vertiges de la musique eux sont toujours invariables et constants.

CRITIQUE, opéra. Helsinki, le 7 avril 2022. R STRAUSS : Salomé. Hannu Lintu / Christof Loy

CRITIQUE, opéra. Helsinki, le 7 avril 2022. R STRAUSS : Salomé. Hannu Lintu / Christof Loy – Heureux internautes qui peuvent suivre l’actualité lyrique via internet et mesurer l’invention voire la pertinence des metteurs en scène actuels dont cette vision plutôt juste et défendable (c’est à dire cohérente et respectueuse) de la partition straussienne, signée à Helsinki, Christof Loy.

 

 

 

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En costumes de soirées, les hommes n’hésitent pas arborer la tenue d’Adam… ainsi Jochanaan (ou Iokanaan), acheminé sur scène à la demande de la princesse de Judée, Salomé ; le Prophète proclame la perversion des parents de la jeune femme : l’impudicité d’Hérodiade, le diabolisme d’Hérode ; se dresse dans sa nudité assumée (Andrew Foster-Williams, voix timbrée mais dépassé par l’ampleur visionnaire du rôle). Christof Loy représente sur scène la vision de Salomé. La jeune femme idéalise le Prophète.
Ses yeux , ses paroles « musicales » pénètrent l’âme de Salomé qui vibre à l’écoute des vérités proférées par l’homme de Dieu, emprisonné. « Fille de Sodome, ne m’approche pas! » ; piquée, l’adolescente fait l’inverse et reste saisie par la beauté de Iokanaan, amoureuse des grappes de ses cheveux plutôt que de son corps blanc (!)… « Je veux baiser ta bouche Iokaanan, laisse moi baiser ta bouche… », s’exclame la fille d’Herodiade, dévorée par un désir monstrueux qui va grandissant, entraînant sa fin misérable sous les boucliers des gardes d’Hérode. La soprano tire son épingle du jeu, fille-femme, ado mûre ayant des airs d’ange diabolique, Lulu et Lilith à la fois, silhouette et posture de poupée démoniaque et lascive, déjà usée… (Vida MikneviÄiÅ«tÄ—, percutante, sincère, nuancée). La chanteuse sait construire son personnage avec beaucoup de justesse.

 

 

 

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La mise en scène (Christof Loy) souligne le jeu des regards lubriques et concupiscents, plein de ce désir qui enfle et submerge la scène : portés par une assemblée de jeunes hommes libidineux et testéronés en costumes noirs, style hommes de main et serviteurs, prêts à se dévêtir pour posséder le corps convoité : mêlée de mouches obscènes sur le corps de Salomé en vraie fausse ingénue. L’approche est juste.

Le couple de régnants, Hérode et Hérodias, empêtré dans les tensions d’un petit couple bourgeois, est honnête sans plus : Hérode tétrarque délirant (Nikolai Schukoff qui cependant se bonifie en cours de représentation), à la limite de la névrose, décrétant la fête, exigeant le vin, sur le corps ensanglanté du jeune syrien suicidaire… désirant Salomé lui aussi comme un pervers insatisfait. Surgissent les 5 juifs qui pérorent hystériques ; ils cassent la tête des invités (« Faîtes les taire! » hurle Herodiade). Laquelle de même, en pleine crise hystérique ne peut supporter la voix de Iokanaan.

 

 

 

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Puis c’est la page orchestrale la plus sulfureuse et la plus vénéneuse, c’est à dire la plus géniale d’une partition captivante : la danse de Salomé, 7 voiles contre la tête du Prophète…(à 1h03’30 – cf ci après le lien de visionnage sur le site ARTEconcert – replay jusqu’en mai 2023) ; le tableau est à nouveau un jeu de domination perverse, qui permet à Hérode de baiser la bouche du Prophète en un acte lubrique parfaitement déplacé mais totalement assumé… avant de s’enfermer dans une pièce avec sa belle-fille… dont le retour sur scène fait paraître la tueuse du Prophète en robe de chambre rose saumon.

La dernière scène où la jeune fille paraît en jeune mariée toute à son désir pour le fringant Iokanaan, devenu sujet séduisant du désir féminin, est d’une rare justesse. Salomé ardente et monstrueuse, incarnation du désir le plus impérieux, amoureuse et castratrice. La diva convainc par son intensité dramatique, son chant à blanc, jusqu’à l’accomplissement cynique (« j’ai baisé ta bouche Iokanaan / est-ce la saveur du sang ? Non la saveur de l’amour »). Si le jeu de la soprano Vida MikneviÄiÅ«tÄ— convainc, dommage que dans la fosse, le chef assure une direction rien que routinière, sans les éclats et mille nuances de timbres qu’a ciselé pourtant le génial Strauss. La production doit être vue pour la mise en scène de Christof Loy, la Salomé expressive et juste de Vida MikneviÄiÅ«tÄ—.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Helsinki, le 7 avril 2022. R STRAUSS : Salomé. Hannu Lintu / Christof Loy

REPLAY 

-  A VOIR et revoir sur ARTEconcert jusqu’au 12 mai 2023
https://www.arte.tv/fr/videos/104849-000-A/richard-strauss-salome/
Durée : 1h46mn

 

 

 

Distribution
Vida MikneviÄiÅ«tÄ— (Salomé)
Mihails Culpajevs (Narraboth)
Nikolai Schukoff (Herodes)
Karin Lovelius (Herodias)
Andrew Foster-Williams (Jochanaan / Iokanaan)
Elli Vallinoja (Herodia’s Page)
Orchestre de l’Opéra National de Finlande
Hannu Lintu, direction

 

 

 

CRITIQUE CD événement. David Kadouch, piano. Les musiques d’Emma Bovary (1 cd Mirare juil 2021)

mirare david kadouch musiques emma bovary farrenc viardot fanny clara critique cd classiquenews CLIC de classiquenews critique cd reviewCRITIQUE CD événement. David Kadouch, piano. Les musiques d’Emma Bovary (1 cd Mirare juil 2021) – Comme dans son précédent album, Révolution, critiqué et distingué par CLASSIQUENEWS (CLIC de CLASSIQUENEWS, été 2019), le pianiste David Kadouch, parmi les plus convaincants de sa génération (né en 1985) interroge ici le romantisme sacrifié d’une héroïne de la littérature française du XIXè: Emma Bovary. Le pianiste défricheur suit les pas de l’auteur Flaubert et semble analyser les ferments d’une âme passionnée, très vite rattrapée par le sentiment de frustration, de dépression suicidaire. Le parallèle avec les saisons de Fanny Mendelssohn (de l’angélisme de la jeune mariée, aux premiers assauts d’une mélancolie croissante, dès “juin”, son élan amer, puis « septembre », ses accents paniqués…), l’hispanisme mélancolique de Pauline Viardot, les errements illusoires des Nocturnes de Chopin, l’emblème sentimental qu’incarne alors la Valse de Coppelia, transcrite par Dohnanyi d’après Delibes, concentré romantique par excellence… disent assez la complexité psychologique dont il est question.

 

 

 

David Kadouch joue Fanny, Clara, Pauline, Louise…
révélant le fabuleux piano d’Emma Bovary

 

 

 

Le jeu tout en nuances et subtilité du pianiste sublime le propos et rend même concrètement palpitant les rêves et vertiges d’Emma l’insatisfaite.
« A quoi-tu rêves, Emma… », aime entendre David Kadouch. Face à tant de miroitements et scintillements sonores, l’âme s’abandonne aux parfums d’une musique qui dévoile les profondes aspirations du sentiment. L’épouse Emma ne peut contraindre et contrôler les rêveries d’Emma amoureuse. Comme un frère inattendu, Liszt semble se rapprocher au plus près du cœur d’Emma : Réminiscence de Lucia di Lammermoor, l’opéra qui marqua tant Emma à Rouen, résonne comme une alarme secrète, tel le signal avant la tempête intérieure. Le Romantique Hongrois en synthétise les élans admirables comme les dangers illusoires. En un fabuleux parcours, jalonné de pièces de compositrices affûtées, rêveuses, et même éperdues, (Variations de Clara Wieck, future épouse Schumann / sublime Notturno en si mineur de Fanny Mendelssohn ; sans omettre l’ivresse nostalgique de l’air russe de Louise Farrenc), David Kadouch nous fait partager les aspirations d’Emma : il en produit l’indicible texture sonore, entre désir et regret, songe et dépression. Formidable hommage célébrant l’héroïne de Flaubert. Passionnant et convaincant.

 

 

 

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CLIC_macaron_2014CRITIQUE CD événement. David Kadouch, piano. Les musiques d’Emma Bovary (1 cd Mirare – enregistré en juil 2021 au TAP Poitiers) – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.

 

 

 

 

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AUTRE CD de David Kadouch, critiqué sur CLASSIQUENEWS :

kadouch-david-revolution-cd-mirare-critique-cd-classiquenews-clic-de-classiquenews-cd-critique-piano-opera-critiqueCD, événement, annonce. RÉVOLUTION, DAVID KADOUCH, piano (1 cd Mirare, 2018). Né en 1985, le pianiste français DAVID KADOUCH fait partie des rares interprètes au toucher savoureux, capable d’une articulation nuancée, sachant murmurer ou rugir quand il le faut ; toujours au service de l’intériorité des oeuvres. A ces qualités, il ajoute dans ce nouvel album, une qualité complémentaire, celle de l’intelligence conceptrice. Le programme, enjeu de bien des réflexions pas toujours heureuses chez certain(e)s, s’avère dans son cas d’une intelligence sensible raccordant le chant du piano… à la mémoire, un temps passé, retrouvé sous le filtre recréateur du témoignage et de la réitération incarnée. Qu’on aime cet enchaîenment de pièces millimétrées où n’ont pas leur place la performance ni l’hystérie martelée / marketée (familières chez tant de ses confrères/sœurs). CLIC de CLASSIQUENEWS : en lire PLUS

CRITIQUE CD, coffret événement, critique. R. STRAUSS / NELSONS (7 cd DG Deutsche Grammophon)

Andris-Nelsons--Strauss-leipzig-boston-critique cd review classiquenews deutsche grammophonjpgCRITIQUE CD, coffret événement, critique. R. STRAUSS / NELSONS (7 cd DG Deutsche Grammophon) – 2 orchestres : Boston Symphony Orchestra, Gewandhausorchester Leipzig ; 1 chef :  Andris Nelsons font ici la valeur de ce coffret  «  Alliance », dédié aux oeuvres symphoniques majeures de Richard Strauss. Outre la vivacité énergique du maestro, c’est aussi l’opportunité de comparer les qualités de chacune des deux phalanges dont il est directeur musical.
Chaque orchestre réalise 3 programmes Straussiens – puis ce « retrouve en cd 7, dans la première de « Festliches Präludium » (Festive Prelude, pour orgue et orchestre : soliste, Olivier Latry), – ample fresque orchestrale jouée par les 2 formations réunies en nov 2019 (Boston), point fort de ce projet interorchestral et aussi, point de départ du cycle Straussien entre Boston et Leipzig.
« L’alliance » ainsi défendue s’appuie en vérité sur l’histoire croisée des 2 institutions musicales des deux côtés de l’Atlantique ; en mêlant les instrumentistes des deux formations à jouer ensemble à l’occasion de Journées d’échanges (Leipzig Week in Boston ; Boston Week in Leipzig), Nelsons ne fait que renouveler des liens historiquement avérés dès la fin du XIXè, après la création du Boston Symphony Orchestra en 1881 : le siège de l’Orchestre américain (Boston Symphony Hall) s’inspire du Gewandhauss II ; de même nombre de directeurs du Boston ont étudié au Conservatoire de Leipzig. Andris Nelsons lui-même, est directeur musical des 2 orchestres, comme… Arthur Nikisch auparavant. La coopération des deux orchestres n’a donc rien de surprenant.

A travers ce programme, composé de poèmes symphoniques, de cycles symphoniques, de suites conçues à partir d’opéras, de pièces pour cordes seules (Metamorphosen)… , Nelsons joue avec le brio, l’élégance, le raffinement voire le délire de l’orchestration et l’humour de Strauss (son grand lyrisme coloré par un goût parfois immodéré pour le pastiche et la surenchère de timbres).
L’écoute des deux phalanges met en lumière la grande cohérence sonore des cordes et la clarté naturelle de Leipzig ; l’éclat, la vivacité, voire l’exubérance ivre des cuivres de Boston qui rappelle les « divines » années sous l’ère Monteux, Leinsdorf, Ozawa ; Nelsons nourrit les affinités entre les Bostoniens et Strauss, lequel comme chef put les diriger dans sa propre musique (Don Juan, Feursnot, Don Quichotte, en … 1904).

L’ampleur du projet, la réalisation plus qu’honnête, engagée, riche en panache et rebonds dramatiques (avec le scintillement précis, aiguisé des solistes invités : Yuja Wang dans Burleske / Leipzig, Yo-Yo Ma pour Don Quixote avec les Bostoniens) justifient la présente gravure : le corpus Strauss ainsi réalisé par Nelsons ressuscite une tradition coopérative interorchestre assez passionnante, qui rompt avec les habitudes du milieu. La grandeur du colossal (Festliches Präludium, avec orgue ! qui accrédite la vertu des grands rassemblements), la sublimation chambriste (Metemorphosen), la verve hautement dramaturgique des poèmes symphoniques dont Strauss jeune est passé spécialiste inégalé (Don Juan , Macbeth, Till,…), les cycles épiques (Ein Heldenleben et Aus Italien par le Gewandhaus, somptueux et rond, intérieur et comme enivré ; Symphonia Domestica et Eine Alpen Alpensinfonia par le Boston…), sans omettre la rutilance des scènes / extraits (Fauersnot, Salomé…) et Suites tirés des opéras (Der Rosenkavalier, Die Frau ohne schatten en tête…) suscitent l’enthousiasme. Le programme généreux de ce coffret à l’entente fraternellement orchestrale souligne combien Richard Strauss est l’un des grands conteurs parmi les plus inspirés du premier XXè (avec Ravel, Mahler, Sibelius…). CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.

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CLIC_macaron_2014CRITIQUE, CD. Coffret Deutsche Grammophon – 7 cd – Parution : 6 mai 2022 – 8h31mn – DG 4862040 avec  les solistes Yuja Wang (Burlesque) et Yo-Yo Ma (Don Quichotte). Boston Symphony Orchestra, Gewandhausorchester Leipzig - Andris Nelsons, direction – enregistrements : 2017 à 2021 – Deutsche Grammophon.

DVD, Blu-ray, critique : Wagner: Tristan et Isolde – Barenboim (Berlin, 2018 – Tcherniakov – 2 dvd Bel Air classiques)

TRSITAN-UND-ISOLDE-bel-air-classiques-barenboim-Berlin-2018-dvd-blu-ray-critique-opera-classiquenews-tcherniakov-classiquenews-critique-reviewDVD, Blu-ray, critique : Wagner: Tristan et Isolde – Barenboim (Berlin, 2018 – Tcherniakov – 2 dvd Bel Air classiques)  -  Berlin avril 2018. Daniel Barenboim en dirigeant cette nouvelle production de Tristan offre une leçon de direction subtile, profonde allusive d’une sincérité irrésistible qui enchante dès le début. L’ouverture saisit par l’intelligence des phrasés aux flûtes et aux cordes (tempi étirés, suspendus, énigmatique, qui portent au mystère de l’acte II), à ce que disent les cors orfévrés, d’une incroyable couleur lumineuse et crépusculaire à la fois, pleins et riches d’une ivresse et d’une langueur extatiques, énoncées comme des questionnements sans fin, faisant jaillir le miracle et l’absolu de l’amour (et l’anéantissement des âmes qu’il produit). Avec le recul la pandémie ayant déconstruit tout un monde et un ordre mondial perdu, on se dit que ce son articulé, ciselé par un chef wagnérien de premier plan, en 2018, dit une plénitude à jamais inatteignable.

 

 

 

Fosse et chanteuses somptueuses

 

 

 

Sur scène, la relecture de Tcherniakov tire non sans rupture avec l’excellence orchestrale de la fosse, vers un théâtre réaliste : décors modernes, où le bateau du I se fait salon d’un jeune cadre trader de la classe moyenne supérieur et le jeune matelot, un invité égaré dans une soirée arrosée entre business men ; où Isolde et Brangäne, ambassadrices d’une tragédie émotionnelle explosive, font incursion de façon artificielle dans un contexte trop décalé. Fi du moyen âge, des chevaliers, de cette Irlande des preux et gentes dames. Tcherniakov nous plonge dans une actualisation imposée à coup de forceps car il faut quoi qu’il en coûte, que la grille théâtrale retenue s’accorde au drame musical et aux situations originelles. Limites des mise en scène actualisantes. Ce salon est celui d’un yacht qui vogue vers la cour du roi Mark de Cornouailles. Quel dommage que la scénographie soit aussi peu en phase avec les situations ; que les décors écartent toute poésie de la lyre légendaire et médiévale pourtant inscrite au cÅ“ur de ce sommet romantique de 1865.
Heureusement, les chanteurs suivent le chef et partagent son souci d’articulation précise exprimant du texte toutes les nuances de l’allusion et des connotations coupables, maladives, déprimées. Isolde pleine de ressentiments (convaincante Anja Kampe), victime forcée d’une tractation qui la choque; Brangäne (excellente Ekaterina Gubanova) prête à suivre et servir sa maîtresse ; leur duo est plus que convaincant. Leur complémentarité irradie tout le I ; en phase avec le tapis orchestral, les 2 cantatrices emportent l’adhésion par ce travail de justesse. Et l’on comprend que le I est l’acte qui cimente Isolde dans sa peine incommensurable ; qui expose la loyauté maternelle et protectrice de Brangäne pour la princesse destinée à être reine de Cornouailles.
Côte hommes, s’il a le timbre et la projection d’une constante intensité, le Tristan d’Andreas Schager peine à nuancer à l’égal de ses partenaires féminines ; son vibrato trop présent ici, finit par diluer toute les phrases ; telle affectation dans le style amollit la conception du personnage pourtant clé. A 1h20: l’embrasement des 2 cÅ“urs qui se reconnaissent en dépit de tout [sous l'effet du philtre] au moment où retentit l’hommage au roi mark à l’approche de la Cornouaille, se réalise néanmoins dans une ivresse libératrice, d’une force musicale saisissante.

Dans ce jeu de déconstruction pseudo creative et de réécriture théâtreuse plutôt creuse, tout n’est pas à jeter pour autant, -chaque production peut révéler ses surprises… ici en fin d’action. Le début du III reste hypnotique grâce à un jeu dépouillé proche du suédois Bergman où dans une chambre close bientôt rendue par Kurwenal à la lumière du jour, attend malade anéanti mais plein d’espoir un Tristan alité, mourant ; c’est moins Kurwenal aux phrasés indécis, aux lignes mal assurées (inconstant Boaz Daniel) que l’excellent jeune matelot de Linard Vrielink déjà écouté dans le même rôle à Aix (retrouver ci dessous lien vers la critique Aix 2021), qui souligne ce travail millimétré développé sous la conduite du chef orfèvre, lequel en fosse poursuit des merveilles d’intentions musicales ; ciselant une étoffe orchestrale pleine de nuances et de connotations finement cousues par des instruments infiniment raffinés [le babil des flûtes et clarinette quand Tristan croit voir Isolde arriver enfin sur les côtes bretonnes] ; où le chant des instruments rappelle à chaque mesure le poids et l’éloquence d’un passé inéluctable [murmures caressants de la clarinette, du cor jaillissant ondulant, scintillant, melliflu...] , qui engage les protagonistes à leur solitude, leur propre destin.

 

 

 

La fosse miraculeuse
sublimée par Daniel Barenboim

 

 

 

Le miracle Barenboim s’accomplit. Musique de la psyché aux phrases puissantes et longues comme suspendues et interrogatives pour lesquelles en un arioso extatique le chant de Tristan (en malade halluciné) gagne une intensité remarquable : le jeu d’acteur, malgré des défaillance liées à longueur du rôle et l’ampleur de son solo tragique, est alors stupéfiant.
Cette blessure tragique qui s’écoule et dilue jusqu’à l’essence du héros, (comme plus tard l’autre maudit fautif Amfortas dans Parsifal), est au cÅ“ur du dernier acte. Comme une psychanalyse qui surgit ; le héros aux portes du trépas, interroge ses origines, ses parents, la nature du désir qui le dévore et le conduit à la mort, – vertige immense et sublime dévoilé par la direction saisissante de Barenboim. La soif d’amour de Tristan dépossédé d’Isolde finit par le tuer, avant qu’Isolde ne meurt elle aussi d’amour mais dans la lumière [ce qui est refusé à Tristan].

CLIC_macaron_2014La baguette du chef et les chanteurs font la valeur de cette production berlinoise de très haut vol sur le plan artistique. La vision de Tcherniakov reste terre à terre et théâtralement surjouée ; plutôt que d’éclaircir l’action, Tcherniakov la charge d’une lourdeur maladive systématique [surenchère de vidéos au moment clé de l'action] qui finit par dénoter avec le miracle wagnérien. Musicalement, la production est splendide.

 

 

 

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DVD, Blu-ray, critique : WAGNER: Tristan et Isolde – Barenboim (Berlin, 2018 – Tcherniakov – 2 dvd Bel Air classiques). CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022. Parution annoncée : le 27 mai 2022.

