Compte rendu concert. Paris, Philharmonie, le 22 septembre 2017. Sir Simon Rattle, London Symphony Orchestra, Stravinski. AprĂšs ses derniers concerts le mois dernier Ă la Philharmonie de Paris avec les Berliner Philharmoniker, Simon Rattle revient Ă la tĂȘte du LSO dont il prend officiellement la direction. Pour marquer le coup, un programme ambitieux et inĂ©dit, rien de moins que les trois plus grands ballets de Stravinski : LâOiseau de de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps.
Câest sur le grondement inquiĂ©tant des violoncelles et contrebasses en pianissimo que sâouvre LâOiseau de feu. AprĂšs cette mystĂ©rieuse introduction, lâorchestre sâĂ©veille progressivement et dissipe la sombre menace pour laisser place Ă une peinture féérique du Jardin enchantĂ© de Katschei. DĂšs les premiĂšres notes, la technicitĂ© des musiciens est indĂ©niable. Pourtant, il faut quelques temps Ă Simon Rattle pour nous plonger avec le Prince Ivan dans la poĂ©sie du conte russe : aprĂšs les premiers frissons, une certaine longueur sâinstalle. La poursuite et la capture de lâOiseau de feu sont trĂšs bien menĂ©es, tandis que la plainte de lâoiseau dĂ©voile les belles sonoritĂ©s de lâorchestre, mais le tout manque peut-ĂȘtre un peu de vie, « dâĂąme russe », et de nettetĂ© Ă©galement, car les musiciens ne sont pas toujours ensemble dans les dĂ©parts. Il faut vĂ©ritablement attendre lâapparition des princesses et notamment le Khorovode pour que la poĂ©sie sâinstalle dĂ©finitivement, portĂ©e par le thĂšme sublime du hautbois auquel rĂ©pond le lyrisme des cordes en sourdine. La sonoritĂ© de la trompette « en coulisse » nous extrait de cette torpeur langoureuse. Malicieux, Rattle sâamuse Ă se tourner vers le public et donner les dĂ©parts aux trois trompettes placĂ©es dans les hauteurs de la salle. La Danse infernale des sujets de Katschei, trĂšs bien exĂ©cutĂ©e, laisse Ă©clater toute la puissance de lâorchestre. Et dans la profonde obscuritĂ© suivant la mort de Katschei, les cordes tremolo pianissimo (et mĂȘme « flautando » d’aprĂšs la partition !) semblent venir dâun autre monde, trĂšs lointain, tant leur sonoritĂ© est diffuse et Ă©thĂ©rĂ©e. Enfin, tandis que les sortilĂšges disparaissent, les trois trompettes en coulisses rejoignent en hĂąte la scĂšne afin de participer Ă lâallĂ©gresse gĂ©nĂ©rale finale.
Peut-ĂȘtre le moins connu des trois ballets reprĂ©sentĂ©s ce soir, Petrouchka nâen est pas moins une partition originale pleine de surprises. En quatre tableaux, son orchestration colorĂ©e dĂ©crivant une foire en pleine effervescence nâa rien Ă envier Ă la féérie de LâOiseau de feu. Les thĂšmes sâenchaĂźnent et se superposent dans une cacophonie dĂ©libĂ©rĂ©e. Ă les voir jouer ensemble (et lĂ le terme « jouer » prend tout sons sens !), nul doute que les musiciens sâamusent Ă sâĂ©changer leurs rĂ©pliques comme les interjections dâun dialogue animé : lĂ la flĂ»te interpelant le spectateur qui passe, ici les clarinettes dĂ©clamant le motif dissonant emblĂ©matique de Petrouchka⊠La musique fuse de partout pour le plaisir des oreilles, tandis que les yeux sâattendraient presque Ă voir dĂ©ambuler un pantin sur la scĂšne. On regrette quelque peu que le timbre percussif du piano, lâune des grandes originalitĂ©s de ce ballet, ne ressorte pas plus lors des moments de tutti.
Les tableaux se succĂšdent, chacun apportant son lot de thĂšmes hauts en couleurs, mais le quatriĂšme est peut-ĂȘtre bien le plus riche et foisonnant, dĂ©roulant toute une galerie de personnages populaires. Et une fois encore, nous somme Ă©bahis face Ă la maĂźtrise des plans sonores : les battements pianissimo des trompettes, Ă peine palpables mais malgrĂ© tout dâune nettetĂ© remarquable, semblent presque surnaturels.
Enfin, pour clore ce programme, pas de surprise avec Le Sacre du Printemps : des tempos pertinents pour une interprĂ©tation efficace et rondement menĂ©e par Simon Rattle, oĂč chaque dĂ©tail de la partition est mis en valeur. La dynamique dans les grands moments de tutti (les Augures printaniers, la Danse sacraleâŠ) est extraordinaire et nous transporte dans toute la violence du rite paĂŻen Ă©voquĂ© par Stravinski.
EnchaĂźner ces trois ballets Ă©tait un dĂ©fi ambitieux que Simon Rattle et ses musiciens ont su relever avec panache. Un concert prometteur donc pour la nouvelle Ă©quipe officiellement formĂ©e par le chef britannique et le LSO. Ce programme nous aura Ă©galement permis dâapprĂ©cier toute lâingĂ©niositĂ© de Stravinski, capable de se renouveler sans cesse : en trois ans seulement, il passe de la féérie de LâOiseau de feu, encore emprunt des influences de son maĂźtre Rimski-Korsakov, Ă la sauvagerie scandaleuse (pour lâĂ©poque !) du Sacre du printemps. Entre les deux, un Petrouchka atypique, colorĂ© et foisonnant dâoriginalitĂ©s, mais dont les dissonances et les rythmes Ă contretemps laissent dĂ©jĂ prĂ©sager ce que sera le Sacre.
ââââââââââ
Compte rendu concert. Paris, Philharmonie de Paris grande salle Pierre Boulez, 22 septembre 2017. Sir Simon Rattle, London Symphony Orchestra, Stravinski (1882-1971)Â : LâOiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps.