En eau profonde
Pourtant, Schubert s’inspire de Mozart, de son école de vérité; et Mahler qui clôt le texte, est avant le directeur génial de l’Opéra de Vienne, un passionné de chant populaire et de voix « vraies »… Alors peut-être pour plus tard, de nouveaux chapitres plus développés sur l’un et l’autre, compléments visionnaires d’un genre propre au verbe germanique.
Pour autant, les quatre « grands » chapitres sur les fondateurs évangélistes sont passionnants; Schubert gagne une stature… supérieure à celle de Beethoven (qui fut toujours pour le cadet Franz, si impressionnant de son vivant dans la Vienne qu’ils ont partagé tous deux): deux cycles sont particulièrement analysés, La Belle Meunière et Le Voyage d’Hiver (dommage que Schwanengesang n’y paraisse pas de la même façon). En abordant en terres schubertiennes, l’auteur circonscrit les reliefs et la géographie de son sujet qu’il assimile très justement à un paysage (voyez le superbe tableau de couverture signé Caspar David Friedrich de 1818, avec vue plongeante sur la mer…), entre silence (son origine) et eau (sa matière): de l’ombre à l’ombre, de l’indicible au secret mystérieux, le lied paraît, se déroule, apportant en surface ce qui était tenu caché, puis se dérobe à nouveau pour disparaître; poids et choix des poètes mis en musique, définition de la Sehnsucht, vitalité, aspérité, versatilité des écritures… rien n’est omis ici dans ce texte passionné qui fouille, sans vraiment l’épuiser, une matière insaisissable entre poésie et musique. Pourtant à travers l’écoute d’un lied, l’esprit se trouve changé et la conscience décuplée… il s’agit aussi de déceler ce qui est à l’oeuvre dans l’oeuvre ; de préciser autant que possible tout ce qui nous touche autant dans le texte, dans la musique d’un lied.
Au bout de la lecture, l’oeuvre des plus grands Schubert, Schumann, Brahms, Wolf, Mahler se distingue magistralement.
André Tubeuf: Le lied, poètes et paysages, Schubert, Schumann, Brahms, Wolf, Mahler… 512 pages. Editions Actes-Sud.