 

 

 

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VISIONNER LE TEASER VIDEO : 

 

 

 

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Wagner : Tristan et Isolde
[DVD & Blu-ray]
Opéra en trois actes, 1865
Musique et livret Richard Wagner (1813-1883)

PLUS D’INFOS sur le site de BEL AIR CLASSIQUES :
https://belairclassiques.com/catalogue/wagner-tristan-und-isolde-daniel-barenboim-dmitri-tcherniakov-anja-kampe-andreas-schager-dvd-blu-ray

Distribution

Tristan : Andreas Schager
Roi Marke : Stephen Milling
Isolde : Anja Kampe
Kurwenal : Boaz Daniel
Melot : Stephan Rügamer
Brangäne : Ekaterina Gubanova
Un timonier : Adam Kutny
Un berger / Un jeune marin : Linard Vrielink
(lire aussi notre critique de TRISTAN UND ISOLDE, Aix en Provence 2021 avec Lianrd Vrielink :
https://www.classiquenews.com/critique-opera-wagner-tristan-und-isolde-le-9-juil-2021-stuart-skelton-tristan-nina-stemme-isolde-mise-en-scene-simon-stone-lso-london-symphony-orchestra-direction-musicale-simon/ )

Cor anglais : Florian Hanspach-Torkildsen (Acte III)

Staatskapelle Berlin | Staatsopernchor Berlin
Daniel Barenboim, direction

Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov

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CD, critique. DEBUSSY : Demoiselle élue, Saint-Sébastien, Nocturnes (OPRF, Mikko Frank – 1 cd Alpha)

La-Damoiselle-elue-Le-martyre-de-Saint-Sebastien-Nocturnes mikko franck radio france critique cd classiquenewsCD, critique. DEBUSSY : Demoiselle élue, Saint-Sébastien, Nocturnes (OPRF, Mikko Frank – 1 cd Alpha). Superbe cycle debussyte qui profite essentiellement de la vision nuancée, intérieure de l’excellent directeur musical actuel, Mikko Franck. Au geste analytique et sensible répond ce naturel transparent des instruments français dont l’écoute et la mesure éclairent brillamment un programme remarquable qui souligne si l’on en doutait encore, le génie du Debussy symphoniste. La richesse des harmonies, la poésie atteinte dans les alliages de timbres font déjà tout l’onirisme médiévalisant de l’introduction de La Demoiselle Élue – dans cet écrin musical des plus raffinés (3è envoi comme Prix de Rome en 1888), dommage que la Maîtrise de RF, pourtant bien articulée, soit fixée dans une prise lointaine et froide, que la soliste Melody Louledjian, quoique juste en intonation, demeure elle inintelligible dans un français approximatif. Pourtant l’énoncé majeur « Je voudrais qu’il fût déjà près de moi » convoque l’extase des mystiques foudroyé par la foi, qui fait du manuscrit cet « oratorio » sensible d’une délicatesse infini qui déjà pose la question de l’identité et du lieu, question centrale chez l’auteur de Pelléas…

Mikko Franck, somptueux debussyte

La langueur debussyste gagne un cran supplémentaire vers l’excellence orchestrale dans le Martyre de Saint-Sébastien 1912), fresque elle aussi médiévale et intensément spirituelle sous une forme flottante. La Suite en 4 mouvements (cycle très équilibré autour de 20 mn promis à un riche succès au concert), synthétisent tout ce qui en fait la valeur profonde, purement musicale, outre son déroulement chorégraphique puisqu’il s’agit d’un ballet (sur l’idée du poète d’Annunzio) : son primitivisme épuré d’une modernité harmonique absolue (fanfare des bois et vents au début de « La Cour des Lys ») – Franck trouve le ton juste et l’équilibre idéal entre ascétisme instrumental et naturel dramatique – les 4 « Fragments » éblouissent par leur plénitude méditative et aussi leur énergie intérieure qui semblent diluer le temps et élargir l’espace, inscrivant le drame musical dans une suspension onirique aux multiples lectures : ainsi les climats inquiétants et profonds de « la Passion » dont le secret semble se dérober à toute lecture littérale, convoquant là encore la langueur interrogative, irrésolue, de Pelléas…
Le couplage avec Nocturnes (1900) est très pertinent : on y décèle une filiation esthétique et des caractères de timbres proches capables d’expliciter la pensée picturale de Debussy lorsqu’il s’agit d’exprimer le mystère et la réalité à la fois de l’immatérielle nature (« Nuages ») : Franck en fait surgir la sourde clameur d’une inquiétude lancinante (cette « agonie grise doucement teintée de blanc »). L’agilité aérienne, arachnénenne des flûtes préalables semblent conduire tout l’élan de « Fêtes », manifeste insouciant du mouvement : tandis que « Sirènes » exalte les vertus expressives de l’orchestre fusionné avec la magie du chœur, en un épisode à la liquidité mystérieuse, traversée d’éclats éblouissants : « parmi les vagues argentées de lune, s’entend, rit et passe le chant mystérieux des Sirènes ». Franck, orfèvre des timbres, ne sacrifie jamais la précision ni le détail à la vibration collective, d’essence onirique. Le geste est constamment nuancé, permettant l’essor de la suggestivité : c’est un bel hommage à la texture purement française. Nouvelle version de référence. Captivant.

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200CD événement, critique. DEBUSSY : La Démoiselle Élue (1), Le Martyre de Saint-Sébastien (2), Nocturnes (3) (Orch Philh de Radio France, Mikko Franck – 1 cd Alpha – enregistré en 2019 (1) et 2020 (2, 3) – CLIC de CLASSIQUENEWS – coup de cÅ“ur Printemps 2022.

 

 

 

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AUTRE CD de Mikko Franck, critiqué sur CLASSIQUENEWS :

franck-cesar-cd-symphonie-re-ce-que-me-dit-la-montagne-cd-mikko-franck-critique-review-classiquenews-400CD événement, critique. César Franck par Mikko Franck : Symphonie en ré, Ce que l’on entend sur la montagne, Philharmonique de Radio France (1 cd Alpha). Depuis sa création en 1937, le Philharmonique de Radio France n’a jamais semblé aussi heureux et épanoui que sous la conduite du finlandais Mikko Franck. On se souvient d’une remarquable Tosca à Orange où le chant orchestral produisait une tension dramatique captivante (été 2010). On retrouve le même engagement et une entente bénéfique dans ce programme dédié au symphonisme de César Franck.

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE, CD événement. PAN ATLANTICO : Diana Baroni / Simon Drappier (1 cd Accords croisés)

Pan-Atlantico diana baroni simon drappier cd critique classiquenews traverso chantCRITIQUE, CD événement. PAN ATLANTICO : Diana Baroni / Simon Drappier (1 cd Accords croisés) – Flûtiste ès mérite (au sein du Café Zimmermann), chanteuse à tempérament, entre gouaille et grain, mais latino et inspirée par les chamans du Nouveau Monde, Diana Baroni signe ici l’un de ses meilleurs enregistrements : miraculeux, poétique, d’une transe hallucinée, invoquant, exhortant toutes les misères et les grandeurs (vaines) de ce monde. Empruntant désormais les chemins de la chanson à message, dramatique, tout en servant une sensibilité millimétrée et orfévrée qui recueille des décennies de compagnonnage en terre baroqueuse… Distinguons deux hymnes au monde, à la terre, à l’humanité : Tonada de luna llena et Que he saccado con quererte. Diptyque où le texte incarné en fusion avec l’arpeggione atteint de rares et bouleversante fulgurances.
C’est le chant de la mère, de l’humble servante , pleureuse et invocatrice tragique, l’instrumentiste pour laquelle toutes les nuances de la muCLIC D'OR macaron 200sique baroque, historiquement informées, n’ayant aucun secret, sème sa part de tendresse et d’humanité, d’ultime imploration avant la fin du monde. La musicienne argentine a fait évolué son art en s’accordant et de quelle manière à la corde incandescente de l’arpeggione de Simon Drapier, violoncelle lui aussi venu du XIXè Schubertien, qu’un sens virtuose de l’improvisation, associe désormais en complicité et compréhension à la diseuse funambule.

Le verbe extraverti, espagnol ou portugais, dit cette mélancolie indicible, marquée par le départ, le deuil, le renoncement. Les deux cordes se répondent, – avec le vol enchanté du traverso dont se saisit la chanteuse instrumentiste- dialoguent, s’électrisent au delà de tout ce que l’on a écouté, entendu jusque là : plainte et prière à la fois, pour un monde qui peut n’être jamais et ne sera jamais définitivement ; toujours espéré, vainement. Viscéralement évoqué, invoqué, souhaité. Magistral duo. CLIC de CLASSIQUENEWS du printemps 2022.

 

 

PLUS D’INFOS sur le site de Diana Baroni : https://www.dianabaroni.com/actualites/blog-post-title-three-cs6dl-QhfHC-tmkmg-a9z3e

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TEASER VIDEO :

 

 

 

 

CRITIQUE, CD, événement. HAYDN N°11 – «  Au goût parisien ». Symphonies : 87, 82, 24, 2 – Kammerorchester Basel – Giovanni Antonini (1 cd ALPHA)

haydn symphonies 82 87 24 2 par Giovanni Antonini kammer orch basel cd critique review CLIC de CLASSIQUENEWS haydn 2032 ALPHA classicsCRITIQUE, CD, événement. HAYDN N°11 – «  Au goût parisien ». Symphonies : 87, 82, 24, 2 – Kammerorchester Basel – Giovanni Antonini (1 cd ALPHA)   –   Depuis plusieurs années, l’éditeur Alpha et l’Orch de chambre de Bâle enregistrent l’intégrale des 107 symphonies de Haydn…pour souligner en 2032, les 300 ans du compositeur viennois. Le chef Giovanni Antonini très impliqué dans les notions dynamiques, veille à la qualité artistique de l’aventure, associant aussi son propre orchestre Il Giardino Armonico…
Une éloquence crépitante, qui sait être souple ou frénétiquement contrastée : ainsi s’affirme la vitalité expressive du geste inventif, libre, à la fois furieux et intérieur du chef (et remarquable flûtiste) Giovanni Antonini, ici à la tête du collectif bâlois : l’orchestre de chambre de Bâle / Kammerorchester Basel / un modèle de volubilité hypersensible qui rappelle les réalisations elles aussi millimétrées des mêmes symphonies de Haydn sous la direction de Thomas Fey (avec le Heidelberg Sinfoniker)…
LIRE aussi notre critique des symphonies de Haydn par Thomas Fey / Heidelberg Sinfoniker : https://www.classiquenews.com/haydn-symphonies-n53-limpriale-n54heidelberger-sinfoniker-thomas-fey-1-cd-hnssler-classic/ : «  Vitalité, âpreté, mordant: les accents majeurs de l’approche de Fey à la tête de son orchestre de chambre sont désormais bien connus. Sont-ils pour autant d’excellents arguments capables d’insuffler à la machine orchestrale, ici magnifiquement polie pour les 2 symphonies de 1774, … ce caractère et cette tension, ennemis d’une certaine routine ronflante?  »
…
De son côté, le programme défendu par Giovanni Antonini expose la très riche palette de nuances et demi teintes (cet art rarement maîtrisé, du clair-obscur / chiaroscuro dont le chef est capable) ; il met en valeur les Symphonies particulièrement prisées des parisiens du début des années 1770 (1773) jusqu’à la fin des années 1780.
Mais sous la baguette de Giovanni Antonini, les contrastes et leurs alternances n’ont jamais le même caractère ; d’où une absence de toute effet mécanique ; l’articulation suit un plan organiquement changeant, pour chaque mesure… Voilà qui pourrait inspirer nombre d’orchestres modernes (et d’orchestre tout court) tant la finesse et le naturel de chaque mouvement rayonnent de liberté expressive, de fluidité ardente, d’hédonisme et d’accents qui sont proches de la parole ; tout s’enchaîne dans la diversité et la caractérisation, semblant servir et expliciter un plan général où chaque séquence signifie par sa singularité active. Toutes les parties s’imbriquent pour constituer une totalité nécessaire, une architecture équilibrée pourtant colorée et habitée selon le mouvement ; l’Allegretto de l’Ours (n°82) sait éblouir par une facétie à peine voilée ; de même l’allant dansant du Finale (dont la contredanse à 2/4 évoque l’allure d’un ours) détaille chaque chant des pupitres comme les plans expressifs distincts magnifiquement agencés, d’une ébouriffante fantaisie délurée. Cette liberté dans la souplesse, cette urgence dans la facétie ressuscitent au plus juste l’esprit même de Haydn, son esprit lumineux, sa pétillance primitive, son goût de l’invention.

Suite de l’intégrale des Symphonies de Joseph Haydn
Giovanni Antonini,
l’orfèvre qui réinvente HAYDN….

La 87 s’impose aussi par les effets de contrastes autant que de surprise ; même suractivité, presque bavarde et délirante, dès le début (le « Vivace », développé plus que de coutume ici : plus de 10mn d’une introduction qui surexprime et trépigne; mais qui exalte une motricité rythmique … rossinienne. Le ton est donné. La frénésie n’écarte pas les séquences d’une sensualité grave irrésistible. Une telle caractérisation confère à chaque symphonie la force poétique d’un opéra pour instruments et témoigne selon les mots du chef de « ce kaléidoscope des émotions humaines » revendiqué par Antonini. L’Adagio qui suit fait valoir la noblesse majestueuse cor / hautbois / flûte, soit un pastoralisme d’une « grandeur » royale et d’un raffinement aristocratique (ceux de Marie-Antoinette en son hameau de Trianon ?) – Le Menuet respire lui aussi la grâce, l’élégance, et aussi la percée facétieuse (hautbois) comme le Finale (Vivace II), tranchant et vif dont la coupe est si proche de Mozart (dernière symphonie « Jupiter » n°41).
Les 2 dernières sont plus « standards » pour autant que ce vocable sied à l’imagination débridé d’un Haydn jamais prévisible ; la 24 -composée en 1764, premier opus dont un document atteste qu’il s’agit de la première symphonie qui fut jouée et très applaudie à Paris(avril 1773) regorge de saine vivacité ; de drôlerie aussi (assumée par le cor dans le Menuet (entre autres) ; tandis que la plus ancienne, n°2, montre par comparaison (inévitable avec l’aplomb des plus récentes jouées précédemment) l’étendue poétique et expressive qui l’éloigne des deux premières n°82 et 87.
La finesse et l’intelligence avec lesquelles Giovanni Antonini aborde le massif haydnien relève d’une compréhension à la fois encyclopédique et poétique de son sujet : sa connaissance devient verve, pure agilité, mais aussi humilité car il approche chaque symphonie comme s’il s’agissait d’une planète parmi une multitude, d’une constellation infinie et vertigineuse, au diapason d’un univers plus vaste encore, celui de la pensée de Joseph Haydn. Passionnante intégrale dont l’approche et la conception renouvellent totalement l’interprétation de Haydn, comme des symphonies du XVIIIè.

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CLIC_macaron_2014CRITIQUE, CD, événement. HAYDN N°11 – «  Au goût parisien ». Symphonies : 87, 82, 24, 2 – Kammerorchester Basel – Giovanni Antonini (1 cd ALPHA – enregistré en 2019 – 2020)

Durée : 1h27 – enregistré en 2019 (87, 82, 24) – 2020 (2) – CLIC de CLASSIQUENEWS – printemps 2022.

CRITIQUE CD, événement. A night in LONDON : Ophélie Gaillard (violoncelle) : Oswald, Geminiani, … (1 cd Aparté)

gaillard ophelie night in london oswald geminiani critique cd review CLIC de CLASSIQUENEWSCRITIQUE CD, événement. A night in LONDON : Ophélie Gaillard (violoncelle) : Oswald, Geminiani, Haendel, Porpora, Cirri… Pulcinella (1 cd APARTÉ – enregistré en sept 2021) – Feurons du programme, les Concertos de Porpora et de Cirri, deux Å“uvres clés (et maîtresses du répertoire) témoignent de l’attraction de Londres au XVIIIè pour les meilleurs compositeurs pour le violoncelle. Giovanni Battista Cirri en particulier, phénomène londonien dans les années 1770, mêle habilement répertoire noble et « tunes » populaires joués dans les tavernes, sobriété et virtuosité, profondeur déjà mozartienne et facétie préfigurant Haydn…
Figurent aussi Boccherini ou surtout Geminiani (« il Furibondo », plus connu comme violoniste cependant) ; auteur du fameux recueil de 6 Sonates (1746), il offre ici une fabuleuse adaptation de la Folia d’après son maître Corelli… Geminiani fait le lien avec le légendaire James Oswald, violoncelliste écossais surdoué (qui publie sa collection de « Scots Tunes », Edimbourg 1740), un cycle de joyaux mélodiques, à la fois allusifs, pudiques, mélancoliques à l’énoncé sincère comme s’ils étaient joués à l’instant, et comme improvisés. L’instrument égale l’intensité et la volubilité à la fois inquiète et fluctuante de la voix, laquelle paraît au comble de l’impuissance, telle ce chant d’une magicienne défaite face à l’amour (Alcina incarné Sadrine Piau) ou l’inatttendu, amusé, « Treatise of Good taste » d’un Geminiani décidément inqualifiable et expérimental autant que déroutant, entre humour et parodie, liberté et fantaisie (« The night her silent sable wore » / La nuit silencieuse portait son manteau… conquête de la belle Stella chez son père, mais contrairement à Faust et Marguerite, l’issue est heureuse ; avec le timbre cuivré de la subtile Lucille Richardot.

CLIC_macaron_2014D’un bout à l’autre de ce programme réjouissant, les enchaînements sont parfaits, le geste détendu, expressif, d’une souplesse à la fois astucieuse, facétieuse et naturelle ; les œuvres aussi originales que puissantes et poétiques. En somme un récital parfait. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.

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CRITIQUE CD, événement. A night in LONDON : Ophélie Gaillard (violoncelle) : Oswald, Geminiani, Haendel, Porpora, Cirri… Pulcinella (1 cd APARTÉ – enregistré en sept 2021)

VOIR
https://www.youtube.com/watch?v=NmIWDdTqRuU

CRITIQUE, LIVRE événement. Richard Strauss : Moi, je fais l’Histoire de la musique (Fayard, mars 2022)

RICHARD STRAUSS LOOTEN fayard je fais l histoire de la musique ecrits classiquenews critique livre review book 9782213712215-001-TCRITIQUE, LIVRE événement. Richard Strauss : Moi, je fais l’Histoire de la musique (Fayard, mars 2022)  –  Dans le cas de Strauss, l’auteur scandaleux de Salomé ou d’Elektra, la volonté d’éblouir comme de convaincre ne se réduit pas à l’écriture musicale ; cette volonté d’absorber la vie, d’expliquer aussi ses choix et la voie empruntée ne concerne pas uniquement ses partitions dont beaucoup sont autobiographiques (Sinfonia domestica, Une vie de héros, Intermezzo…) ; elle s’étend aussi à l’écriture stricto sensu : en cela Richard suit son aîné et mentor, l’autre Richard : Wagner.  Strauss admire (comme Bruckner) l’auteur de Tristan ; ses écrits n’ont pas de secret pour lui, dont en particulier « Opéra et Drame » dont le texte devrait « être lu et étudié dans toutes les universités et dans chaque conservatoire » : on ne saurait mieux exprimer sa vénération.

Les textes réunis par Christophe Looten reprennent l’édition « brute » des 16 cahiers de Richard Strauss, les fameux « Gesammelte Schriften » / « écrits réunis » (réalisée en 2016 par la Sté R Strauss de Munich) dont une partie avait déjà été imprimée, sans contextualisation ni présentation raisonnée, dès 1949 (sous le titre assez imprécis « Betrachtungen und erinnerungen / considérations et souvenirs ») par le suisse Willi Schuch, musicologue proche de Strauss, lequel n’en fut jamais réellement satisfait. Ch. Looten propose pour Fayard une publication intégrale mais avec une présentation et une mise en contexte, soit tous les écrits de R. Strauss dans un agencement rationnel en 5 parties, lesquelles suivent la chronologie d’une vie riche à plus d’un titre. La couverture choisie évoque évidemment la danse de Salomé (esquisse du peintre Gustave Moreau), page orchestrale d’une furieuse sensualité qui fait objectivement de Strauss, le plus grand symphoniste et créateur lyrique du XXè.

 

 

RICHARD STRAUSS DANS LE TEXTE

strauss richardLa mise en ordre n’empêche ni la sincérité des écrits ni leur pertinence artistique, esthétique voire politique ; si l’on parle souvent de sa « naïveté » vis à vis de Mussolini ou du régime hitlérien, le discernement et la stratégie du compositeur se manifestent pleinement dans ces pages de première valeur. Ainsi, d’une matière littéraire qui était d’abord destinée aux biographes de Strauss, le lecteur parcourt de la plume même de l’auteur, le cheminement d’une carrière admirable qui de fait, au regard de son génie compositionnel, aura « fait l’Histoire de la musique », celle de la première moitié du XXè. Chaque chapitre est précédé par un rappel des « principaux événements » de la vie de Strauss, de la vie artistique en général : « Enfance », « Jeunesse », « Années glorieuses » / celles d’Elektra, du Strauss, chef à Bayreuth, … ; « Dernières années » : où se précisent des indications personnelles sur l’inspiration, les méthodes de travail, la mélodie, l’admiration pour les écrits de Wagner, modèle permanent… ; enfin « Année sombres », dernier chapitre qui concentre les ultimes réflexions sur le sens d’une œuvre (Strauss y mêle des remarques très personnelles et souvent surprenantes mais justes sur … Schubert, « l’éducation humaniste », l’atonalité, l’effondrement total de l’Allemagne, …). Le compositeur célébré voire vénéré fut aussi un témoin de la guerre et de la chute de l’Allemagne emportée par l’effondrement de l’empire nazi.
CLIC_macaron_2014Auparavant, d’innombrables anecdotes éclairent l’ambiance et la vie de Strauss, lequel a toujours baigné dans une intense activité artistique, comme en témoignent les personnalités évoquées : les chefs Hans von Bülow, Herman Levi, Schuch, Mottl…, Wagner lui-même en prise de bec avec Strauss père, corniste de génie au tempérament bien trempé ; la veuve Wagner, Cosima, et son fils, Siegfried ; mais aussi Bruckner et Brahms (peu estimés), Mahler, Johann Strauss, Schoenberg… sans omettre son entrevue avec Mussolini ; mais aussi, pilier de l’Å“uvre musicale, l’écrivain et poète Hofmmansthal, son librettiste de prédilection avec lequel Strauss aura conçu ses plus grandes oeuvres (Looten a précédemment publié leur correspondance chez Fayard). L’humour et l’acuité de la pensée donnent vie et relief à ce qui n’aurait pu être qu’un catalogue d’épisodes personnels. Saisissant.

 

 

 

 

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CRITIQUE, LIVRE événement. Richard Strauss : Moi, je fais l’Histoire de la musique (Fayard, mars 2022) – 320 pages, EAN : 9782213712215 – Prix indicatif : 24 euros. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.
PLUS D’INFOS directement sur le site de FAYARD :
https://www.fayard.fr/musique/moi-je-fais-lhistoire-de-la-musique-9782213712215

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 24 janvier 2022. THOMAS : Hamlet. Degout / Devieilhe, Langrée / Teste

devielhe degout hamlet opera comique teste langree critique opera review classiquenewsCRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 24 janvier 2022. THOMAS : Hamlet. Degout / Devieilhe, Langrée / Teste. Bonheur de cette reprise d’Hamlet, déjà produite en 2018 sur les planches de l’Opéra-Comique qui invite quasiment la même distribution gagnante… Le metteur en scène Cyril Teste joue la carte de la vidéo, mieux calibrée dans cette série, avec ses gros plans fouillant la moindre émotion des visages ; avec le tableau de la folie et de la noyade d’Ophélie (fin du IV), frêle figure submergée par un océan projeté qui l’ensevelit littéralement… Aux côtés de Jérôme Boutillier, grand gagnant à Saint-Etienne (et simultanément), le baryton Stéphane Degout affirme toujours à Paris, et depuis une décennie environ, son solide Hamlet… la palette des sentiments, le travail sur l’intériorité et l’urgence souterraine montre combien l’Hamlet de Thomas reste un rôle de poids et de valeur… avant le Pelléas de Debussy. Pour autant, la projection de tant de séquences, de l’effroi murmuré (quand il comprend qu’Ophélie est morte), aux cris déchirants du prince dévoré par l’esprit de vengeance, aurait gagné à davantage de souplesse et souvent une conception plus cohérente du personnage: son « O vin dissipe ma tristesse » est assumée affirmé, droit, comme distancié, presque trop insouciant, sans les meurtrissures et amertumes du fils endeuillé et blessé…

Plus cohérente à notre avis, sur toute l’étendue du personnage pendant l’action, l’Ophélie de Sabine Devieilhe trouve dans la continuité donc, une sincérité plus crédible, moins posée : intérieure, naturelle, essentiellement tournée sur sa douleur langoureuse qu’elle exprime dans son grand air « A vos jeux mes amis », sans surexposer les vocalises.

Rien à redire au Claudius de Laurent Alvaro, bien construit et bien chantant ; au spectre abyssal de Jérôme Varnier ; au Laërte séducteur de Pierre Derhet ; au Chœur Les éléments, présent, impliqué. Dommage cependant que le direction de Louis Langrée recherche davantage le brillant, a contrario de l’introspection progressive de Hamlet, d’Ophélie. Petite réserve tant la production fait par sa globalité expressive, un spectacle prenant de bout en bout.

