samedi 20 avril 2024

Arianna Savall et Petter Udland Johansen, entretien à propos du cd Hirundo MarisPropos recueillis par Monique Parmentier

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Hirundo Maris

Arianna Savall et Petter Udland Johansen, entretien à propos du cd Hirundo Maris
Propos recueillis par Monique Parmentier

Bonjour Arianna, Bonjour Petter, nous sommes là pour avant tout parler de votre nouveau CD Hirundo Maris qui vient de sortir chez ECM, pouvez-vous nous en parler ?

Le projet chant du Nord et du Sud est né à travers l’idée du chant El mariner (le marinier). On y retrouve l’idée de cette fusion, de cette rencontre du Nord et du Sud que nous souhaitions évoquer. C’est une chanson catalane qui raconte l’histoire d’une jeune fille qui coud une robe pour la Reine et qui manquant de soie, aperçoit un navire dont débarque bientôt un marin, qui lui en propose. Il parvient à la faire monter à bord de son navire et l’enlève. Il lui apprend alors qu’il est le fils du roi d’Angleterre et qu’il la fera Reine. On retrouve la mélodie de cet air aussi bien en Catalogne, qu’en Ecosse. On ignore donc si elle du nord ou du sud, mais il est certain qu’elle a voyagé. On a donc imaginé un voyage musical à travers les mers qui lient l’Ecosse à la Catalogne, le Nord au Sud. On a d’ailleurs ainsi trouvé beaucoup d’autres connexions.

Arianna et Petter comment vos chemins se sont-ils croisés ?

Arianna : On s’est connu à Bale, à la Scola Cantorum, où nous avons tous deux étudié la musique ancienne, après avoir étudié la musique classique. On s’est spécialisé tous les deux dans le chant et pour ma part je me suis passionnée pour les harpes anciennes.
Petter : Je viens comme Arianna d’une famille de musiciens. Mon père était violoniste. J’ai donc suivi la même voie. Mais en plus du violon classique, j’ai appris le violon traditionnel norvégien, le violon hardanger, ainsi que le piano et le chant. On pratique beaucoup la musique en Norvège dans des rencontres familiales et amicales. J’ai tout de suite aimé la musique classique mais également les musiques pop et rock. J’ai joué dans différents groupes au piano.

Arianna : Lors d’une fête à la Scola Cantorum, Petter a chanté des chants norvégiens et j’ai été éblouie. Il y avait en particulier une chanson qui m’a rappelé une chanson catalane que ma mère me chantait. Dès ce moment-là, nous avons partagé un véritable intérêt pour les chansons traditionnelles. Car dans nos pays, elles sont d’une tradition très ancienne qui vient probablement de l’époque médiévale.

Avant de revenir au disque, pouvez-vous nous dire Arianna, pourquoi avoir choisi de jouer de la harpe ?

Grâce à ma mère. Elle était en train de préparer un disque magnifique autour de Giulo Caccini et j’avais 7/8 ans ; parmi les artistes qui participaient à cet enregistrement, il y avait une harpiste. Je crois que je suis tombée amoureuse de cet instrument dès que je l’ai entendu pour la première fois. Et le hasard a fait que ma voix et le son de la harpe se sont rejoints.
A l’époque, j’avais une professeur de piano très douce. J’ai commencé la harpe tout en poursuivant le piano. Si ce sont des instruments très différents ils se complètent. Ils ont le même système, clé de fa, clé de sol et le jeu des doigts est au fond pareil. J’aime beaucoup la harpe, et tout particulièrement la harpe triple. J’ai réalisé mes deux premiers disques Bella Terra et Peivoh avec cet instrument.

Pouvez-vous nous parler du répertoire de la chanson traditionnelle ?

Arianna et Petter : En Norvège, il y a une tradition très forte du chant pour les mariages et les anniversaires. On prend une mélodie que tout le monde connaît et l’on écrit un texte que l’on dédicace aux personnes que l’on fête. C’est une chose très typique et tout le monde participe. En général tout le monde connaît les textes d’origine et les reprend volontiers. En Scandinavie, la jeunesse perpétue encore cette tradition malgré la télévision.
Dans notre Cd vous entendez par exemple la chanson Bendik og Årolilja qui est la version norvégienne de Tristan et Isolde. Une légende médiévale qui a voyagé à travers toute l’Europe.


La musique que l’on entend dans le CD existe-t-elle dans tous les cas ou s’agit-il d’arrangements ou avez-vous réécrit certaines musiques ?