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 24 janvier 2022. THOMAS : Hamlet. Degout / Devieilhe, Langrée / Teste. Photos : © Vincent Pontet

Hamlet : Stéphane Degout
Ophélie : Sabine Devieilhe
Claudius : Laurent Alvaro
Gertrude : Géraldine Chauvet
Laërte : Pierre Derhet
Le Spectre : Jérôme Varnier
Marcellus, 2ème Fossoyeur : Yu Shao
Horatio, 1er Fossoyeur : Geoffroy Buffière
Polonius : Nicolas Legoux

Chœur Les éléments
Chef de chœur : Joël Suhubiette
Orchestre des Champs-Élysées
Louis Langrée, direction
Mise en scène : Cyril Teste

CD, BRUCKNER : Symphonie n°2 (Thielemann, version 1877 Carragan, Wiener Philharmoniker, Christoph Thielemann)

Bruckner-Symphonie-2 thielemann wiener classiquenews critique reviewCD, BRUCKNER : Symphonie n°2 (Thielemann, version 1877 Carragan, Wiener Philharmoniker, Christoph Thielemann) – Le premier mouvement Moderato, le plus ample, est un portique majestueux qui alterne l’esprit de grandeur et la tendresse presque innocente (flûtes aériennes confrontées aux cors lointains) ; entre déflagration et grondements telluriques, et épisodes de pure élégie intérieure, dialoguent plus qu’ils ne s’affrontent les blocs de l’orchestre ; Thielemann résout le problème sérieux de leur succession en un flux d’une grande beauté sonore, avec des qualités d’éloquence et d’articulation, d’équilibre surtout qui permet les enchaînements. Révélant en Bruckner, des dons de conteurs proche de l’opéra. Les tutti tempêtent, écrasants, spectaculaires, jamais épais ; c’est la fanfare qui s’impose et affirme le souffle de l’inéluctable, celui d’un inflexible et majestueux Fatum, aux derniers tutti déterminés, affirmatifs, définitifs.
La respiration du II (Andante aussi développé que le I, soit presque 18 mn), évoque plus Berlioz que Wagner, en une nuit enchantée qui convoque le rêve (Nuit d’extase des Troyens) et sous le geste de Thielemann atteint un sommet d’enivrement aérien, solennel certes, comme il est écrit, mais cristallin, aux lueurs crépusculaires et pudiques qu’enveloppe le clameur noble du cor solo). Le cheminement intérieur de cet ample accomplissement serein est dans les textures orchestrales réalisées, d’une opulence hédoniste néo karajanesque (!) totalement passionnant.

Comme Karajan, Thielemann élargit le spectre, élève la sonorité, s’autorise même des respirations … mahlériennes. Dans cette symphonie assez décisive, l’écriture s’organise selon une architecture qui expose clairement ses assises, construite, de plus en plus ascensionnelle, solarisée et irradiante au fur et à mesure des opus, selon le mysticisme terrien de Bruckner (esprit chtonien assumé dans le Ländler de Scherzo).

Le Scherzo (III) justement affecte l’allure d’une marche d’une noblesse impériale comme un cuirassier armé jusqu’aux dents, ou une formidable machine de guerre, capable cependant de somptueux scintillements aux cordes, laissant flotter un air de pure rêverie dans ce tableau martial. Le reprise du Scherzo affirme avec une terribilità très maitrisée, la dernière ascension, affûtée, vive, mordante.

CLIC_macaron_2014IV. FINALE : les Wiener Philharmoniker déploient derechef toutes leurs qualités collectives : se distingue comme dans l’Andante si large, la respiration et l’activité saturée des cuivres associés aux cordes, presque irréelles où le compositeur semble nous fait franchir plusieurs paliers à mesure que sa conscience s’élargit ; le portique et la vaste cathédrale orchestrale grandissent, avec de superbes échappées pastorales (hautbois, flûtes). Avant que tout l’orchestre ne semble danser et s’opposer à l’exposé de l’inéluctable qui réexpose le schéma rythmique du Scherzo et sa coupe tranchante. Mais l’orchestre sait diffuser et libérer une explosion d’énergie, qui se fait libératrice au terme de la formidable tension. Voici assurément l’une des meilleures séquences de cette intégrale Bruckner par les Viennois et Thielemann, toujours inspirés.

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CD, BRUCKNER : Symphonie n°2 (Thielemann, version 1877 Carragan, Wiener Philharmoniker, Christoph Thielemann) – CLIC de CLASSIQUENEWS – parution février 2022.

CRITIQUE, CD événement. BEETHOVEN : Symphonies : 6, 7, 8 et 9. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX – oct 2021).

savall beethoven vol 2 symphonies 6 7 8 et 9 concert des nations critique cd review classiquenews CLIC de clssiquenewsCRITIQUE, CD événement. BEETHOVEN : Symphonies : 6, 7, 8 et 9. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX – oct 2021)  -  Une fin d’intégrale qui marque assurément une superbe compréhension de l’écriture beethovénienne. Après un premier coffret des symphonie 1 à 5, éruptif autant que poétique, les 4 dernières,- les plus abouties selon nous, – et d’un développement formel unique (la 9è point d’aboutissement du cycle) prolongent le choc auditif de leurs précédentes soeurs, dans le mordant nerveux, incisif comme la souplesse hédoniste. Les instruments d‘époque sont les alliés de Savall, ses outils magnifiquement huilés et articulés pour une sonorité décapante, dégraissée, vive, toujours fabuleusement nerveuse. Sa carrure rythmique dialogue toujours avec une conception sonore qui outrepasse le geste historique et exprime dans son flux naturel, la formidable volonté de la musique. Le projet inclut parmi les pupitres habituels du Concert des nations, nombre de jeunes instrumentistes qui sont venus parfaire et enrichir leur métier aux côtés de leurs ainés professionnels, dans l’esprit exemplaire du partage et de la transmission. La vitalité et la cohésion qui en ressortent sont convaincantes, apportant à tout l’édifice un sang, une tension captivants de bout en bout.

Plénitude poétique et spirituelle
Nerf expressif, vitalité collective
le BEETHOVEN captivant de Jordi Savall

Avec la réalisation de Teodor Currentzis actuellement, voilà assurément côté orchestres sur instruments anciens, une lecture dont le tempérament et la pensée marquent l’esprit.
La n°6 « Pastorale » exprime plus qu’elle ne décrit l’harmonie comme l’opulence de la Sainte Nature ; Savall s’empare du souffle et du miroitement contrasté des séquences, sans jamais chercher le brio. Le souci de communier et de partager se réalise dans une texture sonore globale qui coule comme une onde vive et trépidante, dont le fini, superbement oxygéné, respire la plénitude du motif, sa perception directe, sa restitution naturelle et franche. L’hédonisme sonore, le goût des timbres s’écoutent d’un bout à l’autre.

La 7è trépigne par son acuité martiale, sa tonicité collective ; son entrain d’une fabuleuse efficacité musicale et dramatique. Bois et cuivres dansent, exultent ; chacun exposé avec une individualité assumée (bois où percent souvent la caresse des hautbois, clarinettes, bassons); où scintillent et mordent les cors et trompettes…
La 8è, exaltation du mouvement, de l’énergie pure est bien cette célébration organique de la danse, selon le bon mot de Wagner. Déferlement d’énergie rythmique plus que réflexion sur le principe de mouvement et d’espace ; mais l’entrain porte à l’exubérance et la trépidation des pupitres. Et toujours avec une clarté polyphonique et contrapuntique qui permet aussi de réécouter les séquences différemment à ce que nous pensions connaître.
Enfin la 9è, testament fraternel qui porte très haut les couleurs de l’idéal des Lumières, pour ne pas dire maçonnique, est une prière pour un monde nouveau, une humanité nettoyée de sa violence comme de son fanatisme haineux. L’Adagio est une ample respiration profonde, grave; infiniment tendre, avant la déclaration franche de l’ode à la joie finale, porté par une ardeur à tous les pupitres, avec l’exaltation précise et intense pour chaque soliste et pour le choeur autant galvanisé par le chef catalan.

La continuité et la progression portent tout le geste : Savall en architecte soigne la cohérence de la réalisation : les deux premiers mouvements de la 9è en seraient l’exposition de l’énergie vitale exprimée dans son bouillonnement primitif ; l’Allegro initial serait la fin du monde et le début d’une ère nouvelle proclamée par le chant exalté des instruments ; le Molto Vivace qui suit est l’explicitation de cette quête innovatrice qui appelle, exige, commande au futur, affirmant la nécessité d’en finir… puis, l’adagio exposerait l’idéal fraternel qui prévaut à tout dont Savall fait une prière spirituelle étonnamment tendre ; enfin l’Ode à la joie énoncé par les violoncelles en serait les prémices appliqués : l’idée concrète incarnée dans cette humanité chorale qui chante et exhorte.
CLIC_macaron_2014La clarté et la transparence de la pâte, la nervosité des tutti, la précision des attaques, le chant souvent libre et souple, d’une exceptionnelle opulence des cordes affirment cet élan irrépressible qui inspire Beethoven. Jordi Savall vient du baroque, de Haendel et de Mozart, de Monteverdi et de JS Bach… c’est pourquoi il confère à son Beethoven, une couleur spécifique ; le sentiment et la résonance d’un aboutissement qui précipité par les Lumières, portant tout ce qu’a de révolutionnaire le premier romantisme, synthétise le sommet de la pensée viennoise, celle qui a permis avant Beethoven, le Haydn de la Création. Ce Beethoven régénéré, qui respire autant qu’il exulte, semble porter les fruits des révolutions qui précèdent… le génie français, bientôt mûr, celui de Berlioz au début des années 1830, soit 6 ans après la création et le triomphe de la 9è. On ne peut s’incliner devant une telle réalisation; qui vient opportunément compléter, elle aussi de façon captivante, le premier coffret des symphonies 1 à 5.

 

 

 

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CRITIQUE, CD événement. BEETHOVEN : Symphonies : 6, 7, 8 et 9. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX – oct 2021).

 

 

 

Approfondir

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LIRE aussi notre critique complète du COFFRET VOL 1 Symphonies de BEETHOVEN : 1 à 5 – Académie Beethoven 250 – 3 cd ALIA VOX – CLIC de CLASSIQUENEWS – paru en avril 2020

http://www.classiquenews.com/cd-coffret-evenement-beethoven-restauration-vol1-jordi-savall-symphonies-1-a-5-le-concert-des-nations-academie-beethoven-250-3-cd-alia-vox-2019/

beethoven revolution symphonies 1 5 savall critique cd classiquenewsDans les faits, Jordi Savall démontre une compréhension profonde du massif beethovénien ; il en révèle les équilibres singuliers, d’autant mieux mesurés depuis son interprétation précédente des 3 dernières symphonies de Mozart (2017-2018). L’auditeur y détecte une filiation avec l’harmonie des bois et des vents, particulièrement ciselés et privilégiés, dialoguant avec les cordes, jamais trop puissantes. La martialité de Ludwig s’en trouve allégée, plus percutante, et c’est tout le bénéfice des instruments d’époque qui jaillit, renforçant les contrastes beethovéniens. La sonorité est l’autre superbe offrande de Savall grâce à l’effectif : autour de 60 instrumentistes dont 32 cordes ; la fidélité aux souhaits de Beethoven est éloquente dans cette clarification entre les pupitres. Voilà comment le chef catalan éclaire de l’intérieur l’expressivité beethovénienne où l’orchestre n’exprime pas la pensée musicale : il est cette pensée elle-même…

 

 

 

CRITIQUE, CD, coffret SAINT-SAËNS : transcriptions pour piano : Cto n°2, Symphonie pour orgue, l’Assassinat du Duc de Guise… (2 cd, 1 dvd PIANO 21 – 2021)

Katsaris-cyprien-camille-saint-saens-duc-de-guise-piano-21-critique-cd-review-classiquenews-clic-de-classiquenewsCRITIQUE, CD, coffret SAINT-SAËNS : transcriptions pour piano : Cto n°2, Symphonie pour orgue, l’Assassinat du Duc de Guise… (2 cd, 1 dvd PIANO 21 – 2021) – Cyprien Katsaris joue Saint-Saëns et surprend par sa justesse recréative, dans ce coffet monographique composé de 2 cd et d’un dvd, soit plus de 2 h de musique (avec images d’archives). Contre l’idée toujours tenace d’un Saint-Saëns académique, étriqué, ennuyeux, voilà une série de joyaux à la vitalité impérieuse, à l’élégance enivrée voire conquérante qui replace l’auteur de Samson, au centre d’un échiquier français audacieux, expérimental, libre. C’est toute la valeur et la formidable inspiration du pianiste Cyprien Katsaris qui apporte ses fruits exaltants : par sa digitalité fabuleuse et imaginative, suggestive et facétieuse. Le pianiste n’a pas seulement la technicité virtuose, il exprime ce grandiose tendre, cette élégance sensible et si juste d’un Saint-Saëns orfèvre et conteur inspiré. Ainsi en témoigne le programme du CD1 dédié surtout au Carnaval des animaux dans la transcription du pianiste franco-chypriote qui est aussi compositeur : s’y déploie une pensée libre, maîtresse de ses dons pianistiques, qui sert respectueusement la verve d’un Saint-Saëns aussi inventif que fantaisiste.
L’improvisateur qu’est Katsaris, sa culture pianistique permettent ce toucher libre et léger, puissant et oxygéné qui exalte les dons dramatiques du Romantique, lui-même pianiste célébré pour sa virtuosité.

L’édition prolonge ainsi et de superbe façon le centenaire Saint-Saëns 2021, en restituant nombre de pièces symphoniques et plusieurs perles méconnues, transcrites pour piano seul ; transcripteur aussi, Katsaris complète pour certaines pièces le travail préliminaires de Bizet (pour le Concerto pour piano et orchestre n°2), Liszt (Danse macabre).

 

 

A la source du Saint-Saëns conteur…
Cyprien Katsaris l’enchanteur,
libre et génial transcripteur

 

 

Du Concerto n°2, on ne serait guère rester insensible à l’élan romantique de (très) grande classe du I ; l’humour facétieux du II ; le charme de Mozart ; la carrure de Beethoven ; l’élégance recréative propre au romantisme impérial de Saint-Saëns. Sans omettre la course échevelée, aux crépitements fantastiques du III. Seul un piano somptueux et flamboyant et d’une exceptionnelle intelligence expressive peut relever les défis de la transcriptions pour piano seul. Beau cheminement de Cyprien Katsaris qui maîtrise … tout en plaisir et en joie.
Africa est un morceau de concert virtuose, d’une construction elle aussi spectaculaire alliant crépitements diaboliques et verve mélodique avec une recherche de contrastes rythmiques. La versatilité digitale, le toucher de velours qui font littéralement danser le clavier, affirment le tempérament du pianiste, heureux, très inspiré transcripteur. La souplesse enchantée du pianiste se déploie au service de morceaux moins connus : L’Allegro appasionato est grande pièce de concert elle aussi énoncée comme une fantaisie, d’une liberté échevelée quasi improvisée ; la Valse canariote emporte passionnée, enivrée, échevelée ; et la Valse nonchalante : pleine d’une nostalgie plus secrète…
Autre bel accomplissement, la Danse macabre, dans la transcription Liszt et Katsaris souligne le génie de Saint-Saëns digne, dans la veine fictionnelle, de son ami Liszt ; c’est un formidable poème épique, d’une puissance fantastique et surnaturel où brille lisibilité, liberté du contrepoint ; jeu sur les plans sonores ; la justesse de la construction dramatique et l’intelligence du flux narratif…
Dans ce jeu d’adaptation, la format symphonique ne perd rien en suggestivité ni expressivité : la fièvre éloquente de la texture expressive éclaire aussi les dons d’articulation et de lisibilité contrapuntique du pianiste prêt à relever tous les défis.
La diversité des morceaux, leur évidente ambition (et réussite) dramatique place Saint-Saëns aux côtés de Berlioz (pour les audaces harmoniques, formelles, instrumentales…) ; génie romantique aussi, Camille se dévoile somptueux maître du clavier, un égal de Liszt par sa virtuosité flamboyante matinée d’humour et de citations à d’autres compositeurs, en particulier germaniques. Le défi du pianiste tient à ses capacités à restituer toute l’étoffe des pages symphoniques sur l’étendue du clavier (Symphonie n° 3 dans la transcription méconnue de Goetschius) : Saint-Saëns explore les possibilités du piano, éprouve l’instrument en parfait connaisseur ; Cyprien Katsaris s’approprie tous les obstacles, en dépassent les points épineux pour exprimer a contrario de leur difficultés, la claire et heureuse combinaison contrapuntique, révélant souvent une vive compréhension à la fois de le verve et de la pensée de Camille.
Classique libre, inventeur sans limites, l’auteur de Samson, ici présent dans la superbe transcription de Camille lui-même dans l’extrait de la bacchanale du III (où à travers la digitalité scintillante du pianiste, se révèle la très riche palette de l’orchestre lyrique), le compositeur fut le premier à écrire la musique pour le cinéma encore débutant ; ainsi en témoigne la tableau de 1908, l’assassinat du Duc de Guise, épisode hautement dramatique, aussi en lien avec ce goût de Saint-Saëns pour la Renaissance, illustré par ses opéras – moins joués mais somptueux : Ascanio et Henry VIII. Katsaris joue la transcription de Léon Roques. C’est en évidence, un autre joyau de la collection ainsi constituée par le pianiste : l’interprète unit dramatisme et crépitements virtuoses, il prépare puis exprime la fameuse scène de l’assassinat du duc de Guise, construction parfaite, édifiée comme un tableau d’histoire, depuis la claire exposition des personnages jusqu’au meurtre proprement dit auquel Saint-Saëns associe un thème diabolique et comme définitif. L’auditeur peut compléter l’écoute par l’image telle que restituée dans le film historique de 1908, restauré pour l’occasion, proposé dans le DVD. Très opportun bonus.

 

 

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CLIC_macaron_2014CRITIQUE, CD, coffret SAINT-SAËNS : transcriptions pour piano : Cto n°2, Symphonie pour orgue, l’Assassinat du Duc de Guise… (2 cd, 1 dvd PIANO 21 – 2021) – Sortie annoncée le 20 février 2022, chez Piano 21 (le label discographique créé par le pianiste en 2001). CLIC de CLASSIQUENEWS Hiver 2021 / 22.

 

 

Tracklisting :

CD 1
Le Carnaval des Animaux – Grande fantaisie zoologique, Op. posth., R. 125 – Transcription : Lucien Garban / Cyprien Katsaris
Hymne à Victor Hugo, Op, 69 – Transcription : Camille Saint-Saëns
Bacchanale, Samson et Dalila, Op.47, R. 288 – Transcription : Camille Saint-Saëns
Symphonie n°3 en ut mineur, “Symphonie avec orgue » – Transcription : Percy Goetschius / Cyprien Katsaris

CD 2
Concert pour piano n°2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Transcription : Georges Bizet / Cyprien Katsaris
Africa, Op. 89, R. 204 – Version pour piano seul de Saint-Saëns
Allegro appassionato, Op. 70, R. 200
Version pour piano seul de Saint-Saëns
Valse canariote, Op. 88, R. 43 – Version pour piano seul de Saint-Saëns
Valse nonchalante, Op. 110, R. 48 – Version pour piano seul de Saint-Saëns
Danse macabre, Op. 40, R. 171 – Transcription : Franz Liszt / Cyprien Katsaris
L’assassinat du duc de Guise, Op. 128, R. 331 – Transcription : Léon Roques

DVD L’Assassinat du Duc de Guise, version restaurée de 1908, avec musique de Saint-Saëns.

 

 

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CRITIQUE. CD événement. DURÓN : Coronis (Le Poème Harmonique, 2 cd Alpha – PARIS, avril 2021)

sebastian-duron-coronis-alpha788 poeme harmonique druet bunel opera critique review cd review critique classiquenews CLIC de classiquenewsCRITIQUE. CD événement. DURÓN : Coronis (Le Poème Harmonique, 2 cd Alpha – PARIS, avril 2021) – Formidable production pour sa vitalité rayonnante, ses contrastes opulents, ses situations truculentes qui mêlent grâce à la seule inspiration de Sebastian Durón (1660-1716), langueur extatique, rage guerrière, réalisme satirique. Le Poème Harmonique, chanteurs et instrumentistes relèvent tous les défis de cette action mythologique certes, surtout carnavalesque et bouffone, aux airs de tendresse grave, en particulier au II (Jornada Segunda) où s’imposent dans la fresque délirante, la prière et la plainte bouleversante de Protée (si peu respecté malgré ses alertes et prédictions) et Triton (soupirant démuni, colérique, éconduit par la voluptueuse Coronis). Les solistes concernés ici, Cyril Auvity et Isabelle Druet composent de superbes tempéraments vocaux, doués de puissance et de justesse humaine, de profondeur comme de sincérité émotionnelle. A leurs côtés, rien à dire aux épatantes Ana Quintans dans le rôle-titre : sa plasticité diamantine incarne à la perfection la beauté langoureuse et active qui finalement décide du sort de la Thrace et arbitre la guerre amorcée entre Neptune et son impérial époux, Apollon. Idem pour les deux Menandro et Sirene, couple secondaire (et plein de bon sens populaire) : Anthéa Pichanick et surtout Victoire Bunel, souple, articulée, expressive mais nuancée : remarquable duo de bout en bout.

 

 

Le Poème Harmonique ressuscite Coronis…
MADRID, 1705 : DURÓN invente l’opéra espagnol

 

 

CLIC_macaron_2014A travers la victoire du souverain solaire, ce sont les Bourbons qui annoncent leur victoire en pleine guerre de succession d’Espagne ; la zarzuela représentée en déc 1705 devant la Cour de Philippe V à Madrid, porte haut les espoirs et la certitude d’une nation prête à s’engager et à rire. Durón pour se faire, réussit une fusion saisissante entre truculence espagnole et beau chant italien, en une langue d’une volupté incandescente dont la continuité suave rappelle l’immense vénitien Cavalli. Toute la maîtrise de Sebastian Durón qui pourtant incompris, et malévalué alors, finira en exil quelques années après (1716), explose ici grâce au geste virtuose des interprètes. Aucun doute, le père de l’opéra espagnol, c’est lui. CLIC de CLASSIQUENEWS pour ce superbe opéra révélé. Dommage que la prise de son, acide et aigre dès le début, et qui lisse les plans, contredise constamment l’opulence voluptueuse de Durón, son écriture flamboyante et sensuelle.

 

 

 

 

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CRITIQUE. CD événement. DURÓN : Coronis (Le Poème Harmonique, 2 cd Alpha – PARIS, avril 2021). L’enregistrement en studio recueille les représentations de la recréation scénique en 2019. PLUS D’INFOS sur le site ALPHA : https://outhere-music.com/fr/albums/sebastian-duron-coronis

 
 

 

CRITIQUE SPECTACLE...  LIRE aussi notre critique complète de CORONIS, production présentée à CAEN, en novembre 2019 : CORONIS de DURON, la politique des muses... par Pedro Octavo DIAZ

 
 
 

FRANCE MUSIQUE : Journée Gustavo DUDAMEL (15 fév 2022)

dudamel-gustavo-maestro-opea-de-paris-classiquenews-opera-concert-critique-review-classiquenewsFRANCE MUSIQUE, Journée Gustavo Dudamel, le 15 fév 2022. C’est un nouveau chapitre qui s’est ouvert dans la carrière du chef vénézuélien Gustavo Dudamel, enfant du Sistema, le programme social et culturel du Vénézuéla ; lorsqu’en avril 2021, l’Opéra de Paris annonce sa nomination comme directeur musical de l’institution lyrique : jeune quadra, le maestro y prenait la succession du chef Philippe Jordan (réputé depuis pour sa direction intérieure et subtile en particulier dans Mozart et Wagner). Révélé au début des années 2000, l’enfant terrible et fougueux du programme d’éducation musicale a ainsi pu exprimer dans la fosse parisienne des opéras Bastille et Garnier, son énergie, son sens du drame et aussi du détail.
Dudamel avait déjà à la tête de l’Orchestre symphonique des jeunes du Venezuela Simón Bolívar, affirmé un vif tempérament, une énergie fédératrice, au cours de tournées qui ont mené les jeunes instrumentistes vénézuéliensaux, de Salzbourg à Paris, des BBC Proms de Londres au Carnegie Hall de New York : partout, leur « Mambo » (extrait du West Side Story de Bernstein) a suscité l’enthousiasme. Depuis sa prise de fonction à Paris, Gustavo Dudamel assume ses deux mandats de part et d’autre de l’Atlantique, comme directeur musical – à l’Opéra de Paris, et depuis plus de 10 ans, au Philharmonique de Los Angeles.
Turandot, de Puccini (diffusée par France Musique), a inauguré sa première saison parisienne, suivie tout récemment des Noces de Figaro de Mozart (diffusion sur France Musique samedi 26 février). France Musique lui consacre toute une journée : interview exclusive dans Musique Matin dès 7h, et tout au long de ce 15 février.
Présentation de la discographie réalisée par Dudamel, du grand répertoire aux pièces sud-américaines, russes et françaises. Evocation des sources d’inspiration du musicien natif de Barquisimeto (Venezuela).

logo_francemusiqueTEMPS FORT : à 20h, en direct de la Philharmonie de Paris, Symphonie n°3 de Schubert et Symphonie n°4 de Brahms – Orchestre de l’Opéra national de Paris – Gustavo DUDAMEL, direction.

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Le programme de la journée GUSTAVO DUDAMEL sur FRANCE MUSIQUE :
Mardi 15 février de 7h à 22h30

 


7h-9h
Musique Matin


8h20
Maxxi Classique – 8h30 : interview de Gustavo Dudamel.


9h-11h
En pistes. Beethoven, Wagner, et quelques raretés de Gustavo Dudamel


11h-12h30 Allegretto
« En passant par le Venezuela » :
Abreu, Romero, Carreno, l’orchestre Simon Bolivar, El Sistema, Sojo.


13h-13h30 Musicopolis
Portrait de la compositrice vénézuélienne Modesta Bor.

13h30-15h Arabesques
Dudamel dirige la musique russe
Tchaïkovski, Borodine, Moussorgski, Stravinski & Rachmaninov.

15h-17h Relax !
Le Los Angeles Philharmonic avant Gustavo Dudamel.


17h-18h Le van Beethoven
Gustavo Dudamel dirige le Los Angeles Philharmonic.


20h-22h30 : Le concert de 20h – en direct

En direct de la Philharmonie de Paris.
Symphonie n°3 de Schubert
Symphonie n°4 de Brahms
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Gustavo DUDAMEL, direction.

 
 

PLUS D’INFOS sur France MUSIQUE.FR : https://www.radiofrance.fr/francemusique

CRITIQUE CD, Bruckner : Symphonie n°7 (Haitink – Challenge classic, Live juin 2019)

haitink bernard symphonie 7 bruckner critique cd reviews classiquenews challenge recordsCRITIQUE CD, Bruckner : Symphonie n°7 (Haitink – Challenge classic, Live juin 2019) – Aucun doute qu’aux côtés des hédonistes spirituels, creusant et la splendeur sonore et le continuum mystique tels Gustav Wand ou Karajan, Haitink professe une plénitude orchestrale de première valeur. Ce live couronne un compagnonnage en complicité inspirée, de plus de 20 ans entre le chef et la phalange néerlandaise : maestro Haitink alors au terme de sa carrière en juin 2019, et le Radio Philharmonic Orchestra apportent à Bruckner l’éloquence de la clarté mystique, de surcroît avec une saveur sonore, un travail de la texture instrumentale, idéalement équilibrés. L’ambition de Bruckner dans un opus à l’architecture ample qui vaut cathédrale : la majesté des proportions s’affiche clairement dans la durée des 2 premiers mouvements : plus de 21 mn pour chacun. Ce qui permet à Haitink d’élucider le classicisme naturel de l’œuvre créée à Leipzig en 1884 (par Arthur Nikisch), son évidence formelle (pas de versions postérieures alternatives), surtout sa nature wagnérienne qui oeuvre souterrainement dans une partition conçue alors que Bruckner écoute à Bayreuth, la création de Parsifal (1882), choc viscéral qui s’entend ici dans la conception des timbres associés, de la largeur sonore, pour une vision fédératrice qui associe et même fusionne les timbres, en particulier dans la résolution de la séquence finale où les cordes en lévitation sont littéralement portées par la fanfare aérienne et majestueuse. Les dernières marches ascensionnelles ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le crescendo des origines, l’ouverture organique de l’Or du Rhin. L’Adagio (le plus développé de toutes les symphonies de Bruckner) échafaude un mausolée endeuillé pour… Wagner justement qui vient de mourir : l’in memoriam est un hommage bouleversant à la solennité lacrymale, grave, profonde qui dessine un inconsolable lamento orchestral (les somptueux tuben CLIC_macaron_2014wagnériens). Là encore Haitink étire la texture orchestrale en amples accoups, aux respirations profondes accordant douleur et dignité, tendresse et deuil, déchirement et consolation. Le Scherzo claque par son tempo vif, nerveux ; et le finale exalte ce « mouvementé », pas trop rapide dont Haitink saisit la mesure : le chef accomplit l’unité et la cohérence interne quasi cyclique de la symphonie, dans la réexposition finale du premier thème du mouvement I. Somptueuse conception sonore et architecturale de surcroit bonifiée par la prise de son, « super audio cd ».

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CD, Bruckner : Symphonie n°7 (Haitink – Challenge classic – live de juin 2019) – CLIC de CLASSIQUENEWS.
Plus d’infos sur le site de Challenge records / Page Bruckner, Haitink, symphonie n°7 de Bruckner :
https://www.challengerecords.com/products/16268803040781

CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, le 26 janvier 2022. Ambroise Thomas : Hamlet. Boutillier / Croussaud ; Lacombe / Berloffa

CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, le 26 janvier 2022. Ambroise Thomas : Hamlet. Boutillier / Croussaud ; Lacombe / Berloffa. Le héros de Shakespeare inspire les scènes lyriques et l’Hamlet de Thomas a eu le vent en poupe jusqu’à la crise sanitaire ; remarquon sles production srécentes, dont celles de Moshe Leiser et Patrice Caurier (Barcelone, 2003), Olivier Py (Vienne, 2012), ), Cyril Teste (Paris, 2018, reprise à l’Opéra Comique, simultanément à celle qui nous occupe ici. À Saint-Étienne, Nicola Berloffa (Carmen il y a 2 ans) sert la lisibilité de l’œuvre tragique inspiré par le noir shakespearien : l’incommunicabilité des deux amants, Hamlet et Ophélie ; le premier habité, submergé par l’assassinat de son père (dont le fantôme l’exhorte à la vengeance), emmuré dans le crime à laver, étranger aux autres ; la seconde, dépassée et trop fragile face à l’apparente froideur du prince, tout occupé ici à scénariser la pantomime de Gonzague et de Genièvre, véritable pamphlet qui dénonce le crime commis…

Scènes de foules, réalisme du couple royal illégitime (et aussi des deux fossoyeurs au dernier acte, épatants et mordants), tout concourt à placer le spectateur aux côtés d’Hamlet, face à l’horreur dont il est le témoin et l’acteur rebelle.

 

 

 

Réussite lyrique à Saint-Étienne

Belle production d’Hamlet
portée par le couple Hamlet / Ophélie :
Jérôme Boutillier / Jeanne Croussaud

 

 

 

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Particulièrement crédible, Jérôme Boutillier fait un Hamlet, prince d’Elseneur, plein d’ardeur, de passion, de finesse rentrée… (« Ô vin, dissipe la tristesse » est entre autres, d’une riche amertume), quand Jeanne Croussaud aux coloratoures agiles, incarne une Ophélie, en ange damné, s’enfonçant progressivement dans la douleur la plus sombre jusque dans la scène de folie, d’une juste épure, d’une bouleversante finesse. Le Laërte de Jérémy Duffau est de la même trempe : juste, doué d’une vie intérieure comme l’Horatio de Gabriel Saint-Martin et le Marcellus du brillant Yoan Le Lan. Puis saluons surtout, la crédibilité du couple royal questionné par Hamlet : Emanuela Pascu (Gertrud, ample mais sobre), et Jiwon Song (Claudius, de belle prestance et parfois inintelligible mais toujours musical)

Le chÅ“ur (masqué) et l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, sous la direction de Jacques Lacombe puissants et précis, révèlent tout ce que le drame recèle de forces cachées et souterraines. Le travail entre les pupitres recherchent la clarté et la nuance, jamais le clinquant. Réservant aux solos instrumentaux, le relief intérieur qui sied… (cor – au début du fameux monologue d’Hamlet-, hautbois, clarinette, violoncelles… sans omettre la couleur spécifique des saxophones que Thomas use ici pour la première fois en orchestrateur captivant). La captation vidéo réalisée laisse espérer une prochaine édition déjà très attendue…

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, Grand Théâtre Massenet, le 26 janvier 2022.

Hamlet: Jérôme Boutillier
Ophélie : Jeanne Crousaud
Claudius : Jiwon Song
Gertrude : Emanuela Pascu
Laërte : Jérémy Duffau
Le Spectre : Thomas Dear
Marcellus : Yoan Le Lan
Horatio : Jean-Gabriel Saint-Martin
Polonius : Thibault de Damas
1er fossoyeur : Antoine Foulon
2ème fossoyeur : Christophe Berry

Choeur lyrique Saint-Etienne Loire
Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire

Direction musicale : Jacques Lacombe
Mise en scène et costumes : Nicola Berlotta
Photos : © Hubert Genouillac

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE, CD événement. Molière / Lully : musiques pour la comédie-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021)

Le-Bourgeois-gentilhomme poeme harmonique lully 400 ans de moliere critique cd review clic de classiquenewsCRITIQUE, CD événement. Molière / Lully : musiques pour la comédie-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021) – Intercalées dans la pièce de Molière, les musiques de scènes (ballets, divertissements, airs…) de Lully soulignent le génie facétieux du surintendant de la musique depuis 1661 ; sa verve n’a de limite que le génie de Molière ; chacun semble même rivaliser d’astuces expressives, de finesse parodique sur le thème d’un Bourgeois désireux d’être anobli… à l’heure où la Cour ne parle que des Turcs en audience près du Roi-Soleil. Les 2 Baptistes ont précédemment présenté (également à Chambord, devant la Roi) Monsieur de Pourceaugnac (1669). Pour cette restitution des parties intégrales que Lully a alors façonnées, le Poème Harmonique met en lumière l’articulation langoureuse des jeunes tempéraments du chant baroque actuel ; le Bourgeois Gentilhomme s’il moque l’exotisme des moeurs du Grand Turc à travers une charge contre son ambassade alors à Versailles pour une réception attendue, reportée auprès de Louis XIV, exprime d’abord au I, l’empire de l’amour sur des cÅ“urs enivrés ; se distingue avant tout, l’essor poétique des premières scènes du drame de 1670, la flamme désirante de l’élève du Maître de musique, de la musicienne, du 2è musicien, trio vocal en extase que la musique sublime par ses élans nostalgiques et caressants. Déjà, Lully et Molière élaborent le futur opéra français à venir, 3 ans plus tard.

 

 

 

Délire poétique, verve satirique…
Molière & Lully : un génie théâtral à 4 mains

 

Mr Jourdain veut être gentilhomme certes : il devra d’abord passer par plusieurs rites / « apprentissages », dont celui de la musique amoureuse. Ce que nous fait entendre Le Poème Harmonique non sans un sens de l’ivresse la plus enchantée dans les accents et les inflexions du chant accompagné. Même les intermèdes (airs des « garçons tailleurs » puis « entrée des cuisiniers » qui suit), s’ils n’ont pas l’ampleur de l’orchestre de Lully qui fut plus nombreux et étoffé, dansent avec une belle vivacité ; caractérisent suffisamment les chansons à boire (véritable apologie du vin!).
 Le point d’orgue reste la cérémonie turque en 9 séquences (finale grandiose et farcesque de l’acte IV) que les musiciens inscrivent avec justesse entre parodie et sincérité, tension dramatique et recréation exotique, truculence et joie ironique, irrévérencieuse voire sacrilège… ; l’entrée accorde les gestes en une vaste supercherie collective où le Mufti, les 12 turcs, les 4 dervis exposent leur foi ; Molière explore toutes les nuances du délire d’une critique libre et déjantée des croyances orientales. Pas sûr aujourd’hui, que tel affront railleur ne passe inaperçu chez certains : la verve insolente de Molière annonce celle de Voltaire et la musique de Lully se montre d’une géniale énergie, prête à enflammer le jeu des mots, la gastronomie des allitérations en fête. De sorte que dans l’élan de la satire enjouée, ce rituel qui intronise le vaniteux Jourdain, pourtant heureux de se voir glorifié ici en vrai mahométan, se termine en belle bastonnade : l’orgueil de Jourdain est châtié. Et sa naïveté épinglée : dindon rhabillé, il donne finalement la main de sa fille au fils du grand turc !
Tout autre est le Ballet des nations où des gens d’origine (et de langues accentuées) diverse(s) : gascons, suisses, espagnols, italiens,… se disputent, s’énervent franchement, réclamant « le livre du ballet » dont il est question (comme si les acteurs fixaient alors la question que se pose le spectateur à ce moment du drame : de quoi est-il question ? Quel est l’enjeu de ce tableau ?) ; en maîtres des foules et des ensembles ciselés, Molière et Lully s’entendent à portraiturer une humanité contrastée, bariolée, là aussi déjantée ; bel effet de leurs talents accordés où musique et chant, danses et textes exacerbent toutes les possibilités et ressources poétiques sur les planches. Il n’est que la musique, divine, noble, élégantissime, versatile comme les séquences théâtrales (sublime chaconne des comédiens bouffes italiens, …), qui puisse unifier tout cela, au son d’un élan qui pointe le but CLIC_macaron_2014ultime (et l’un des derniers mot du livret) : l’Amour. A la cacophonie répond ainsi des stances subtilement langoureuses (lamento et plainte dans la 3è entrées des « Espagnols chantant », idéalement / douloureusement, amoureux…). Fin et engagé, Le Poème Harmonique exprime cette surenchère drôlatique et dramatique, ce grand chaos poétique et satirique, à la fois libre et délirant qui est à la source du Baroque français. Irrésistible. D’autant mieux apprécié et bienvenu pour les 400 ans de la naissance de Molière en janvier 2022.

 

 

 

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CLIC_macaron_2014CRITIQUE, CD événement. Molière / Lully : musiques pour la comédie-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME (1670). Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021). Prise de son parfois confuse, dans les choeurs et les tutti.
CLIC de CLASSIQUENEWS de janvier 2022.

 

 

 

 

 

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Autre CD MOLIERE sur CLASSIQUENEWS :

 

 

 

cd-george-dandin-grotte-de-versailles-jarry-marguerite-louise-cd-critique-classiquenews-Versailles-cd-critiqueCD Georges Dandin par l’Ensemble Marguerite Louise / Gaétan Jarry (1 cd Château de Versailles Spectacles – fev 2020 – CLIC de CLASSIQUENEWS)  –  Les musiques des intermèdes et de la Pastorale pour la comédie Georges Dandin de Molière précise l’ambition de Lully sur le plan lyrique avant l’élaboration d’un modèle pour l’opéra français. Ici rayonnent déjà la puissance onirique des instruments, habiles à suggérer cet accord rêvé, harmonieux entre Nature et bergers ; a contrario de la peine de Dandin, les bergères disent par leur chant, l’empire de l’amour et ce flux tragique qu’il peut susciter (leurs amants semblent noyés)

 

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE, CD événement. MONTIGNY : Grands Motets (Surge propera, Salvum me fac Deus (Antiphona, Rolandas Muleika – 2019)

grands-motets-antiphona-montigny critique cd review clic de classiquenewsCRITIQUE, CD événement. MONTIGNY : Grands Motets (Surge propera, Salvum me fac Deus (Antiphona, Rolandas Muleika – 2019)   -   Rolandas Muleika et son ensemble Antiphona (qu’il a fondé en 1996) ressuscitent avec exaltation et éloquence la joie bienheureuse et aussi le souffle dramatique du méridional baroque Montigny dont la carrière s’achève quand Rameau suscite la fameux scandale de son premier opéra Hippolyte et Aricie (1733). Au sein des compositeurs flamboyants « de province », Montigny serait le maillon oublié aux côtés de l’aixois Campra et du narbonnais Mondonville. Mort en 1738, ce natif de Béziers (à quand un concert Montigny dans la cathédrale in loco ?) s’affirme à Toulouse à Saint-Sernin (où a été enregistré le programme édité par Paraty), non sans maîtriser diverses influences, captées en Angleterre, aux Pays-Bas… lors d’un tour d’Europe impressionnant qui fait de son écriture, la synthèse des styles à son époque. Les deux Motets ici recréés en première mondiale, ont été conçus pour Toulouse dans l’année 1730 par un Montigny sexagénaire d’une maturité impressionnante, alors maître de chapelle de Saint-Sernin.

Recréation mondiale

Le grand motet toulousain à son sommet (1730),
Montigny, précurseur de Mondonville et de Rameau

Le premier Motet Surge propera (propre aux années toulousaines de l’auteur, destiné à la procession des Pénitents bleus de juin 1730) impose une complexité de l’écriture chorale d’une rayonnante noblesse dont le raffinement et la beauté des textures harmoniques prolongent le meilleur Lully (faste des trompettes dans Tubæ sonitu), grand faiseur avec Delalande dans le genre du Motet versaillais, avant Montigny. La ductilité du chœur Antiphona impressionne dans ce jeu exalté et articulé ; auquel répond l’ivresse intelligemment nuancée des instrument de l’orchestre Antiphona. En somme une complicité savoureuse voire superlative qui ressuscite aussi sur le plan interprétatif, l’époque des grands enregistrements d’exploration et de découvertes (majeures, comme ici) ; de fait, Montigny est un très grand compositeur qui prolonge la ferveur encore recueillie et très dense d’un Lully Grand Siècle (solo de la taille « Qui sitit qui esurit »), et annonce directement les effectifs intensément dramatiques, des opératiques Mondonville et Rameau (tempête du Surge Propera). Comme chez Rameau, se distingue ici la saveur des timbres instrumentaux, en particulier les bassons constamment sollicités et parfaitement enregistrés car la prise de son est particulièrement réussie.
CLIC_macaron_2014La direction artistique de Rolandas Muleika relève les défis multiples de cette recréation, révélant définitivement le tempérament de Montigny grâce à un important travail de restitution des partitions autographes. Le brio contrasté du choeur, le relief caractérisé et très impliqué des solistes, le souffle de l’orchestre associé à la maîtrise contrapuntique du chœur restituent la splendeur dramatique, le sentiment d’exaltation des pièces qui place l’humain, la tendresse fervente de chaque épisode, au cœur de cette formidable réhabilitation. N’écoutez que les 4 premières séquences du motet « Salvum me fac Deus » … vous serez saisi par la puissance expressive du « Veni in altitudinem maris » ; le chant opératique de l’orchestre, la projection déclamée superlative du texte (ego sum pauper par le dessus Eva Tamisier, fragile, fervente), la transe chorale du chœur « Effunde super eos » puis le duo haute-contre / basse et choeur final d’une mordante exaltation … sont autant d’arguments solides qui inscrivent Montigny parmi les plus grands compositeurs du premier XVIIIè. Son écriture préfigure déjà les audaces et l’énergie de Rameau comme de Mondonville… c’est dire! Somptueuse révélation. CLIC de CLASSIQUENEWS / hiver 2002.

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CRITIQUE, CD événement. MONTIGNY : Grands Motets (Surge propera, Salvum me fac Deus (Antiphona, Rolandas Muleika – enregistré à Toulouse, Saint-Sernin, août 2019 – 1 cd PARATY records) – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2022.

Joseph Valette de Montigny (1665 – 1738), 2 grands motets :
« Surge propera Sion Filia » / « Salvum me fac Deus »

Écoutez sur youtube le choeur flamboyant Effunde super eos :
https://www.youtube.com/watch?v=GXSpaUZW-1Q

VISITER le site de l’ensemble ANTIPHONA / Rolanas Muleika
https://ensemble-antiphona.org/rolandas-muleika/

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CRITIQUE, CD événement. KORNGOLD : Quatuors n°2, n°3 (Quatuor Alma – 1 cd Challenge records 2021)

CRITIQUE, CD événement. KORNGOLD : Quatuors n°2, n°3 (Quatuor Alma – 1 cd Challenge records 2021) - L’approche a été pensé, conçue pour l’enregistrement studio : le résultat est plutôt convaincant. Les instrumentistes du Quatuor Alma / Alma Quartet, réhabilitent l’auteur parmi les très grands faiseurs chambristes post romantiques du XXè.

korngold alma quartet korngold critique cd review clic de classiquenews 1627975576Korngold porte bien ici son 2è prénom « Wolfgang », hommage et filiation toute artistique à l’auteur de Don Giovanni : la subtilité versatile qui se dégage de ses Quatuors, leur expressivité toute en finesse (… viennoise) indiquent clairement l’éloquente maturité d’EWK / Erich Wolfgang Korngold, compositeur précoce, surdoué, capable de jouer avec les références d’une culture et d’une mémoire musicale hors normes. Le Quatuor N°2 (1933) écrit au cœur des années folles, juste avant l’exil à Hollywwod (où il sera un auteur renommé, recherché, inspiré pour le cinéma), diffuse ce parfum éclectique qui tend à l’évanescence, entre hyperactivité, langueur, finale extatique. A l’époque où Schoenberg façonne et perfectionne son sérialisme à 12 tons, le classique néo mozartien Korngold démontre a conrario la permanence et l’acuité des vertus tonales. Le 2è mouvement »Intermezzo / Allegretto » réactive et l’humour de Haydn et la nonchalance éclairée de R Strauss, puis l’ample Larghetto / Lento creuse dans une gravité nocturne d’une infinie mélancolie, ce retour aux anciens ; quand la Valse du IV, rend hommage aux clans Strauss, les frères Johann, Josef, Eduard.

Composé au sortir de la guerre (1945), le N°3 déploie une tension inédite, une inquiétude viscérale qui recueillent l’expérience tragique, le déchirement de l’émigration, la dépression qui atteint Korngold au milieu des années 1940. Né en 1897, il est presque quinquagénaire et incarne une toute autre vérité. Les instrumentistes du Quatuor Alma en exprime la lassitude écœurée, les spasmes d’une noirceur active, approche d’autant plus juste que Korngold avoue l’avoir écrit « pour lui-même », partition miroir comme un autoportrait intime et direct. C’est le surgissement d’une maturité obligée, précipitée comme contrainte, intensifiée encore par la maladie puis la mort de son père (qui comme chez Mozart est une figure essentielle à sa vie).
CLIC_macaron_2014La fusion des Alma, leur écoute intérieure, la quête d’une sonorité qui semble surgir de l’au-delà et d’un passé perdu, inappréciable (« Sostenuto » aux phrases magnifiquement étirées chantantes), enrichissent la lecture d’une étonnante clairvoyance sur la sensibilité très juste de Korngold. Les 2 Quatuors fonctionnent ainsi comme un diptyque complémentaire, les deux faces d’une vie, celle d’une génie musical marqué par la guerre et la barbarie, enthousiaste et déprimé. Profondeur et tendresse, ombre et lumière. Et aussi vitalité mordante plus ambivalente (superbe cadence syncopée du dernier mouvement : Finale / Allegro aux saillies abruptes, énigmatiques). La prise de son remarquablement réalisée pour le studio en mars 2021 est magistrale. Comme l’interprétation. CLIC de CLASSIQUENEWS.