Arianna : Elle existe. Nous nous sommes basés sur des recueils. En Norvège, grâce à la tradition de chanter et de jouer qui est bien plus forte qu’en Espagne où elle a souffert de la guerre civile, on a beaucoup noté la musique. Et ce qui était à l’origine une tradition orale a perduré grâce au travail des musicologues. Ces derniers ont beaucoup voyagé dans les villages, les montagnes, des endroits loin des villes et ils ont enregistré et écrit tous les chants des paysans. Cela s’est d’ailleurs ainsi passé en Catalogne. La tradition de la transmission orale était en train de se perdre et les musicologues ont fait un travail important.
Pour les chansons que nous avons choisies, nous avons les sources et savons de quels villages elles viennent. Petter et moi aimons beaucoup créer et avons donc effectivement arrangées ces mélodies, mais en respectant le style ancien.


Petter, parlez-nous du violon norvégien et des choix des instruments pour le disque ?

Petter: Le Hardinfele, c’est un violon avec 8 cordes en boyaux qui a une sonorité très douce, un peu comme la viole d’amour. Il se marie très bien avec la voix et la harpe.
4 cordes sont acordées selon le ton de la pièce et 4 autres sont sympathiques, ce qui donne cette résonance si spéciale. Le Hardingfele est l’instrument national de la Norvège, et sa tradition vient de l’époque médiévale, mais elle se perpétue grâce à l’intérêt de la jeune génération pour la musique traditionnelle et la danse. Je joue également du cyster qui est comme une mandoline nordique, avec le dos plat, et avec 4 cordes doubles métalliques.

Arianna : La harpe triple qui est un instrument baroque typique, offre des possibilités modernes magnifiques, chromatiques, qui font qu’elle se mêle très bien avec le chant nordique et le violon, avec la voix ou les guitares acoustiques.

Petter : Dans le groupe, il y a deux musiciens qui jouent des instruments modernes. Miguel Angel Cordero joue de la contrebasse et Sveinung LilleHeier joue de la guitare acoustique et un dobro qui est une guitare plane avec des qualités très vocales.

Le choix de la guitare acoustique peut surprendre?
Petter : Ce n’est pas de la guitare électrique. C’est un instrument qui est très fréquent dans la musique folk. On la trouve fréquemment dans la musique irlandaise par exemple..

Arianna : Les cordes en sont métalliques, mais le public ignore que l’on trouve déjà au moyen-âge des instruments à cordes métalliques. Tels les luths, les cysters, les harpes médiévales celtiques comme le Clarsach, ou la guitare battente qui est une guitare baroque italienne magnifique. Elle est peut être l’ancêtre de la guitare acoustique.

Qui sont les musiciens qui vous accompagnent sur ce CD ?

Arianna : Nous les connaissons tous depuis longtemps : David Mayoral qui est un percussionniste m’a accompagné dans plusieurs projets dont mon CD Peivoh. On aime beaucoup son jeu. Il vient de la musique ancienne tout comme Pedro Estevan, mais qui fait aussi beaucoup de musiques traditionnelles et orientales. Il joue beaucoup avec mon père et l’Arpeggiata par exemple. Il est habitué à faire ce mélange des styles. C’est quelqu’un de très ouvert et créatif. Pour les autres, Sveinung Lilleheier est un ami de Petter. Ils travaillent ensemble depuis des années. Miguel Angel Cordero vient de Barcelone. On le connaît depuis 2009 et quand il joue la contrebasse, c’est comme s’il chantait, il a une expressivité douce très et rare. Pour faire de la musique ensemble, il nous semble très important de bien s’entendre.

Les pièces sont toutes d’un même recueil ? Comment les avez-vous regroupés ?

Arianna : Les chants norvégiens, comme Om Kvelden, Bendig og Arolilja viennent de différentes régions, comme Télémark . Ormen lange, est une danse, des îles Féroé, qui raconte l’histoire du bateaux de l’époque viking.
C’était à l’époque, les bateaux les plus grands et les plus rapides ! Et Hailing est également une danse qui vient de Télémark . Les chants séfarades viennent de la péninsule ibérique. Ce sont des chants en ladino, la langue des juifs espagnols. Pour les chants catalans, on ne sait pas toujours de quels villages ils proviennent, mais ils sont très connus. Pour El mariner, ma grand-mère me le chantait. C’est un chant très lent, une berceuse idéale pour endormir les enfants. El Mestre, reprend une très belle légende, et est aussi un chant de dialogue comme El Mariner. Enfin El noi de la Mare et Josep i Maria, sont des airs de noëls très populaires chez nous.


Le cd poursuit votre tradition familiale Arianna, c’est un message de paix, qui encourage la rencontre des différences ?