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CRITIQUE, CD événement. KORNGOLD : Quatuors n°2, n°3 (Quatuor Alma – 1 cd Challenge records – enregistré en mars 2021, Haarlem, Pays-Bas). PLUS d’INFOS sur le site du label Challenge records :
https://www.challengerecords.com/products/16288479592327

CRITIQUE, cd événement. GASPARD DEHAENE : CHOPIN, « A la mazur » (1 cd 1001 Notes)

dehaene-gaspard-cd-piano-chopin-critique-cd-concert-classiquenewsCRITIQUE, cd événement. GASPARD DEHAENE : CHOPIN, « à la mazur » (1 cd 1001 Notes) – Entre ombre et lumière, sur l’aile de phrasés pudiquement expressifs, Gaspard Dehaene livre son Chopin, à l’énoncé sobre et clair, d’une vivacité immédiatement touchante. Ce qu’apporte le pianiste, c’est une compréhension naturelle et libre de l’élégance passionnée du grand exilé, de sa pudeur secrète, de ses miroirs crépusculaires (Nocturne en do dièse mineur), de ses soupirs suspendus tels qu’ils se déploient avec toute la noblesse de l’intimité préservée dès la Ballade première (opus 52 n°4), celle qui a décidé le tennisman Dehaene à se dédier désormais au piano. La pièce saisit par son ampleur enivrée, sobrement déployée tel le manifeste personnel d’une passion indéfectible pour la musique.

 

 

 

Mazurkas mystérieuses

Quand Gaspard Dehaene exprime l’ineffable poésie de Chopin…
entre hypnose et danse

 

 

 

On retrouve cette retenue chantante, bellinienne, délicatement articulée dans les Mazurkas qui sont les chapitres d’un journal intime, dont le pianiste fait des miniatures vivantes inscrites dans la pudeur, conçues comme autant de questions qui convoquent et interrogent l’âme ; Gaspard Dehaene, fabuleusement onirique (la N°3 de l’opus 24, Prélude en la majeur…) souligne combien l’écriture de Chopin réussit à faire de la danse à 3 temps originaire de Mazurie, l’expression d’un temps suspendu, heureux, un baume effaçant toute blessure ; cristallisation et jubilation d’un temps sublimé (N°4 du même opus 24 ; N°1 de l’opus 30).

Chaque Mazurka égrène son ineffable insouciance et ses multiples vies intérieures déployées en perspectives bienheureuses et mélancoliques, d’une verve parfois vertigineuse (N°4 de l’opus 30).

Quel contrastes avec la Grande Polonaise au panache enflammé, d’une majesté furieusement assumée ; sans omettre le grand souffle rayonnant de la Barcarolle opus 60, au rubato superbement architecturé qui exprime la jubilation scintillante d’un bonheur direct, épanoui, que le pianiste restitue dans sa respiration éperdue, sa grande finesse suggestive. La Barcarolle vogue son destin de rêve, tant le jeu exprime une intelligence retenue, mesurée, étoilée.

L’eau de la Berceuse opus 57 captive par sa danse hypnotique et une digitalité enchantée, avant que les 3 Mazurkas de l’opus 63, plus crépitantes encore que les précédentes, et subtilement narratives, n’affirment le même naturel expressif : un brio sans clinquant, une sincérité qui rayonne tout autant, entre inquiétude et jubilation intérieure.

CLIC_macaron_2014Épurée, sans attache, la Valse « L’Adieu » qui conclut le programme déploie ses arabesques filigranées en guise de révérence (sujet d’un clip vidéo tout autant poétique, ci dessous). Gaspard Dehaene renoue ici avec la réussite de son précédent cd dédié à Schubert (« Vers l’Ailleurs », lequel était déjà tout un programme). Superbe cheminement.

 

 

 

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CRITIQUE, cd. GASPARD DEHAENE : CHOPIN, « à la mazur » (1 cd 1001 Notes) – Enregistré à Villefavard nov 2020 – durée : 1h 09mn. Parution : le 28 janvier 2022. CLIC de CLASSIQUENEWS janvier 2022.

à la Mazur
Frédéric Chopin (1810-1849)

Ballade No. 4 en fa mineur, opus 52

4 Mazurkas, Op. 24

Polonaise No. 5 en fa dièse mineur, Op. 44

Prélude en la majeur, Op. 28 No. 7

4 Mazurkas, Op. 30

Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60

Berceuse en ré bémol majeur, Op. 57

3 Mazurkas op. 63

Nocturne en ut dièse mineur, Op. posth.

Valse en la bémol majeur, Op. 69 No. 1

Gaspard Dehaene, piano

Un album du label 1001 Notes / Référence 1001 NOTES 16 :
Acheter l’album sur le site du label 1001 Notes :
https://festival1001notes.com/collection/projet/a-la-mazur

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CONCERT : Gaspard Dehaene joue les pièces de son nouvel album « A la mazur » salle GAVEAU à PARIS, le 9 février 2022.

Lire notre présentation ici :

http://www.classiquenews.com/recital-de-gaspard-dehaene-piano-a-gaveau/

Réservez vos places ici : https://festival1001notes.com/collection/projet/a-la-mazur

 

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VOIR LE CLIP VIDEO La Valse de l’ADIEU / Gaspard Dehaene joue Frédéric Chopin :
https://www.youtube.com/watch?v=ynpmWrFxBqs

 

En traversant un champs d’oliviers, tout en écoutant Chopin, Gaspard Dehaene retrouve la joie de jouer au tennis. La musique hypnotique de Chopin questionne la passion du tennisman pour la musique… En écho, comme un miroir, se répondent le geste du sportif, la puissance canalisée du pianiste… réunis sur le terrain de tennis. Communication secrète et complémentarité féconde plutôt que confrontation. L’un est double, et vice versa.

 

 

 

 

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LIRE aussi la critique du cd SCHUBERT : Vers l’Ailleurs (fev 2019) par Gaspard Dehaene / CLIC de CLASSIQUENEWS :

Vers-lailleurs-Gaspard-Dehaene-Collection-1001-NotesCD, critique. VERS L’AILLEURS. GASPARD DEHAENE, piano. Schubert, Liszt, Bruneau-Boulmier (1 cd Collection 1001 Notes – nov 2018). ITINERANCES POETIQUES… Le pianiste Gaspard Dehaene confirme une sensibilité à part ; riche de filiations intimes. C’est un geste explorateur, qui ose des passerelles enivrantes entre Schubert, Liszt et la pièce contemporaine de Rodolphe Bruneau-Boulmier. Ce 2è cd est une belle réussite. Après son premier (Fantaisie – également édité par 1001 Notes), le pianiste français récidive dans la poésie et l’originalité. Il aime prendre son temps ; un temps intérieur pour concevoir chaque programme ; pour mesurer aussi dans quelle mesure chaque pièce choisie signifie autant que les autres, dans une continuité qui fait sens. La cohérence poétique de ce second cd éblouit immédiatement par sa justesse, sa sobre profondeur et dans l’éloquence du clavier maîtrisé, sa souple élégance. Les filiations inspirent son jeu allusif : la première relie ainsi Schubert célébré par Liszt. La seconde engage le pianiste lui-CLIC_macaron_2014même dans le sillon qui le mène à son grand père, Henri Queffélec, écrivain de la mer, et figure inspirant ce cheminement entre terre et mer, « vers l’Ailleurs ». En somme, c’est le songe mobile de Schubert, – le wanderer / voyageur, dont l’errance est comme régénérée et superbement réinvestis, sous des doigts complices et fraternels.

 

 

 

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CRITIQUE, concert du NOUVEL AN 2022. VIENNE, Musikverein, le 1er janvier 2022. Wiener Philharmoniker, Daniel Barenboim : Strauss (Johann I, II, Josef, Eduard), Josef Hellmesberger fils…

new-year-concert-concert-nouvel-an-2022-daniel-Barenboim-wiener-philharmoniker-philhar-vienne-critique-annonce-classiquenewsCRITIQUE, concert. WIEN, VIENNE (Autriche), le 1er janvier 2022. CONCERT DU NOUVEL AN 2022 – Wiener Philharmoniker, Daniel Barenboim, direction  -  Sous les ors néoclassiques de la Salle dorée du Musikverein à Vienne, et devant le public (après son absence en 2021 en raison du confinement), les instrumentistes viennois retrouvent pour la 3ème fois, le chef Daniel Barenboim, comme précédemment en 2009, 2014, et donc en ce jour inaugural de l’année 2022… Au programme, les Wiener Philharmoniker dont les instrumentistes élaborent la sélection des partitions jouées, un retour au fondamentaux de ce rituel de début d’année, que des Viennois pas de compositeurs européens invités comme ce fut le cas des éditions précédentes. Avec une référence au milieu de la presse du XIXème à l’époque des Strauss : « premières feuilles », « petites chroniques », … autant de citations propres aux medias d’alors que les Strauss évoquent avec un entrain proche de la frénésie. A croire que déjà, l’actualité bouillonnante n’attendait pas l’analyse et le recul, mais le spectaculaire et le sensationnel.

Le début évoque la figure du Phénix, oiseau fantastique capable de renaître de ses cendres, beau symbole de résilience, plutôt opportun dans le contexte de pression sanitaire actuel. L’Autriche quelques jours avant Noël a du se reconfiner…

 

 

Le génie straussien : Johann II et Josef

 

 

Barenboim a joué avec les Viennois en tant que pianiste ; il les a en de nombreuses fois dirigés comme chef… cette entente naturelle, et l’expérience partagée qui suscite la complicité, s’entendent immédiatement dès la première œuvre (Marche du Phoenix de Josef Strauss) ; avec un sens de l’architecture dramatique, du détail dans l’équilibre des timbres qui soulignent combien les Strauss ont su ciseler la parure orchestrale de chacune de leurs valses.

strauss josef portrait classiquenewsLe Concert 2022 met l’accent sur l’écriture de Josef, aussi élégante et raffinée que celle de son frère ainé, Johann II. Après le déclin physique de ce dernier, Josef pourtant doué comme ingénieur, dut prendre la direction de l’orchestre familial et diriger à son tour les musiciens de tournée en tournée. C’est exténué et lui aussi usé, qu’il meurt entre deux concerts en Pologne… triste existence mais Å“uvre incomparable. La Phönix-Marsch, op. 105 est une marche enchantée, pleine de joie pétillante, lever de rideau idéal où brillent flûtes, cors, l’excitation aussi de la caisse claire – c’est une introduction courte, pleine d’astuces et de facétie propre à l’inspiration d’un Josef qui n’a rien à envier à son ainé…

Ce dernier dans « Phönix-Schwingen » op. 125 – les ailes du Phénix écrit une grande valse : poésie ciselée instrumentale, parcourue d’éclairs, en un flux dramatique qui invite immédiatement la valse orchestrale et symphonique d’une noblesse irrésistible. Johann II exploite à dessein les contrastes flûtes / violoncelles ; tandis que spécifique, la disposition du « mur des contrebasses » en fond de scène, s’impose par son agilité magicienne (encore une spécificité viennoise) ; on savoure le piccolo mordant et la noblesse des cors… la verve du compositeur-narrateur chante la féerie de cette matière orchestrale conçue comme un formidable livre de contes et légendes ; Strauss enchante littéralement par l’intelligence de l’orchestration (scintillement du triangle et du piccolo, ajouts de la harpe et de la traversière) ; on remarque beaucoup de nouveaux visages dans les rangs du philharmonique, et toujours préservé cette élégance et cette finesse de la sonorité, y compris dans les tutti, jamais épais.

La Sirène (Polka mazur opus 248) de Josef, montre combien l’ingénieur, était doué pour les polkas mazurkas (lentes) : cor nobles et majestueux, mélodies tziganes éthérées et évanescentes ; nostalgie d’une délicatesse ciselée (harpe omniprésente), recherche de texture, de sensualité graduelle vers le tutti final des plus magiciens… rien à dire à cette maîtrise qui égale celle de son frère ainé, Johann II. Barenboim a bien raison de mettre ainsi l’accent sur le talent de Josef.

Le programme évoque l’activité de la presse de l’époque. C’est d’abord « Kleiner Anzeiger », Galop op. 4 (petites annonces) de Josef Hellmesberger (fils), premières références à la presse, galopante partition d’une frénésie … médiatique ; puis « Feuilles du matin » / Morgenblätter op. 279 de Johann Strauß II est une valse développée qui évoque les journaux partenaires du fameux bal Concordia (1864) organisé par les journalistes : valse classique, ample et poétique, d’un raffinement emblématique du clan des frères Strauss (triangle cristallin du matin, nostalgie et fanfaronnade du le tuba très en verve…). Enfin, pour conclure cette première partie, « Petite Chronique » / Kleine Chronik opus 128 d’Eduard Strauß déroule sur un train d’enfer, une polka rapide et enjouée qui touche autant par sa motricité électrisée que par la poésie des options instrumentales.

barenboim-daniel-maestro-classiquenews-compte-rendu-critique-concertsAprès la pause (le temps du journal de la mi journée sur France 2), reprise avec plusieurs pépites dont la séduction va crescendo. Pianiste mozartien, mais aussi chef lyrique familier du dramatisme et de la suggestion, Daniel Barenboim dirige d’abord l’ouverture de La Chauve souris / « Die Fledermaus », sommet de l’élégance viennoise pour les planches, qui révèle toute la science géniale de Johann Strauss II. Se distinguent surtout la frénésie et la nervosité claire et détaillée d’une direction pleine de vivacité, plutôt enjouée qui exprime l’esprit de fête et la pétillance d’un sublime lever de rideau. La direction est affûtée, vive, surtout économe dans sa gestuelle millimétrée. L’unisson souple et aérien des cordes frétille comme l’ébullition avant le saut du champagne ; c’est d’ailleurs toute l’énergie des bulles que fait surgir avec à propos maestro Barenboim. Ainsi la polka qui suit « Champagner-Polka. Musikalischer Scherz », op. 211 du même Johann II, fait directement référence à l’hyperactivité des bulles. Ainsi en plus de son élégance et de son raffinement, la légèreté liquide est une autre vertu des Wiener Philharmoniker.

Puis après une valse enjouée pareillement de Carl Michael Zieren, « Nachtschwärmer. Walzer », op. 466, au bel aplomb militaire, à l’élégance instrumentale toute … « impériale » (et qui célèbre aussi l’ivresse hédoniste des oiseaux de nuits ou fêtards en diable), le programme aborde l’autre thématique phare de cette année, l’orient ou plutôt l’orientalisme, celui rêvé, fantasmé par les compositeurs fin de siècle comme Gérôme entre autres.

STRAUSS johann II portrait 2 Johann_Strauss_Jr._1880'sL’orient, après la marche turc de Mozart… et son opéra L’Enlèvement au sérail, inspire nos Viennois. De Johann Strauss II, la « Persischer Marsch », op. 289 (Marche persane) libère le potentiel expressif et nuancé des instruments, très en verve sur le thème oriental : flûtes et piccolos endiablés, cuivres racés, frénésie qui a du chien et du style sur le rythme enjoué pointé par la caisse claire. Puis du même Johann Strauss fils, « Tausend und eine Nacht » / valse / walzer, op. 346, permet aux instruments rois, chacun finement caractérisés de faire valoir leur personnalité : solo nostalgique du violoncelle ; chef et orchestre se font danseurs dans une musique de fête, littéralement magicienne ; leur répond la chorégraphie du Ballet de l’Opéra de Vienne dans une séquence désormais incontournable filmée au soleil dans le parc de Schönbrunn, ce Versailles viennois… Barenboim articule, chante ce rêve éveillé qui rappelle l’énergie printanière de la valse du printemps que Karajan savait faire jubiler (mais sans la voix de Kathleen Battle) ; là encore, on note la splendide caractérisation par l’orchestre.

Très bien conçu, le programme de cette seconde partie enchaîne deux révélations, orchestralement passionnantes, de deux compositeurs méconnus, mais dont l’orchestration n’a rien à envier de leurs confrères plus célèbres. D’abord, le dernier du clan Strauss, Eduard et sa « Gruß an Prag » / hommage à Prague : Polka française, op. 144 pleine de saveur, délicatesse, élégance et aussi de facétie (flûte traversière et piccolo, formant un gazouillis magistral) ; la direction de Barenboim est économe et très aérée, légère, précise qui ne rate jamais ses ralentis amoureux ni les attaques précises ni la tendresse des reprises. Les instrumentistes quant à eux, outre le sujet, rendent un bel hommage à Eduard, le cadet (trop) oublié de la fratrie Strauss, mort en 1916 après avoir tenté de poursuivre l’orchestre familial après la mort de ses ainés …

 

 

Raffinement oriental selon Josef Hellmesberger II

 

 

Le clou de cette partie demeure « Heinzelmännchen » / Les elfes de Josef Hellmesberger fils, étonnante première fois dans un concert du Nouvel An, alors que le compositeur né en 1855 mort en 1907, rejeton d’un clan de musiciens, devint le chef du Philharmonique de Vienne de 1901 à 1903 ! Il était temps de le réestimer d’autant que cette danse de caractère diffuse un charme orientalisant enivrant ; plein d’humour et de panache, entre facétie et grotesque ; le chef dirige à peine, tant l’écoute mutuelle, le plaisir collectif, la complicité et l’entente des instrumentistes rayonnent dans cette pièce cinématographique qui ferait un excellent épisode musical pour Agatha Christie ; fidèle héritier de la tradition Strauss, Hellmesberger fils réalise ainsi un formidable condensé des meilleurs Strauss, Johann II et Josef. Aux accents pucciniens aussi, colorée de fanfares dansantes qui cite l’extrême fin de siècle. A mettre entre toutes les mains de 2022 pour vivre une éternelle vie optimiste et solaire.

Comme un hommage spécifique, Barenboim et les Viennois choisissent de terminer le programme 2022 par 2 partitions (sublimes) du frère de Johann II, Josef, qui dut abandonner sa carrière d’ingénieur pour reprendre la direction de l’orchestre familial, sacrifice et implication de « Pépi », mort d’épuisement en 1870 après une tournée exténuante en Pologne. Josef aussi raffiné et inspiré que Johann, la démonstration est faite si l’on en doutait encore. C’est d’abord la suprême élégance de « Nymphen-Polka », op. 50, un instant suspendu où les musiciens s’accordent aux chevaux du ballet équestre des étalons blancs, séquence mémorable de (très) haute technicité qui accorde animaux et hommes. La grâce à l’état pur. Puis, la valse « Sphärenklänge » walzer, op. 235 / Musique des Sphères, montre combien Josef maîtrise le genre : sublime éveil à la volupté – aux cordes seules… dont le chant d’une pudeur éthérée sous la réserve du chef connaisseur et presque malicieux (délicatesse des fins de phrases, avec flûtes en gazouillis) ; la verve facétieuse de Josef signe là l’une de ses meilleures pages.

Puis, « à la chasse » ( lancé par un claquement prodigieux) de Johann Strauss II galope comme un cheval fougueux mais contrôlé ; l’orchestre jubile sur une foulée sidérante de souplesse et d’éloquence, en une énergie dansante, domestiquée ; la sonorité brillante et raffinée est d’une folle élégance, au faux débridé, d’une très savante liberté fantaisiste.

Daniel Barenboim sublime ElgarRespectueux de la tradition et d’un rituel à présent bien rôdé avec le public, enfin de retour dans la salle dorée, le Beau Danube Bleu amorcé puis interrompu comme il se doit, permet la proclamation des voeux de nouvel an. Maestro engagé, Daniel Barenboim nous rappelle dans un court discours combien l’image d’un orchestre enchanteur peut inspirer encore et toujours: « … c’est la 3è fois pour moi que je dirige l’Orchestre ; les musiciens forment une communauté unique, exemplaire ; la crise sanitaire que nous vivons est une catastrophe humaine car elle met la distance entre chacun de nous ; ici nous formons une assemblée de frères réunis : bel exemple d’une humanité fraternelle, resserrée, formant communauté ; la musique permet de rapprocher les cultures et de réconcilier les peuples ; ce concert souhaite être un hymne pour la paix universelle », précise Daniel Barenboim. « Mais c’est une utopie difficile à penser quand on constate la dissonance des états à trouver une solution commune face à l’urgence climatique », ajoute le maestro très pertinent.

Le chef enchaîne ensuite l’intégrale du Beau Danube Bleu dont l’élégance approche le sublime, entre onirisme et vérité (profondeur viscérale des cordes, et chant des violoncelles déchirant). La pièce initialement composé pour voix d’hommes, dévoile toujours à l’orchestre son fort pouvoir attractif, c’est l’une des plus magiciennes qui soit. CD, DVD, Blu ray sont annoncés d’ici la fin janvier 2022, édités par Sony classical. Prochaines critiques à suivre dans le mag cd dvd livres de classiquenews.

 

 

 

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CRITIQUE, concert du NOUVEL AN 2022. VIENNE, Musikverein, le 1er janvier 2022. Wiener Philharmoniker, Daniel Barenboim : Strauss (Johann I, II, Josef, Eduard), Josef Hellmesberger fils…

 

 

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CD événement critique. SCHUBERT : Sonate D664 – Impromptus D 935. Ferenc Vizi, piano (1 cd PARATY).

schubert-ferenc-vizi-3 CLIC de CLASSIQUENEWS critique cd review piano SCHUBERTCD événement critique. SCHUBERT : Sonate D664 – Impromptus D 935. Ferenc Vizi, piano (1 cd PARATY). Ferenc Vizi sait chanter et danser son Schubert avec un évidente fluidité bienheureuse, dès le premier mouvement de la Sonate D 664 opus posthume 120, à la fois insouciant et grave, présent et mélancolique. Le balancement entre les deux caractères se réalise grâce à un rubato naturel qui sait être puissant, voire âpre mais aussi d’une tendresse enchantée. Ces 11 mn premières, primitives installent un monde viscéralement onirique, très juste. L’Andante qui suit est pure interrogation suspendue, inscrite dans l’évocation d’un rêve presque conscient qui peut n’avoir jamais existé mais qui persiste dans la matière même du clavier interrogatif. Le toucher naturel, mesuré, sobre du pianiste captive tout autant. L’allegro fait couler une eau claire, vive, nettoyée de toute connotation (et de tout effet de manche comme de maniérisme stylistique), soit une valse jouée « droite », « objective », d’une intensité lumineuse qui roule, coule et murmure, en son irrésistible candeur chorégraphique.

 

 

 

Du ruisseau et de l’abîme schubertiens…
Ferenz VIZI révèle un Schubert incandescent, fulgurant

 

 

 

CLIC_macaron_2014Les 4 Impromptus D935 saisissent autant par leur naturel expressif sans aucun effet outrancier ; le clavier de Ferenc Vizi reste simple et clair, d’une articulation naturelle, rayonnant par cette sobriété, à la fois puissante et heureuse ; plus dramatique, l’alternance des épisodes enivrés, langoureux, et ceux plus inquiets, se réalise en un flux continu jamais heurté, d’une intonation fluide (N°1). Il fait jaillir la gravité à peine douloureuse et sur un tempo résolument allegretto, légitime, la mélancolie filigranée du N°2. Le chant enchanté du N°3 « Rosamunde Andante » diffuse un rêve d’une idéale insouciance où les qualités d’articulation, et la digitalité aérienne du pianiste déploient leurs arguments enivrés. Le tact et l’intelligence de l’interprète, suggestif et tendre, se révèlent particulièrement dans les reprises de l’Impromptu aussi long que le N°1 (soit plus de 11mn) : les variations sont jouées avec un génie évident de la caractérisation, y compris dans le versant plus grave du cycle. Dans sa quête de réconciliation, par son sens du mystère, ce cheminement entre ombre et lumière, foudroie. Enfin le N°4, conclusif, convainc par son tempo vif, précis ; le toucher tendre et mesuré qui fait surgir le chant intérieur du « ruisseau schubertien », enchâssé dans un scherzo à l’indomptable énergie, à la fougue qui foudroie et exalte permet un rapprochement avec… Mozart (Symphonie en sol n°40), qui s’élève et danse, avant de sombrer, net dans l’abîme. Magistrale conception de l’interprète. CLIC de CLASSIQUENEWS de ce début 2022.

 

 

 

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CD événement critique. SCHUBERT : Sonate D664 – Impromptus D 935. Ferenc Vizi, piano (1 cd PARATY). Enregistré Salle Colonne à Paris, mai 2020. CLIC de CLASSIQUENEWS janvier 2022.

CD, événement. SAINT-SAËNS : Intégrale des 5 Symphonies (Cristian Macelaru, National de France, 3 CD Warner classics)

saint saens symphonies cristian macelaru critique cd review classiquenewsCD, événement. SAINT-SAËNS : Intégrale des 5 Symphonies (Cristian Macelaru, National de France, 3 CD Warner classics). Cette intégrale conduite par le bouillonnant et très détaillé Cristian Macelaru (né en 1980 en Roumanie) définit désormais une nouvelle référence pour la répertoire symphonique français : heureux interprète qui a la puissance et le sens du détail, doué aussi d’une énergie intérieure assez fabuleuse. Directeur musical du National de France depuis septembre 2020, Cristian Macelaru se distingue de toute évidence par cette intégrale ainsi constituée en 2020 et 2021, qui scelle l’évidente alchimie entre le chef et l’orchestre parisien au moment où est célébrer le centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns (1921 – 2021).

CD1 – La « Symphonie in A » regarde par son entrain vers Mozart et Mendelssohn et sa carrure vers le Beethoven de la Pastorale. Dès le premier mouvement (Allegro vivace), la maîtrise rayonne, avec en plus des compositeurs viennois et germaniques cités, l’entrain éperdu lyrique d’un Schumann. Cela grâce à la fluidité détaillée du chef Macelaru, très attentif aux équilibrages entre pupitres, au format sonore global comme à la qualité individuelle des nuances instrumentales. L’Andantino, par son acuité sensible révélant chaque timbre choisi par Saint-Saëns impose une tranquillité royale, dont la noblesse sait être simple (jamais grandiloquente), sans omettre une hypersensibilité (comme paniquée et âpre), d’une gravité foudroyante, d’essence mozartienne là encore. Le Vivace du Scherzo est affûté, sans sécheresse ni tension, idéalement nerveux et nuancé., avec un détail apporte à l’éloquence de chaque instruments (bois et vents), délectable. Un vrai travail d’orfèvre. Le dernier Allegro reprend à son compte la nuance « maestoso », parfaitement comprise et même ciselée par maestro C. Măcelaru. La clarté, la transparence font tout ici et distingue l’approche des autres, médiocrement respectueuse de toutes les indications et dynamiques pourtant souhaitées par Saint-Saëns.

Symphonie opus 2 (1853). Gravité noble, par les contrebasses d’ouverture d’un premier mouvement solennel, aux accents russes mais dont le détail instrumental indique le travail d’orfèvrerie écrit par Saint-Saëns. Le compositeur n’oublie pas la finesse ni l’élégance du cor en solo, d’une ampleur onirique dont le chef roumain sait exprimer toute la subtilité. Macelaru sait aussi restituer l’appel irrépressible, l’urgence quasi organique qui étreint tous les pupitres ;
Se distingue la danse enivrée le scherzo à la pétillance et la légèreté d’un Mendelssohn, ce que comprend parfaitement le chef qui allège, éclaire, obtient des nuances enivrantes, en vrai conteur qui sait mesurer, doser, contrôler l’intonation et l’intensité sonore. Comme un rêve déroulé avec une grâce infinie, l’Adagio plutôt grave (porté d’abord par le chant de la clarinette, suave, onctueuse) allège aussi la texture orchestrale qui sous la baguette de Macelaru, très inspiré, évolue en une lévitation sensuelle de plus en plus éthérée, aux scintillements oniriques (harpe), d’autant plus élaboré qu’il s’agit du plus long mouvement (11 mn). Le dernier mouvement est d’une grandeur martiale qui connaît très bien son Beethoven, avec toujours un fini dans toutes les séquences instrumentales qui écarte toute impression de pesanteur grandiloquente.

Camille-Saint-Saens DRCD 2 – La Symphonie en fa maj « URBS ROMA » amorcée en 1854, aboutie courant 1857, témoigne d’un goût historiciste, proche de la tendance archéologique et éclectique du Second Empire ; les 4 mouvements empoignent le sujet de l’histoire et de la grandeur romaine, avec une certaine pompe solennelle (premier Largo – Allegro) ; une détermination nerveuse, acérée voire impatiente  (frénésie orgiaque / Bacchanale du Molto vivace inscrite dans une urgence détaillée par l’Orchestre parisien) ; auxquels répond le 3è mouvement sous le sceau d’une terribilità parfois inquiète et grave (évocation de la chute de l’Empire énoncée comme une longue plainte ou marche funèbre – Moderato assai) ; Saint-Saëns conclut avec un sens de l’équilibre, en une joie rayonnante qui se dévoile progressivement, dans l’urgence et la volonté, mais aussi une tranquillité souveraine et lumineuse, auxquelles chef et instrumentistes apportent de somptueuses couleurs et une élégance toute …. parisienne.

CD3 – Le dernier et 3è cd regroupe la Symphonie n°2 opus 55 et la n°3 avec orgue opus 78.  La n°2 composée en 1859, créé par Jules Pasdeloup en mars 1860 éclaire encore la maîtrise formelle de Saint-Saëns dans le genre symphonique. L’énergie du premier Allgero noté « marcato » ; l’épure sereine de l’Adagio qui suit ; le bouillonnement primitif qui anime le scherzo (Presto) ; enfin la vive allure, allégée, mendelssonnienne du dernier Prestissimo affirme l’engagement de Saint-Saëns comme un symphoniste passionné, c’est à dire un maître en la matière.

Symphonie n°2 opus 55 (1859) – Âpreté « marquée » dès le début à laquelle s’échappe le chant solo du violon, des bois avant que l’auteur ne construise un ample portique contrapuntique aux cordes qui ouvre l’ascension urgente vers laquelle aspirent tous les pupitres en bon ordre. Un élan schumannien, d’une irrépressible ferveur empote tout le premier mouvement. L’Adagio est lui plein de retenue, de pudeur tout aussi solennisée mais sans emphase, jouant sur les vents (flûtes et hautbois, lumineux, aériens…).

Le Scherzo est fougueux, d’une vitalité mordante et martiale où contraste le solo de hautbois, appel à une aubade finement pastorale.
Le Prestissimo fonce à très vive allure en une ivresse orgiaque et trépidante, grâce à l’articulation des vents et des bois et l’agilité fiévreuse des cordes. Équilibre magnifiquement atteint et cultive de bout en bout par le chef qui s’autorise aussi d’ultimes éclats poétiques d’une rêverie ciselée.

Rien ne surpasse le souffle de la Symphonie n°3 (1886) et son début mystérieux, majestueux, schubertien (Adagio – Allegro moderato) appareillé à son double (qui dépasse les 10 mn aussi), le Poco adagio, « cathédrale pour orgue » où s’affirme la lumière salvatrice. Le chef dans l’opulence solaire de la forme fait jaillir la structure et réciproquement, en un geste ample et clair, aux respirations très justes. En alliant puissance et noblesse détaillée de chaque timbre, l’orchestre impressionne par sa clarté, sa transparence, un souci aussi du relief et des textures colorées. Le travail est somptueux révélant la sensualité du cérébral Saint-Saëns. Cette éloquence sans surenchère atteint un sommet de plénitude sobre et oxygénée dans le sublime adagio pour l’orgue… éthéré, poétique, aux voluptés simples et enveloppantes. De tous les paysages musicaux, celui ci dessine des horizons lointains d’une infinie nostalgie, d’une rayonnante béatitude, pour laquelle le maestro trouve des effets de cordes absolument géniaux (pizzicati suspendus, chant des violons inscrits dans le rêve ; n’est-il pas violoniste de formation et d’un tempérament très affirmé, spécifiquement attentif à la couleur des cordes ?).

CLIC_macaron_2014L’élégance simple et très articulée du doublé qui suit (Allegro moderato – Presto- couplé au maestoso / allegro) inscrit cette lecture dans l’intelligence, le nerf, la précision, la transparence. L’hommage de Saint-Saëns à son cher ami Liszt ne pouvait trouver meilleure interprétation ; le détail, l’architecture y dialoguent avec une carrure et un souffle rarement écoutés jusque là. Le dernier mouvement montre à quel point la puissance sonore peut s’accorder à un scintillement de timbres des plus raffinés. Le geste est inouï. Le coffret est la meilleure surprise de cette année Saint-Saëns et une sublime réalisation qui assoit la complicité, et visiblement l’estime, entre le chef et les instrumentistes du National de France. Magistral.

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SAINT-SAËNS : Intégrale des 5 Symphonies de Saint-Saëns – Orchestre National de France, Cristian Măcelaru – 3 cd Warner classics. Enregistrement studio à Paris, à l’Auditorium de Radio France entre 2020 et 2021.

Symphonie n°1 en mi bémol majeur, op.2 (1853)
Symphonie n°2 en la mineur, op.55 (1859).
Symphonie n°3 en ut mineur, « avec orgue, dédiée à Liszt, op. 78 (1886).
Symphonie n°4 en fa majeur « Urbs Roma » (1857).
Symphonie n°5 en la majeur (1850)

VOIR aussi des extraits de Saint-Saëns : Symphonie n°2 en la mineur op. 55

https://www.youtube.com/watch?v=_nKlBXJ73EY&t=3s 

CD événement, critique. « Sisters ». Lili et Nadia Boulanger : œuvres pour piano (Johan Farjot, piano) 1cd Klarthe records

KLA124 cd critique classiquenews JOhan farjot cd review boulanger nadia lili johan farjot piano critique cd classiquenewsCD événement, critique. « Sisters ». Lili et Nadia Boulanger : Å“uvres pour piano (Johan Farjot, piano) 1cd Klarthe records  -  Le label Klarthe est bien inspiré d’éditer cette première intégrale de l’œuvre pour piano des soeurs Boulanger, Nadia et Lili…. dont 3 pièces en création ! – cf. la mélodie « Mon âme », de 1906 de Nadia d’après le poème d’Albert Samain. Nadia la brune, Lili la blonde… deux figures de la composition en France qu’il était temps de réestimer…. A certains qui renaclent à considérer des compositrices françaises de premier plan : Lili pourrait devenir même un phare exemplaire comme le soulignait Igor Markevitch, précoce et juste admirateur.
Le pianiste Johan Farjot démontre aujourd’hui les champs variés et les imaginaires forts et puissants des deux filles d’Ernest Boulanger (Prix de Rome 1853) et qui comme leur père compositeur, candidatèrent pour l’auguste trophée romain : Nadia remporte en 1908 un…2è Prix. Lili, le Premier Prix en 1913 à 19 ans (grâce au feu fulgurant de sa cantate « Faust et Hélène » qu’il faudra bien un jour révéler). Leur parcours est aussi intense que court : Lili de santé fragile meurt à 24 ans, non sans léguer des partitions d’une éloquente maturité (et oui l’expérience et le génie n’attendent pas l’âge des années) ; Nadia renonce à poursuivre son œuvre de compositrice à … 32 ans. Étonnante interruption.

D’où vient ce vide soudain ?, un doute qui vaut censure, et qui dans la vie de Nadia explique que trouvant sa musique non pas bonne mais « inutile », elle décide soudain de cesser la composition, à la faveur de ses autres activités comme cheffe, concertiste, professeur surtout : Legrand, Glass, Bernstein, Copland sont ses élèves… La question explique la singularité d’une œuvre qui à l’écoute, comme celle de sa sœur, frappe voire saisit par sa vivacité, sa justesse, sa profondeur.

De Farjot aux « Sisters »…
De compositeur à compositrices

Johan Farjot lui-même compositeur semble mesurer le talent des Boulanger dans l’esprit d’une entente secrète et intime ; de Nadia, le pianiste auteur parle d’une compositrice « géniale, originale, inspirée ». De Lili, il est aussi définitif car il connaît les 3 Psaumes.
Johan Farjot établit donc la première nomenclature enregistrée des pièces de Lili Boulanger, en un cycle raisonné : d’abord les 2 Préludes de 1911 (ré bémol et si), clairement debussyste et ravéliens.
De même le Thème et Variations (réalisé à la Villa Médicis à Rome en juin 1914 après l’obtention de son Premier Prix) affirme la puissance sombre et mystérieuse de l’inspiration de la jeune compositrice, en rien fragile ni timorée, au contraire abrupte, violente, passionnée, animée par le désespoir voire la souffrance ultime, peinte en une grisaille des plus raffinées.
Enfin les 3 Morceaux pour piano (publiés posthumes par Ricordi, 1919) confirment tout autant le génie de Lili : mélancolie d’Un vieux jardin ; douceur D’un jardin clair, enfin transparence de « Cortège » noté « léger et gai » par la compositrice. L’intensité expressive, la puissance et la sensibilité jaillissent sous les doigts de Johan Farjot qui s’ingénie avec délice à souligner la maturité et le profondeur de l’écriture, ses architectures amples, tracées à grands coups de marches harmoniques, tout en veillant à l’ampleur du son, sa transparence, parfois inquiète, souvent interrogative.

CLIC_macaron_2014De Nadia, Johan Farjot saisit la vitalité rythmique de la pièce pour 2 pianos (1910), première mondiale absolue qui affirme le tempérament de la compositrice. Le pianiste restitue aussi l’éloquence narrative des 3 Petites Pièces pour piano (1914) dont la dernière offre cette grille emblématique de la compositrice « parallélismes d’accords et pédales harmoniques » à l’égal d’un Ravel qui fut son condisciple dans la classe de Fauré.
Dans « Vers la vie nouvelle » (1915), Nadia exprime l’inquiétante étrangeté d’une vie terrestre, parsemée de doute et de découragement avant que naisse enfin, l’espoir d’une vie meilleure, « l’homme marche confiant, tendre et grave » selon ses propres annotations. La partition créée en février 1917 était ainsi destinée à collecter des fonds pour aider les femmes musiciennes à poursuivre leur activité musicale pendant la guerre…
Autre morceau majeur de cette intégrale événement : l’inédit « Morceau pour l’entrée dans la classe de piano femmes du Conservatoire de Paris », exercice de déchiffrage daté de juin 1914.

Enfin, la mélodie « Mon âme » (1906) chantée ici par Karine Deshayes; le texte en alexandrin d’Albert Samain (1858 – 1900) diffuse sans pudeur la sensualité intérieure et profonde d’une infante dans un palais déserté : attente, renoncement, deuil ; soit innocence, élan, amertume, blessures et adieu serein : l’angélisme de l’infante, son retrait de la vie, comme un anéantissement souple et élégantissime résument en définitive les illusions premières et les derniers soupirs de toute une vie ; le caractère est sobre, sombre, parfois grave, toujours éperdu mais mesuré. De plus de 6mn, la mélodie est un sommet de retenue passionnée, de sombre espérance qui plonge au cÅ“ur du mystère.

On ne saurait trouver actuellement meilleure approche sincère et investie du génie de deux sœurs frappées du sceau de l’authentique et ineffable musique. Deux déesses au destin musical foudroyé que Valéry ou Bernstein en leur temps ont su estimer à leur juste valeur. Une estimation que régénère fort opportunément Johan Farjot, compositeur, en un rapport à la fois fraternel et identitaire magistral. Passionnante implication.

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CD événement, critique. « Sisters ». Lili et Nadia Boulanger : Å“uvres pour piano (Johan Farjot, piano) 1cd Klarthe records – CLIC de CLASSIQUENEWS

https://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/sisters-detail

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CRITIQUE, opéra. MILAN, Scala, le 7 déc 2021. VERDI : Macbeth. Anna Netrebko / Davide Livermore

scala milanCRITIQUE, opéra. MILAN, Scala, le 7 déc 2021. VERDI : Macbeth. Anna Netrebko / Davide Livermore – La Scala marque le coup d’envoi da sa nouvelle saison lyrique 21 / 22, chaque 7 décembre, (pour la Saint-Ambroise, patron de Milan) avec cette nouvelle production de Macbeth. Un déploiement scénique, à vrais machineries (des plateaux qui montent et descendent), surtout un univers de décors vidéo en très grand format qui immergent héros et tableaux collectifs dans un monde « parallèle », à la fois rétro futuriste, néo art déco, lieux d’un pouvoir qui se met aux couleurs de la folie des meurtriers, Macbeth et son épouse, soit Anna Netrebko et Luca Salsi dans le rôle des époux maudits. Exit l’Ecosse médiévale du XIè, à la fois terreuse et fantastique (avec sa lande battue au vent et ses sorcières au chaudron magique et prophétique) ; le metteur en scène turinois Davide Livermore opte pour une humanité schématisée au possible où le pouvoir rend fou, mais aussi tristement cynique, comme la horde d’intrigants courtisans, réduite à une marée d’observateurs baveux et parfaitement hypocrites. Un milieu que Verdi aime brocarder… comme dans Rigoletto entre autres. La démesure des décors et la force des tableaux tire l’opéra italien romantique vers le grand opéra français à force d’effets visuels crânement assumés. La machinerie et tout l’univers visuel de Davide Livermore ne s’épargne aucun délire esthétique, souvent juste, toujours élégant et d’une grande puissance poétique, avec un sens manifeste du rythme spectaculaire. IL réussit à exprimer le vertige qui s’empare des assassins, leur déraison, leur chute dans un espace halluciné sans apesanteur. La combinaison des images vidéos sur lesquelles se superpose la cage d’ascenseur habilement utilisée, reste impressionnante.

 

Luxueuses machineries

 

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Les meurtriers sont bien campés par les solistes requis Luca Salsi a l’endurance, l’aplomb, la dureté presque rustre et finalement déshumanisé de celui qui n’hésite pas à tuer le roi Duncan, puis son compagnon d’armes Banco… (ce dernier magnifiquement incarné par le royal Ildar Abdrazakov : stature de commandeur, humanité de leader, et chant naturellement noble). En Lady Macbeth, Anna Netrebko qui connaît bien le rôle, apparaît en « amata delle tenebre » (cf le titre de son dernier récital discographique), et son air « la Luce Langue », glaçant et implacable (II) où l’épouse ténébreuse incite Macbeth à tuer encore et encore (Banco et son fils) affirme un aplomb vocal, plus ample, plus dramatique, de fait plus « ténébreux » avec des aigus charnus bien négociés ; vraie tragédienne, l’épouse criminelle se montre fine et intelligente mais déjà possédée par le remords et la culpabilité ; elle danse même dans le ballet du III, avant de sombrer définitivement dans la folie et la mort, dans son sublime air de somnambulisme (« Une tâche, il en reste encore, … tâche maudite… ») qu’a définitivement marqué la Callas.

 

 

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Air de renoncement, d’anéantissement total, dernière exhalaison d’une tueuse rattrapée par le sang versé, d’ailleurs, alors, en proie à un vertige existentiel, parfaitement mis en scène. Netrebko brûle les planches par son intelligence dramatique, la justesse des couleurs, la ligne d’une guerrière au bord du précipice, devenue victime aux tentations suicidaires.

Le Macduff de Francesco Meli ne manque de caractère ni d’engagement, consolidant les arguemnts de la sélection vocale.

 

En fosse, Riccardo Chailly relève le défi du souffle shakespearien. Macbeth inaugure un cycle inspiré par le dramaturge anglais, avant Otello, puis Falstaff. Nerveux, tout en relief et en contrastes, l’orchestre scaligène sculpte dans la pâte, tordant la riche matière orchestrale, pour en faire jaillir les crépitements fantastiques. Parfois un peu trop sèchement. Un spectacle de vive et de grande allure.

 

 

 

 

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A l’affiche du Teatro alla Scala, jusqu’au 29 déc 2021
https://teatroallascala.org/en/season/2021-2022/opera/macbeth.html

 

 

EN REPLAY sur ARTEconcert jusqu’au 6 juin 2022
https://www.arte.tv/fr/videos/104870-001-A/macbeth-de-verdi-a-la-scala-de-milan/

 

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Distribution

Avec :

Anna Netrebko (Lady Macbeth)
Luca Salsi (Maréchal Macbeth)
Ildar Abdrazakov (Banco)

Francesco Meli (Macduff)
Andrea Pellegrini (Médécin)
Chiara Isotton (Dame de Lady Macbeth)
Iván Ayón Rivas (Malcom)

Mise en scène : Davide Livermore
Direction musicale : Riccardo Chailly
Orchestra del Teatro alla Scala
Coro del Teatro alla Scala

 

 

 

Fanny et Alexandre de Bergman sur ARTE

bergman fanny et alexandre arte serie classiquenewsARTE, dès le 24 déc. BERGMAN : Fanny et Alexandre. On sait la fascination du réalisateur Ingmar Bergman pour la musique, en particulier classique, comme en témoigne son dernier film au titre éloquent, « Sarabande » (2003). Dans Fanny et Alexandre, le réalisateur aborde l’emprise du mal sur de jeunes âmes innocentes, en particulier le frère et sa sœur Alexandre et Fanny, dont la mère pensant confier son destin à un homme vertueux, épouse l’évèque Edvard Vergerus. Mais le serviteur de Dieu se révèle très vite un despote domestique, n’hésitant pas à humilier et asservir au nom de la loi divine, la mère et ses enfants sur lesquels, surtout dans le cas d’Alexandre, il exerce un pouvoir abusif, où le sadisme et la manipulation activent leurs effets délétères.  Bergman échafaude un drame étouffant, spectaculaire qui tient sa fascination de l’opposition entre le bien et le mal lesquels  s’affrontent à travers le destin des enfants et de leur mère Emilie.
Au départ, le réalisateur suédois célèbre la force d’un clan familial, issu de la haute société, réuni autour de la figure protectrice d’Helena, grand-mère d’Alexandre. Ses parents forment le couple d’artistes comédiens, Oscar et Emilie Ekhdal qui joue Hamlet devant les yeux émerveillés de leurs enfants. L’attraction de la scène et du théâtre, l’innocence des enfants curieux d’onirisme, la fatalité du Mal, le monde trouble des adultes inspirent à Bergman l’un de ses films les plus terrifiants.

Arte diffuse la série issue de la production originelle : soit 4 épisodes au rythme haletant qui évoque le parcours spirituel d’Alexandre dont la nature enfantine du début doit se transformer en prise de conscience, au contact d’un Mal insidieux qu’il n’avait pas envisagé… Bergman, ermite réfugié dans son écrin isolé de Farö, revisite Tchekov (et sa fascination des huis clos claniques), mais aussi Visconti dont il partage un sens impressionnant de l’esthétisme. Fanny et Alexandre est un thriller domestique dont la figure du beau père malfaisant évoque la Nuit du chasseur. Pour assoir l’emprise du mal et le trouble que les avatars suscitent dans l’esprit des enfants, Bergman comme Britten (The turn of the screw), rappelle la fragilité des âmes innocentes mais aussi le fantastique qui submerge la volonté rationaliste de piliers de la famille.  On ne peut s’empêcher de penser aussi au Ruban de Michel Haneke, terrible manifeste du démonisme sacrifiant l’innocence des enfants et de toutes les âmes vertueuses.
Fanny et Alexandre est d’abord une série conçue dès l’origine pour la télévision (5h) et un long métrage au cinéma (3h, moins convaincant selon les propres mots de Bergman). La fiction depuis considérée comme le testament artistique du cinéaste a été distinguée Meilleur film étranger aux Césars et Golden Globes 1984.