Arianna : Pour nous, c’est important de transmettre un message de dialogue, où le nord et le sud se retrouvent, chacun avec ses richesses, avec ses légendes et ses histoires. « Notre programme Chants du Sud et du Nord est un voyage qui met en connexion la Méditerranée et la Mer du Nord. À travers ces chants s’établissent de subtils ponts entre une chanson catalane et une mélodie norvégienne où se retrouvent des rythmes et des modes communs, ou entre une romance norvégienne et une chanson séfarade partageant une même tonalité, ou encore une romance catalane qui parle d’amour entre une jeune fille de la Méditerranée et un chevalier nordique.
Les nombreux voyages faits par les Vikings, les Catalans, les Ecossais et les Séfarades ont permis de créer ces invisibles ponts que la musique fait entendre et qui restent comme des témoignages de ce fil conducteur entre nord et sud. Il s’agit d’un programme où deux voix, un violon norvégien, des harpes, se mettent au service d’une poésie et d’une musique qui chantent l’amour et le mystère de la vie. Des chansons anciennes et actuelles se retrouvent aujourd’hui dans leurs traditions ancestrales racontant une histoire chantée et accompagnée à la harpe.

Certains vous reprochent au fond de copier ce qu’ont fait vos parents, qu’aimeriez-vous répondre à ceux qui vous en font le reproche ?

Arianna : Les personnes qui disent cela, ne me connaissent pas vraiment. Ils le disent par ignorance. Car c’est pour sortir du schéma parental que j’ai fait mon premier disque « Bella Terra », puis le second, Peiwoh.
Ce ne sont pas des CD de musique ancienne. J’y partage avec le public mes propres compositions, j’y fais mes propres propositions. Ce sont des choses que mes parents n’ont pas fait. Ils ne n’ont pas exploré cette direction. Ma mère aurait beaucoup aimé composer. Ma démarche m’a permis de me construire indépendamment de mes parents. Bien sûr, j’aime beaucoup la musique ancienne et je continuerais à en faire. Mais je n’ai jamais été une copie de ma mère ou de mon père. J’ai travaillé avec mes parents pendant 10 ans et j’ai beaucoup aimé le faire et beaucoup appris à leurs côtés. Je serais toujours la fille de Jordi Savall et Montserrat Figueras et j’en suis très fière et si contente plus encore. Je leur garderais toujours une sincère reconnaissance pour tout ce que j’ai appris d’eux et cela m’accompagnera toute ma vie. J’aurais beaucoup aimé continuer à apprendre de ma mère. Ce que malheureusement sa disparition ne m’aura pas permis. Mais je n’ai jamais voulu être sa copie, et c’est donc pour cela que j’ai composé et aussi fait de la musique contemporaine. J’ai travaillé avec Conrad Steinmann qui a fait un travail remarquable sur les chants de Sapho. Il s’agissait d’un travail de reconstruction sur la musique ancienne grecque.
Mais j’ai aussi travaillé avec Arvo Pärt, Helena Tulve et Kaija Saariaho. Mes parents ont toujours soutenu mes projets ainsi que ceux de mon frère.
Mais mon amour pour la musique ancienne est bien là, et je vais aussi continuer à travailler dans cette direction, qui me tient a cœur ! Et la fusion, entre musiques modernes-anciennes, est un chemin aussi que j’aime beaucoup, et qui ouvre de nombreuses possibilités créatives.


Petter, vous composez également, quelles sont vos sources de composition, comment travaillez-vous ?

Petter : Lorsque je compose, je m’isole. C’est une discipline et non une inspiration. Je m’inspire beaucoup du texte. Lorsqu’on me fait une commande avec un esprit de Noël ou un esprit d’amour, je choisis d’abord le texte et à partir de ce texte, je commence à travailler et à imaginer la mélodie ou des harmonies. Souvent chez moi, ce sont les harmonies et je passe beaucoup de temps avant de parvenir à un résultat qui me convienne.

Petter : Travaillez-vous pour vous ou est-ce uniquement des commandes ?
Je reçois des commandes mais je fais aussi des choses pour moi, comme ce CD avec Arianna. Disons que c’est fifty/fifty.
J’ai par exemple travaillé pour Léonard Cohen, sur l’album Hallelujah, sur instruments anciens par exemple. Dans Maris, j’ai réalisé plusieurs arrangements et composé une pièce.

Arianna et Petter : D’ailleurs, nous allons sortir un nouveau disque pour Noël. Il s’agira de pièces allemandes, françaises, espagnoles, catalanes, norvégiennes et anglaises, cette fois ci. Nous avons travaillé avec des musiciens allemands, avec lesquels, nous nous sentons très proches. Ce sont des chants de Noël de tous les pays d’Europe (France, Allemagne, Espagne… ce sont des chants anciens et modernes. Nous avons de nombreux projets, dont un prochain CD dédié totalement à la musique ancienne.

In the Bleak Midwinter, avec Arianna Savall, Petter Udland Johansen et Capella Antiqua Bambergensis
www.jpc.de
www.cab-onlineshop.de

Propos recueillis par Monique Parmentier
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