 

 

En replay sur ARTEconcert du 24 déc 2021 au 16 sept 2022.

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DVD, critique. Rimsky-K : Sadko (Tcherniakov, Bolchoï, fév 2020 – 2 dvd Bel Air classiques)

sadko rimsky tcherniakov critique opera dvd classiquenews noel 2021DVD, critique. Rimsky-K : Sadko (Tcherniakov, Bolchoï, fév 2020 – 2 dvd Bel Air classiques)  -  Evidemment, comme si l’opéra originel ne se suffisait pas à lui-même, en début de spectacle, Dmitri Tcherniakov imagine une vie d’avant l’opéra où les chanteurs à venir ont leur rêve, leurs désirs. Soit…La scène qui suit entend représenter la réalisation de leurs illusions mais au prix d’un sacrifice difficile à assumer. La force du rêve est égale et proprotionnelle à la nécessité finale de s’en détacher pour mûrir. On ne peut rester d’éternels enfants ! Comme cet autre pilier du répertoire russe – Onéguine, plutôt réussit alors, Tcherniakov reste pour Sadko, mesuré dans son délire théâtral : ouf ! ; du moins pas aussi décalé, perturbateur que dans son Don Giovanni à Aix. Triste souvenir, tellement le metteur en scène diluait le temps mozartien, inventant des épisodes dans l’opéra, quitte à en dénaturer le flux et tuer la cohérence. Ce Sadko fait suite à Rouslan et Ludmila il y a 9 ans au Bolshoï. Production elle aussi qui laisse un sentiment finalement mitigé.

Sadko à l’épreuve de l’illusion onirique

Ce Sadko à l’affiche du Bolchoï en février 2020 respecte sa nature légendaire ; le conte traditionnel célèbre en filigrane la bonne société (un rien arrogante) et l’essor de Novgorod (dont Rimsky est originaire), cité marchande sur la rivière Volkhov (sud de St-Pétersbourg), florissant comptoir commercial entre Scandinavie et Orient. Joueur de « gusle », le jeune barde Sadko ose affirmer que lui aussi sera marchand et voyageur quand tous les notables attablés se moquent de lui (premier tableau).

Mais le marginal humilié voit son destin radicalement changé quand il se retrouve près des eaux souriantes et crépusculaires (du lac Ilmen) où paraît la fille du Tsar des Océans, Volkhova, laquelle lui assure richesse, fortune, gloire… Rimsky sert les enchantements du conte, il en fait une épopée féerique. Tout se réalise quand il pêche 3 poissons d’or qui lui valent un sort miraculeux… Sadko l’aventurier, c’est le héros idéal (parce comblé malgré sa candeur) dont Tcherniakov fait un voyageur dans le temps et l’espace à travers plusieurs décors historiques du Bolchoï, conçus pour différentes productions de l’œuvre, réutilisés (et probablement restaurés) pour le drame ; ainsi, lieu de la rencontre entre mondes féerique et réels, entre Volkhova et Sadko, le lac Ilmen est la création au clair de lune d’Igor Bilibin (1914)… Le spectacle se fait mémoire archéologique de l’opéra russe dont 5 productions montées à Saint-Pétersbourg et Moscou entre 1901 et 1949, sont ainsi recyclées… Mais chaque décor rend visibles ses décors et ses machineries, laissant en filigrane se développer aussi une réflexion sur la puissance de l’illusion théâtrale. Et sa victime, le spectateur à travers les péripéties du héros.

Distinguons au début (tableau de l’assemblée des notables marchands) l’impeccable haute-contre Yuri Minenko, naturellement projeté dans le rôle de Nezhata : il donne à l’auditoire ce que chaque nanti veut entendre, un air qui chante leur réussite ; hélas un rien tendu aux aigus râpeux, le Sadko du ténor Nazhmiddin Mavlyanov, manque d’épaisseur trouble, il n’a ni la séduction virile, ni la profondeur tendre de ses ainés, légendaires qui ont fait la réputation du rôle (Vladimir Atlantov ou Vladimir Galouzine) ; souvent la voix manque de réelle tendresse et les aigus d’aisance comme de force. Mais la lecture de Tcherniakov n’aide guère le soliste qui demeure de bout en bout, cet être décalé, asocial, inadapté (le grand thème du metteur en scène… déjà fil conducteur de son Onéguine à Paris). Cependant la magie de ce beau livre d’images n’est pas absente en particulier lors de l’apparition de Volkhova dont le soprano léger et vaporeux à souhait d’Aida Garifullina, véritable créature fantasmatique, exprime la nature hyperféminine et séductrice… d’autant que Rimsky lui réserve l‘une des parties les plus sensuelles qu’il ait composées. Garifulina enchante comme dans Snégourotchka (Bastille, 2017).

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Dans le rôle de l’épouse délaissée (Lioubava), dans sa maisonnette étroite, Ekaterina Semenchuk emprunte le sillon marqué hier par une Obraztsova : noblesse du style, ligne infinie, aigus timbrés, graves bouleversants ; sa présence justifie pleinement la production ; à son contact, Sadko se bonifie et leur duo devient convaincant.

De son côté, portant le choeur maison, toujours impeccable en intensité et accents, l’Orchestre du Bolchoï réussit le souffle des tableaux collectifs (la scène du port à grand renfort de figurants et d’accessoires…), comme la finesse des profils psychologiques, si subtilement orchestrés par Rimsky ; dans la fosse, un jeune chef à suivre (pas encore trentenaire !), Timur Zangiev (né en 1994) qui a reçu l’enseignement de l’extraordinaire Gennady Rozhdestvensky. C’est dire. Toujours inspiré et nuancé, le jeune maestro réussit outre le sensualité de Rimsky, sa prodigieuse capacité à enchaîner les tableaux grâce aux transitions orchestrales quasi wagnériennes ! Et quand paraissent les 3 marchands étrangers viking, indien, vénitien, la caractérisation symphonique fait mouche pour chacun, d’autant que les solistes ne manquent pas d’atouts : la basse caverneuse Dmitry Ulianov, l’envoûtant Alexey Nekludov, le pétillant Andrey Zhlikhovsky.

Tcherniakov n’écarte pas le comble du kitsh dans le tableau des fonds marins, à la cour de l’empereur des mers où le metteur en scène oublie toute mesure en étalant un copieux voire indigeste plat de crustacées et autres créatures spectaculaires et colorées… Le grand bazar océanique a des allures de Bollywood orgiaque.

C’est pour mieux contraster avec la nudité du plateau quand le vieux sage qui servait de guide à Sadko, prend enfin la parole, congédiant Tsar des mers et assignant Voklova à sa place ; fini la parodie de Broadway et son délire gargantuesque : Sadko rejoint Novgorod et la fille du Tsar coulera au pied de la cité. Le chef traduit parfaitement tout ce qu’a de parodique et de nostalgique ce lien viscéral qu’a Rimsky pour la mer (et ses enchantements) : n’est-il pas aussi marin qu’un Roussel ? En fin de drame, après la réconciliation des époux dans le monde réel, après la dernier choeur à la gloire de Novgorod où les coulisses sont dévoilées aux spectateurs… l’approche Tcherniakov semble légère et inaboutie. On reste plus captivés par la magie de l’orchestre que saisis par la réalisation scénique. Car les musiciens font à eux seuls tout le spectacle. Malgré nos réserves sur le déballage visuel et la grille de lecture plaquée sans coutures de Tcherniakov, le spectacle édité par Bel Air mérite absolument ce témoignage.

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voir un extrait vidéo :
https://youtu.be/Mxh2tfDtISs

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RIMSKY KORSAKOV : SADKO. Opera in seven scenes sung in Russian – Libretto Nikolai Rimsky-Korsakov
With the assistance of Vladimir Belsky
Based on Russian Bylinas

Sadko, Nazhmiddin Mavlyanov
Volkhova, Aida Garifullina
Lubava Buslaevna, Ekaterina Semenchuk
Nezhata, Yuri Minenko
Ocean-Sea, The Sea Tsar, Stanislav Trofimov
Whistle, Mikhail Petrenko
Fife, Maxim Paster
Varangian Merchant, Dmitry Ulianov
Indian Merchant, Alexey Nekludov
Venetian Merchant, Andrey Zhilikhovsky…

State Academic Bolshoi Theatre Of Russia Orchestra And Chorus
Chorus master, Valery Borisov
Conductor / direction : Timur Zangiev
Stage direction and sets / mise en scène : Dmitri Tcherniakov
2 DVD (3h06mn) – BLU RAY : 20,34 euros / 22, 34 euros (prix indicatif)
PLUS D’INFOS sur le site de Bel AIR CLASSIQUES
https://belairclassiques.com/catalogue/rimsky-korsakov-sadko-dmitri-tcherniakov-bolchoi-aida-garifullina-ekaterina-semenchuk-dvd-blu-ray

La Clémence de Titus de MOZART à Nantes et à Angers

MOZART wolfgang vienne 1780 1790 classiquenews 1138381-portrait-wolfgang-amadeus-mozartNANTES, ANGERS : MOZART : Clémence de Titus 12 déc 21 – 18 janv 22. Après Lucio Silla, Mitridate, Idomeneo… le dernier Mozart aborde en cette année 1791 (qui est aussi la dernière de sa vie), l’opera seria, défi dramaturgique en langue italienne ayant ses règles. L’ouvrage (créé le 6 septembre 1791) répond à la commande de la Cour des Habsbourg, pour célébrer le couronnement de l’empereur Leopold II, comme roi de Bohème. Il fait encore évoluer son écriture pour plus de vertiges orchestraux et une dramaturgie serrée, contrastée, d’une rare violence intérieure. En cela annoncée par la Symphonie K550 n°40 en sol mineur… sorte de tempête émotionnelle d’une acuité sensible jamais écoutée auparavant. S’il fallait démontrer le romantisme du « classique » Mozart, la seule audition de l’ouverture de Titus, puis l’un des airs les plus bouleversants, celui de Vitellia (Non più fiori…), enfin la dite Symphonie en sol mineur précédente, suffirait à dévoiler le Mozart inquiet, exalté, tendre et d’une profondeur irrésistible.
On peut même affirmer qu’avec La Flûte enchantée écrite la même année et dans le genre du singspiel (totalement chanté, et parlé en allemand), La Clémence de Titus marque un point d’aboutissement esthétique. Désir de vengeance, fidélité, honneur, amour, dépit…tout s’enchaîne ainsi mais au paroxysme des passions répond aussi la faculté des êtres à se métamorphoser ; ainsi Vitellia qui au début haineuse et revancharde à l’endroit de Titus, n’aspire qu’à la paix finale, prenant conscience du mal qu’elle a commis… L’état d’urgence est politique, social, amoureux, mais il est d’abord intensément psychologique et évidemment musical.

 

titus-mozart-angers-nantes-opera-rophe-mamelli-opera-annonce-classiquenewsAinsi La Clémence de Titus au verbe ciselé (sobriété expressive des recitatifs dont la coupe et la vérité valent Racine), porté par un orchestre incandescent (l’incendie du Capitole) est une partition bouleversante. L’empereur Titus fait l’expérience amère de la trahison et de la solitude, mais sait pardonner à tous ceux qui l’ont trahi ; sa clémence devient l’emblème du politique vertueux. Le cÅ“ur de Vitelia incarne la haine changée en amour.. un miracle émotionnel dont seul l’opéra sait nous exprimer la sincérité. Pilier de l’agitation émotionnelle qui foudroie chaque protagoniste, la figure du politique éclairé, Titus, dont la confiance intime ne varie pas. Sa clémence égale sa constance.

 

 

 

NANTES, THÉÂTRE GRASLIN
DÉCEMBRE 2021
Vendredi 10 – 20h
Dimanche 12 – 16h
Mardi 14 – 20h
Jeudi 16 - 20h
Samedi 18 – 18h

 

 

ANGERS, GRAND THÉÂTRE
JANVIER 2022
Dimanche 16 – 16h
Mardi 18 – 20h

 

En italien, avec surtitres français
Durée : 2h30

RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site d’ANGERS NANTES OPERA
https://www.angers-nantes-opera.com/la-programmation-2022/la-clemence-de-titus

 

 

 

CONSULTER aussi notre dossier spécial La Clémence de Titus de Mozart : un seria plus romantique que classique :
http://www.classiquenews.com/tag/la-clemence-de-titus/

 

 

 

 

CD événement. Leipzig 1723 / Capricornus Consort Basel (1 cd Accent 2020)

accent leipzig 1723 stefan temmingh flute critique cd review classiquenewsCD événement. Leipzig 1723 / Capricornus Consort Basel (1 cd Accent 2020). Flûtiste virtuose, Stefan Temmingh rend hommage au feu ardent d’un Jean-Sebastien Bach d’une absolue plénitude, celui de son Concerto BWV 1057 pour 2 flûtes. Autour de cette Å“uvre clé, le flûtiste échafaude un programme d’une cohérence manifeste, révélatrice du bouillonnement des tempéraments germaniques au début des années 1720… A la grâce lumineuse de ce portique rayonnant d’équilibre et de noblesse, le flûtiste associe en un dialogue fécond, les Å“uvres de Graupner (maître des opéras italiens à Darmstadt), Fasch (élève du premier et bientôt maître de chapelle à Zerbst) et surtout Telemann, véritable génie équivalent en réalité à celui de JS BACH, et qui profite de ce jeu de correspondances et de filiations… le choix des deux partitions du génie de Hambourg s’avère des plus éloquents : le Concerto TWV 51:C1 (sublime « tempo di minue » final), surtout le Quatuor TWV 43:g4 et son 3è et dernier mouvement – « allegro », dont le jeu rythmique contrasté qui « oppose » et fait dialoguer cordes et flûte, se révèle ici …jubilatoire. Telemann devait diriger la musique à Lepizig mais c’est finalement JS Bach qui prit ses fonctions comme director musices le 1er juin 1723. Les instrumentistes CLIC D'OR macaron 200(Capricornus Consort) se délectent visiblement à caractériser chacune des séquences : le jeu est brillant et nuancé. La vitalité du geste exploite à propos toutes les nuances agogiques de chaque écriture ; restituant dans ce jeu brillant, la sincérité et la finesse, requises. D’une belle vivacité, l’approche éclaire la diversité des tempéraments qui ont lien, direct ou indirect, avec la nomination de JS Bach à Leipzig en 1723. Du baroque aussi pertinent que cela, on en redemande. CLIC de CLASSIQUENEWS d’octobre 2021.

CRITIQUE, opéra. SALZBOURG, le 7 août 2021. MOZART : Don Giovanni. Spyres, Pavlova … Currentzis / Castellucci.

CRITIQUE, opéra. SALZBOURG, le 7 août 2021. MOZART : Don Giovanni. Spyres, Pavolova … Currentzis / Castellucci. Au démarrage du spectacle, Don Giovanni aurait applaudi à cette destitution d’une église baroque dont les ouvriers retirent tout l’apparat liturgique : autel, objets du culte, tableaux sacrés, bancs, crucifix… Profanisation en règle digne des éclats séditieux du libertaire chevalier. Evidemment il faut s’infliger cette séquence de pur théâtre, sans musique ; puis, face au vide criant, peut retentir l’ouverture, fracassante, sculptée à vif dans un marbre des plus tragiques et serpentins, finement ciselé par un Teodor Currentzis connecté avec les vertiges métaphysiques de la musique conçue par Wolfgang. La terribilità active resplendit, crépite (au sens strict quand surgit un petit rideau de flammèches, puis une femme nue, éperdue, affolée, enfin Giovanni soi-même, marteau en mains, tout de blanc vêtu… qui aime marquer son territoire et creuser la pierre…). Ainsi tout est annoncé : au geste musical, contrasté, acéré et incroyablement dramatique du chef grec Teodor Currentzis, répond empêtré dans un imaginaire visuel confus, la « mise en scène » d’un Castellucci qui s’ingénie à rendre opaque une action qui ne l’’est pas.

Dans la fosse, le pianoforte se distingue dans un continuo exalté, qui raconte, s’affole, murmure, rugit ; les instrumentistes de MusicaEterna, articulent et énergisent eux aussi la subtile vitalité des instruments d’époque avec une verve et un relief, à la fois nerveux et expressif. La musique éperdue, s’exalte, exulte ; elle semble dès le début s’essouffler comme si elle était au bout d’une ère ; de fait, les frasques de Don Giovanni finissent par le rattraper dans cette mise en scène abrupte, mordante, aux forts contrastes, … avec, côté scénique, effets qui surenchissent une musique qui n’en a guère besoin (rafales de tirs « inaugurant » le premier air, celui de Leporello ; déflagration due à la chute de ballons de baskets qui tombent en pluie…). Le blanc et noir cite clairement le film de Losey, avec une suractivité sur les planches, celle des protagonistes, celle des acteurs en second plan (acrobates jongleurs, véritables statues vivantes)… on interroge encore le sens de toutes ces images, parfois belles, toujours déconcertantes au moment du drame musical, comme à l’habitude, de la part de Castellucci, mais tristement hors sujet, hors musique, décalées, non connectées avec la musique.

 

 

 

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D’autant que les changements de tableaux créent des « vides » dans l’action qui nuisent à l’écoulement organique du dramma giocoso conçu par Mozart et son librettiste Da Ponte. Là un piano tombe des cintres désaccordé (après le premier duo Anna / Ottavio), quand Don Giovanni joue avec des ballons de basket ; puis paraît une toile immense trouée d’où sortent bras et jambe de femme associés au lapin de Dürer… avant le premier air d’Elvira laquelle chante la déloyauté dont elle est victime, aux côtés d’une femme enceinte dénudée qui serait son allégorie… avant que l’enfant né de leur commerce ne pourchasse le père indigne… plus tard, l’air du catalogue de Leporello se décline avec photocopieur, évocation parlante d’un acte répété à l’infini… triste sexe, réduit à une mécanique qui tourne à vide.
Plus ridicules ou déconcertants, cet Ottavio (Michael Spyres) frigide, froid, déguisé en chasseur norvégien avec skis et caniche (blanc évidemment) et qui coure en fond de scène quand Anna lui raconte la scène initiale qui ouvre l’opéra ; Donna Anna justement (remarquable et subtile Nadezhda Pavlova) en sorcière noire coiffée comme une prêtresse tragique, fellinienne, des années 60 (quand elle raconte son viol par Giovanni) ; puis le fantôme du père (de Anna) se battant avec sa béquille contre Giovanni… On apprécie ainsi ce festival de la déglingue tout au long du spectacle (avec un sommet encombré à la fin du I : une brocante d’accessoires, un amoncellement inouï paraît sur les planches).
Avec plus ou moins de plaisir car plusieurs séquences de mise en place avec impro du pianoforte (excellent comme dans la version cd édité par Sony – CLIC de CLASSIQUENEWS) d’une longueur affligeante, imposent dans le déroulement des airs, un fatras d’images et d’objets en tout genre (et de figurants !… jusqu’à 150 femmes en sous-vêtements au  II pour évoquer les victimes du Chevalier ainsi que Loperello les énumère dans l’air du catalogue)… qui nuisent à la perception dramatique des airs (Della sua Pace d’un Ottavio terrassé, tendre : remarquable Michael Spyres qui peut être aussi enivré que le meilleur Juan Diego Flores mozartien !)

 

 

 

Salzbourg 2021 :
Expressionniste et vif argent,
le Don Giovanni de Currentzis crépite, exulte sur la scène salzbourgeoise

 

 

 

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Nadezhda Pavlova (Donna Anna, ardente, tragique)

 

 

Tout cependant n’est pas à jeter… Il n’est guère que pour l’air du champagne du Chevalier que le metteur en scène trouve une idée juste : éclairer par intermittence les instrumentistes en fosse, sans rien sur la scène que le vide noir, afin de découper la silhouette blanche du séducteur déloyal, alors ivre et conquérant… sans accessoires, la vision gagne en clarté.

 

 

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PAVLOVA, victime inconsolable… L’instant le plus émouvant et le plus onirique aussi reste le grand air de tendresse éperdue, de douleur imprécisée, portée par Pavlova / Donna Anna (recitativo et rondo : « Crudele? A no mio bene! »/ Cruelle, non mon amour !), exprimant sa fébrilité, reportant encore ses noces avec Ottavio car sa rencontre (certes forcée) avec Don Giovanni, après que ce dernier ait tué son père, et qui l’a probablement violée, la laisse exténuée, détruite : se remettra-t-elle d’ailleurs d’un tel trauma ? Nadezhda Pavlova est rayonnante vocalement, très juste, dans un air à la fois dramatique et intense, mais aussi coloratoure (qui annonce l’écriture des airs de la Reine de la nuit de La Flûte) ; elle en fait un hymne fraternel d’une bouleversante vérité que Castellucci nimbe dans un tableau féerique digne de la forêt enchantée du Falstaff de Verdi…

Reconnaissons aussi que toute la scène finale du I, le bal et la tentative de viol sur Zerlina est d’une rare justesse ; le chevalier massacre littéralement un mannequin féminin à coups de massue : image éloquente de son peu de considération pour les femmes, réduites à n’être que des objets de conquête et de manipulation machiste. Romeo Castellucci à rebours de nombre de visions précédentes, fait du Chevalier un être lascif jusqu’à l’extase, un cynique anti chrétien, déshumanisé, souvent franc, jamais obscène… qui se joue et exploite son rapport gémellaire avec Leporello, double insidieux dans l’accomplissement des forfaits les plus infects (quitte à devenir la première victime de son maître).

Néanmoins, l’imaginaire visuel de Castellucci est sans limite, suractif même : il finit par polluer la lisibilité de l’action du drame mozartien. Quel contresens malgré son esthétisme, que ce livre d’images, varié, contrasté, parfois délirant, disparate comme un formidable cabinet de curiosités. Les admirateurs de Castellucci soulignent eux les vertus d’une générosité analytique jusqu’à l’exubérance dont les mille images éclairent le génie mozartien, sa suractivité spectaculaire, son scintillement purement musical (dont la multiplicité pour sa part, – en est-il de même pour Castellucci ?-, ne sacrifie en rien la profonde cohérence du drame).

Musicalement, Teodor Currentzis s’en donne à cœur joie : variant lui aussi les instruments associés selon la situation ; la pimentant sans discontinuité avec une intelligence vivace évidente. On pense constamment à son prédécesseur, grand réalisateur de prodiges mozartiens ici même à Salzbourg, le regretté Nikolaus Harnoncourt !

 

 

 

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 Davide Luciano et Vito Priante (Don Giovanni / Leporello) cultivent le trouble gémellaire de leur duo démoniaque.

 

 

Le tourbillon philosophique se déverse à grands accents orchestraux, colorés, nerveux, incisifs. Vocalement, les moments les plus émouvants sont portés par Michael Spyres et Nadezhda Pavlova en Ottavio et Anna, deux victimes colatérales du Chevalier, allégorie du désir, dérangeant, séducteur jusqu’à l’obsession. Dans le rôle titre, Davide Luciano affirme une latinité érotique naturelle, puissamment virile (selon la vision « grecque » c’est à dire antichrétienne de Castellucci) quand Vito Priante apporte à Leporello, la couleur spécifique de son identité napolitaine, celle d’un séducteur aussi amoral que son maître, prêt à tout, sans scrupule et pourtant constamment élégant. Le valet est à bonne école (surtout dans le déroulement du II). Plus tard, il deviendrait ici pire que son modèle.
Avec la direction expressionniste et juste de Currentzis, les deux duos (Anna / Ottavio – Don Giovanni / Leporello) fonctionnent à merveille et sauvent le spectacle du naufrage visuel souvent outrancier… qui est quand même, le talon d’Achille de Castellucci.

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 A VOIR / A REVOIR en REPLAY sur le site ARTEconcert, jusqu’au 5 nov 2021 : https://www.arte.tv/fr/videos/104634-001-A/don-giovanni-festival-de-salzbourg-2021/

 

 

 

 

 

CD critique. STRAUSS, FRANCK : Sonates. Brieuc Vourch (violon), Guillaume Vincent (piano) – 1 cd Farao (Wuppertal, nov 2020)

richard strauss cesar franck brieuc vourch sonates cd farao critique review cd classiquenews clic de classiquenewsCD critique. STRAUSS, FRANCK : Sonates. Brieuc Vourch (violon), Guillaume Vincent (piano) – 1 cd Farao (Wuppertal, nov 2020). Fruit d’une évidente complicité artistique, le programme met en parallèle deux génies romantiques des plus passionnants, du XIXè (Franck) du XXè (Richard Strauss). La Sonate moins connue de Strauss s’inscrit dans la tradition la plus exaltante après Schumann et surtout Brahms. Le compositeur d’opéra, qui a su foudroyer l’audience autant par ses éclats orchestraux que sa splendeur chambriste (sextuor d’ouverture de Capriccio ; métamorphoses pour cordes seules…), éblouit ici par son sens des contrastes et de la tension. D’autant que le violon de Brieuc Vourch subjugue littéralement par son éloquence et son intériorité, son sens de la ligne et de l’atténuation suggestive. Le travail de l’instrumentiste s’inscrit dans un réalisme psychologique ciselé, dont la brillance recherche toujours l’intimité poétique, le scintillement intime d’une sensibilité souveraine, à la fois extravertie et subtilement caractérisée. La virtuosité se situe dans la finesse et l’intelligence agogique. Le pianiste suit son partenaire sur le plan du dialogue, d’une conversation à la fois raffinée et ardente.

La Sonate de Strauss opus 18 (1888) marque la maturité du symphoniste de 24 ans, capable de produire ses premiers accomplissements personnels (Aus Italien, Macbeth). La grande culture du compositeur est déjà celle d’un maître qui analyse, interroge la forme dans le sens du drame, de la concision expressive. Les 3 mouvements se ressentent du contexte orchestral évoqué ; on relève ici l’ampleur des respirations, la souplesse et l’étendue comme la profondeur du geste violonistique capable d’irisations psychologiques qui regardent certes vers Brahms (premier Allegro) ; mais aussi le Schubert d’Erlköning associé au Beethoven de la Pathétique (Andante Cantabile) ; Brieuc Vourch sait exprimer tout ce qu’a de sombre et de passionné le dernier Allegro, chant de l’âme la plus sensible, auquel le piano apporte l’enveloppe épique d’un souffle orchestral, y compris dans le finale inondé de joie conquérante.
Deux ans avant Strauss, Franck (44 ans) achève la composition de sa propre Sonate (1886) ; après celle de Saint-Saëns (1872), la Sonate en la majeur marque un point d’accomplissement inégalé par la sincérité de son inspiration et l’exigence de sa forme, d’une unité absolue grâce au principe cyclique : le thème principal se retrouvant dans chaque mouvement, ainsi relié chacun aux autres : les interprètes en restituent l’allusive cohérence interne, ciselant chaque mesure comme les termes d’une conversation décisive pour chaque membre conversant. Ils en soulignent subtilement le sens psychologique, selon des humeurs d’une permanente versatilité : l’activité du premier Allegro (ben moderato) qui berce et enchante progressivement à mesure qu’il se développe jusqu’à sa fin ; l’inquiétude sourde énoncée à demi mots de l’Allegro qui suit ; l’absolue poésie, en réalité inqualifiable, du 3è mouvement noté « recitative fantasia » où ni le violon ni le piano, pourtant fusionnels, ne résolvent le climat interrogatif qui les porte tous deux ; l’équilibre du rondeau final (Allegro poco mosso) qui, tout en récapitulant tout ce qui a précédé, ouvre de nouveaux champs expressifs laissant au violon, un tremplin particulièrement brillant.
CLIC D'OR macaron 200Jamais uniforme ni démonstratif, le violon somptueux de Brieuc Vourch (argument baroque de premier plan : Francesco Ruggeri, 1690), séduit, enchante, et captive même par sa vibration sincère et viscéralement intime. L’élève de Perlman à New York, se montre fidèle à son maître : sur le souffle, d’une profonde élégance, jamais creuse, toujours juste, d’une vitalité arachnénenne. Remarquable récital.

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CD événement, critique. Richard Strauss (1864–1949), César Franck (1822–1890) : Sonates pour violon et piano (Brieuc Vourch, Vincent Guillaume) – 1 cd Farao – Wuppertal, nov 2020 – CLIC de classiquenews été 2021.

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TEASER VIDEO :

 

 

 

 

LIRE aussi notre entretien avec Brieuc Vourch à propos du cd R STRAUSS / C Franck (1 cd Farao)  – Propos recueillis en juillet 2021.

Le violon enchanteur de Brieuc VourchENTRETIEN avec BRIEUC VOURCH. Jouer Richard STRAUSS et César FRANCK. Elève de Perlman à la Juilliard School of New York, le violoniste français (qui vit à Hamburg), Brieuc Vourch marque les esprits dans son dernier album discographique, paru en juillet 2021, associant deux pointures romantiques : R. Strauss et César Franck. Leur Sonates pour violon et piano révèlent le fort tempérament de chaque compositeur ; c’est une confrontation riche en enseignements et qui conduit l’interprète à un engagement superlatif, doué d’un son comme d’une articulation, d’une rare poésie suggestive. Avec le pianiste Guillaume Vincent, Brieuc Vourch joue en architecte, caractérisant chaque partition en en proposant une cohérence organique, une progression rythmique très convaincantes. Entretien exclusif avec Brieuc Vourch pour classiquenews.com / Photos : © Andrej Grilc.

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CD critique. SAINT-SAËNS : Romances, Concerto, La muse et le poète : G. Laurenceau, violon – 1 cd Naïve

Saint-Saens gen laurenceau cd naive romances, violon clic de clssiquenewsCD critique. Saint-Saëns : Romances, Concerto, La muse et le poète (G. Laurenceau, violon) – 1 cd Naïve – Ce qui importe ici c’est de souligner l’humanisme et la chaleur d’un cÅ“ur romantique, ardent, élégantissime : celui de Camille Saint-Saëns. En rien conservateur ni « froidement classique », mais une sensibilité dont la finesse et la sensibilité savent enrichir une puissante virtuosité, juste et sincère, lumineuse, profonde. Dans le choix des Å“uvres, se dévoile aussi la longévité éclatante de Saint-Saëns, de 1850 à 1910 qui fait le pont entre Berlioz et Ravel. Le propre des deux premières Å“uvres est de débuter dans le centre d’un drame expressif et pudique à la fois, franchement, directement (1ère Romance de l’album opus 48, puis Andante expressivo du Concerto pour violon opus 20. Si l’on parle bien de vocalité, Saint-Saëns ne s’embarasse pas de préambule ni de présentation mais immerge l’auditeur dans le cÅ“ur de l’histoire, … soit l’intensité d’une conversation virtuose, d’une exquise émotivité et d’une rare volupté (effusion pudique de la Romance opus 37). En comparaison, le Caprice opus 52 d’Ysaÿe malgré la délicatesse énoncée de la violoniste Genneviève Lorenceau paraît trop démonstratif, un rien en recherche d’effet au sacrifice de la sincérité mesurée et pudique, ici essentielle. Comme d’un bel canto qui s’enivre de lui-même et finit par pêcher par vanité narcissique.
Par contre la sensibilité de la harpiste (Pauline Hass dans la Fantaisie pour harpe et violon opus 124, créé en 1907 par les soeurs Eissler à Londres, d’esprit… ravélien) fait surgir cette élégance de ton propre à Saint-Saëns, comme s’il était poète du surgissement d’un rêve dont le dialogue harpe et violon exprime la matière là aussi infiniment subtile, quasi évanescente, entre volupté et pudeur. Du pur Saint-Saëns, grand connaisseur des maîtres anciens ; la séquence finale semble renouveler la basse obstinée baroque en référence à la tarentelle : l’engagement de la violoniste là encore est total et toujours sur le fil du souffle, proche d’une vocalité qui sait nuancer et jamais s’épancher (a contrario d’Ysaÿe) : éperdue, suggestive, d’une délicatesse arachnéenne ; voici 13 mn de pur bonheur musical. Autre sommet de l’inspiration poétique de Saint-Saëns, La muse et le poète pour violoncelle et violon, opus 132 (1910, écrit pour Eugène Ysaÿe) concilie CLIC D'OR macaron 200profondeur et délicatesse, en un dialogue véritable entre la gravité du violoncelle (Yann Levionnois) et le violon, tout d’incandescence directe. Réserve pour l’orchestre qui peine parfois, sans pudeur, au risque d’une certaine brutalité. Le geste de la violoniste séduit incontestablement apportant crédit et valeur à ce programme qui célèbre le génie de Saint-Saëns comme peu et à travers le violon, la voix la plus féminine de l’orchestre (dixit Berlioz) : l’élégance de la virtuosité sert au mieux l’art du compositeur justement célébré en 2021 pour le centenaire de sa disparition (1921) - CLIC de CLASSIQUENEWS été 2021.

CD critique. SAINT-SAËNS : Romances, Concerto, La muse et le poète (Genneviève Laurenceau, violon – Orchestre de Picardie / Benjamin Lévy, direction) – 1 cd Naïve – enregistrement rélaisé en 2020 et 2021.

CRITIQUE, live streaming concert. LEIPZIG, BACHFEST, Gewandhaus, großer Saal, le 14 juin 2021. JS BACH : Passion selon Saint-Matthieu. Ton Koopman.

CRITIQUE, live streaming concert. LEIPZIG, BACHFEST, Gewandhaus, großer Saal, le 14 juin 2021. JS BACH : Passion selon Saint-Matthieu. Ton Koopman. Après une somptueuse entrée en matière, dont le détail jamais ne sombre sous la grandeur, Ton Koopman inscrit la Passion dans l’intimité et une progression toute en douceur. La gravité tragique des dernières heures de la vie de Jésus est évoquée, présente par le chant très expressif du contre ténor Maarten Engeltjes ; puis c’est la soprano (Ilse Eerens) au timbre claire, émerveillé qui touche immédiatement ; son air « Blute nur, du liebes Herz!” : affirme la détermination de la prière implorante et d’une douceur incandescente. La sobriété du chant sert le texte.

 

 

 

Ton Koopman joue JS Bach à Leipzig

UNE SAINT-MATTHIEU INTIME, BOULEVERSANTE

 

 

 

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Les portent tous deux, la direction ténue, à la limite de la confession, pudeur continue, d’une tendresse qui bouleverse. Le sens du détail de chaque timbre (jusqu’à la flûte solo avec le trompette… ou le hautbois magicien de «Ich will bei meinem Jesu wachen » qui fusionne ténor et choeur angélique, compassionnel) jaillit comme un éclat d’une poésie rare.
En Jésus, la basse Andreas Wolf se révèle elle aussi, jubilatoire : naturel et grave, diseur racé épatant. L’évangéliste de Tilman Lichdi sculpte le verbe agissant, d’une vivacité qui prend à témoin, interroge : acteur autant que diseur : imaginatif, astucieux sans être artificiel ni outrageusement théâtral, … parfait de bout en bout. Les Chorals ont tous une rondeur caressante ; qui rend la partition si fraternelle, proche et intime.
C’est donc une version de haut vol. Où cependant le ténor chargé des arias paraît moins naturel que ses partenaires, ses aigus tendus, chantournés, d’une émission indirecte et négociée ; mais ses aspérités vocales expriment aussi les incertitudes parfois paniques du fervent qui doute, écarté de la vision de Jésus compatissant et protecteur… Le choeur lui exulte dans une tendresse hallucinée ou rugit en un feu dardant, volcan choral aux accents telluriques ; tant de contrastes vertigineux à l’extrémité du spectre expressif s’avèrent fulgurants dans leur maîtrise.

A 20h, reprise pour la 2è partie du cycle de la Passion. La Sinfonia d’ouverture, d’une superbe articulation, avec l’alto qui exprime le doute, interroge le sens de la foi, en pleine crise spirituelle. Déploratif et juste, et capable d’un legato qui paraît illimité, l’alto masculin éblouit décidément par sa sensibilité hautement musicale que porte aussi le violon solo.

Puis autre facette du croyant démuni qui se livre quasi à nu, en compassion avec Jésus, la soprano touche tout autant, avec le trio instrumental, d’une ineffable douleur tendre (traverso, hautbois da caccia, hautbois d’amour : « Aus Liebe”) ; le chant exprime le dénuement humain total grâce au timbre angélique idéalement candide de la soprano.

L’ultime prière « Mache dich, mein Herze, rein », air de basse sur un continuo simple et dépouillé (l’indice d’une gravité essentielle qui fait de l’air un air axial dans la déroulement de la Saint-Mathieu, véritable opéra sacré) confirme le talent de la basse Klaus Mertens, sobre, naturellement articulé, qui appelle à la réconciliation, au pardon, à la paix générale.

 

 

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Enfin le final d’une absolue paix intérieure s’énonce comme le retrait des eaux – un effacement progressif et général, comme le déroulement à la fois synthétique et rétrospectif de tout ce qui a été énoncé, éprouvé, vécu aux côtés de Jésus, de la Cène à la Crucifixion: a contrario du supplice tragique, c’est une fin des plus apaisée ; la résolution rassérénée, inscrite dans la sérénité et l’effacement de toute peine, un miracle d’apaisement fraternel et collectif. Là encore c’est la profonde atténuation, le sens du murmure intime, ce geste de l’intériorité qui font la valeur de la lecture offerte par Ton Koopman. Qu’on est loin des démonstrations vocalisantes et orchestrales de ses confrères plus jeunes. Le chef néerlandais rétablit l’essence de la Saint-Mathieu, moins ample portique majestueux qu’acte de communion partagée. La réalisation est bouleversante par son humanité et sa pudeur sincère. Elle suscite chez l’auditeur le questionnement, confronté à la mort et au Sacrifice, plongeant dans le grand mystère de Jésus, sa nature à la fois divine et humaine. Voici assurément l’un des instants les plus saisissants réalisés dans le cadre des streamings du BACHFEST LEPIZIG 2021.

 

 

 

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CRITIQUE, live streaming concert. BACHFEST Leipzig, Gewandhaus, großer Saal, le 14 juin 2021. JS BACH : Passion selon Saint-Matthieu. Ton Koopman. Tilman Lichdi (tenor – Evangelist), Andreas Wolf (bass – Jesus), Ilse Eerens (soprano), Maarten Engeltjes (altus), Nils Giebelhausen (tenor – arias), Klaus Mertens (bass – arias), GewandhausKinderchor, Amsterdam Baroque Orchestra & Choir / direction: Ton Koopman. Photos : Ton Koopman, Ilse Eerens, Andreas Wolf (DR).

 

 

  

 

CRITIQUE, concert. LIVE STREAMING, BACH Fest Leipzig, le 12 juin : JS BACH : Oratorio de Noël. Gotthold Schwarz

BACH FEST LEIPZIGCRITIQUE, LIVE STREAMING, BACH Fest Leipzig, le 12 juin : JS BACH : Oratorio de Noël. Gotthold Schwarz. Sous l’immense nef de Saint Thomas, plus grande et impressionnante encore que l’intimiste Saint Nicolas, mais dans le petit choeur et non à la tribune haute, les musiciens entonnent la célébration de Jésus qui vient de naître, telle que l’a imaginée JS Bach : tendre là encore, et d’une douceur inénarrable, que cultivent tout au long des 6 cantates ou 6 parties, les fameux hautbois (d’amour et da caccia) très sollicités en soutien des chanteurs. Leur couleur enveloppe l’opéra sacré de Bach d’un nimbe bouleversant ; à travers les évangiles de Saint-Luc et de Saint-Matthieu (dont les extraits sont cités par l’évangéliste, qui ne chante pas d’air), c’est d’abord le miracle de la naissance, la candeur admirable de l’Enfant qui sont célébrées ; puis l’espoir et la croyance lumineuse et victorieuse que la Naissance fait naître dans le cœur du croyant. La direction de Gotthold Schwarz, Cantor de Saint-Thomas, est sérieuse, exigeante, soignant la mise en place. Il manque cependant cette électricité et cette urgence poétique que savait à l’époque de la révolution baroque, quand tout était réestimé, réévalué, insufflé le visionnaire Harnoncourt. Cependant l’exercice dévoile le niveau des jeunes chanteurs locaux(Thomanerchor Leipzig), tous très engagés, en particulier dans les « entrées et ouvertures » au contrepoint vertigineux.

Dans la 1ère partie, se distingue l’air avec les 2 hautbois, émerveillement instrumental, accompagnant le chant des enfants et de la basse qui affirme une assurance réjouie (Tobias Berndt est un excellent soliste à la voix claire, au texte intelligible, à la technique fluide, au chant jamais contraint), plus encore déployé dans l’air qui suit, avec trompette.

La 2ème partie marque les esprits par sa superbe sinfonia d’ouverture : page orchestrale et lever de rideau pour le tableau de l’adoration, célébration de l’enfance, de l’innocence où les traversos alternés avec les hautbois (4, d’amour et da caccia) disent ce recueillement suspendu face au miracle de la naissance de l’enfant et de l’espérance que l’événement suscite. Là encore, au niveau de son confrère, la superbe clarté chantante du ténor Martin Petzold pour son air avec traverso (« Frohe Hirten, eilt, ach eilet ») convainc de bout en bout.
Une pleine joie intérieure émane du non moins bouleversant air pour alto (« Schlafe, mein Liebster, genieße der Ruh’ » / Dors mon amour, profite de la paix… ) où s’écoule toute la tendresse d’une humanité saisie par le miracle du nouveau né (le traverso accompagne tout le long cet air de célébration admirative, et en échos les hautbois d’amour et da caccia) – Bach a exprimé l’admiration de Marie pour son enfant endormi. Dommage que le chant maîtrisé d’Elvira Bill, bien placé, reste lisse comme distancié.
Le Final (choral entonné par les enfants) souligne encore l’émerveillement pastoral pour l’enfant dont le sentiment de tendresse est à nouveau porté par les deux hautbois d’amour, emblèmes de cette communion miraculeuse autour de l’Enfant.

Gerlinde-Sämann----Tobias-Berndt-oratorio-de-noel-J.-S. Bach- Weihnachtsoratorium oratorio noel bachfest leipzig 2021 streaming review critique classiquenewsDramatique comme un opéra, la 3è partie affirme la vitalité de son entrée, avec trompettes et choeur (d’enfants) ; l’ouverture porte l’espoir des bergers qui marchent (et même s’empressent) à Bétléhem pour y admirer le nouveau né ; on admire le timbre noble et tendre de la basse qui avec la soprano (très musicale Gerlinde Sämann) entonne alors le plus duo de parents aimants que Bach a jamais composé (« Ich bin deine, du bist meine ») : aucun doute, Haydn s’en est inspiré pour le duo de sa Création (Adam / Eve) ; et Mozart dut l’avoir en tête en écrivant son duo de Papagena / Papageno pour La Flûte. La sûreté des deux solistes se révèle jubilatoire, communion de deux âmes admiratives et sincères. L’intelligibilité est totale, le sens du texte, nuancé ; une entente parfaite.

La seconde partie du streaming, débute avec la 4è partie, fête pour le 1er janvier. La séquence est riche d’espérance, célébrant en Jésus, le Sauveur et le guide protecteur. Le Choeur d’ouverture est plein de sérénité aux couleurs cynégétiques (cor naturel), annonçant l’avènement du Fils Rédempteur. Puis l’Arioso de la basse fait alliance avec « Mon Jésus » protecteur qui écarte toute inquiétude de la mort… ce que reprend l’air (central de cette Journée IV) de la soprano (excellente car sobre et claire Gerlinde Sämann) en dialogue avec le hautbois (délicieux effets d’échos) et le soliste du chœur d’enfants ; en un focus inouï, la ferveur devient individuelle et le texte comme la musique renforcent le lien entre Jésus et chaque croyant. Ce dialogue entre Dieu et le fidèle est au coeur de la nouvelle section : les nombreux « Ja / oui » repris par la voix et le hautbois soulignent la certitude du croyant, comme baigné par la tendresse infinie et caressante de Jésus. Même fusion entre croyant et Jésus, en un jeu de miroir, d’identité dédoublée, dans ce qu’exprime le sublime récitatif qui suit, associant la basse accompagné par l’orchestre et le choeur des garçons sopranos. Comme un chœur « céleste », les garçons accompagnent l’âme du fervent : la basse, décidément parfaite par sa justesse humaine et tendre).
BACHfest-leipzig-2021-Martin-Petzold-review-critique-opera-classiquenews-oratorio-noel-js-BACHAvec 2 violons obligés, l’air du ténor célèbre l’humanisme du Sauveur (« Ich will nur dir zu Ehren leben / Je veux vivre pour ta seule gloire ») : ardente, tendue, à la fois martiale et dansante même, la volonté du croyant est débordante d’une sincérité qui s’exalte au contact des deux cordes. Martin Petzold, a la détermination de celui qui pense exactement ce qu’il dit : le chant se fait prédication et témoignage. La fusion spirituelle des trois solistes, violons I, II et ténor est un autre moment bouleversant.

Comme le début de la IIIè exprimait l’exaltation des bergers marchant vers Béthléem, le portique d’ouverture de la Vè partie (pour le dimanche après le 1er janvier), atteste de l’impatience presque frénétique des rois mages venus honorés l’Enfant. Les instrumentistes de l’Akademie für Alte Musik Berlin expriment cette exaltation qui devient précipitation… socle à une cathédrale sonore vertigineuse qui exige de tous les pupitres choraux. En cela les garçons, sopranos, altos, ténors et basses, relèvent les défis d’un massif contrapuntique parmi les plus impressionnants de Bach. Point d’orgue de la séquence, le trio sop / alto / ténor, parfaitement bien caractérisé (avec violon solo obligé) : « Ach, wenn wird die Zeit erscheinen? / Ah quand viendra-t-il ce jour tant attendu ? », exprime le feu, la fièvre des croyants, qui s’exaspèrent dans l’attente de l’avènement du royaume de Jésus. Les 3 interprètes offrent une leçon de ligne vocale d’une sûreté absolue, où le chant se fait certitude.

Dans la dernière séquence (6è partie), l’oratorio dévoile et souligne l’autorité de Jésus, sa nature divine, telle que le proclament (après le superbe choeur introductif avec les trompettes), d’abord la soprano (air « Nur ein wink von seinem händen / D’un seul signe de sa main ») ; puis le ténor, fier et heureux, presque martial, dont l’air « Nun mögt ihr stolzen feinde schrekken / Durs ennemis essayer de me terroriser » confirme qu’il sera invincible, protégé par le Sauveur. En dévoilant l’essence divine de Jésus, la musique souligne son caractère protecteur. Le choral final complète ce tableau des délices en annonçant une nouvelle ère pour l’humanité. On souscrit totalement à l’exaltation finale portée par l’engagement de tous les musiciens.

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CRITIQUE, LIVE STREAMING, BACH fest, LEIPZIG. Sam 12 juin 2021 / 18h puis 20h30. Leipzig, Thomaskirche : J. S. Bach: Weihnachtsoratorium, BWV 248 (I–III) puis (IV-VI) – Gerlinde Sämann (Soprano), Elvira Bill (Alto), Tobias Hunger (Ténor – Evangeliste), Martin Petzold (Ténor – Arien), Tobias Berndt (Basse), Thomanerchor Leipzig, Akademie für Alte Musik Berlin – Direction : Thomaskantor / Gotthold Schwarz.