mardi 16 avril 2024

40èmes Chorégies d’Orange Orange, du 9 juillet au 2 août 2011

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40èmes Chorégies d’Orange

Orange, du 9 juillet au 2 août 2011

Orange (84), Chorégies (40e anniversaire). Verdi : Aida, Rigoletto ; deux concerts symphoniques. Anciennes Chorégies, et à partir de quand ? Nouvelles, depuis 40 ans « seulement » ? On s’y perd un peu dans la chronologie sous le Mur d’Orange, et 2011 sera un bon repère anniversaire. Selon la tradition, Raymond Duffaut y fait reprendre deux opéras de Verdi – Aida et Rigoletto -, « complétés » par deux concerts symphoniques (Beethoven, Rachmaninov, Tchaïkovski). Le jeune chef ossète Tugan Sokhiev est particulièrement présent dans cette session du 40e …

Petite révision post-bacc

Le Mur d’Orange, très vieille histoire… récente : déjà Louis XIV disait de ce 103m(longueur) x 37m (hauteur) x2m (épaisseur) : « C’est la plus belle muraille de mon royaume ». A 8 m. en hauteur, Auguste veille…sur la suite d’un temps qui redevint chantant une année avant la chute d’un Second Empire…français (1869, donc), pour la représentation d’un opéra de Méhul, Joseph. Puis il fallut attendre 5 ans, guerre de 1870 et séquelles obligent. Donc (profitons-en pour une mini-révision post-bacc en Histoire), une année avant la proclamation formelle d’une IIIème…République, s’installa devant le Mur la tradition d’un Festival qui prendra en 1934 le nom de Chorégies : du grec ancien Chorègia (fonction de chorège, soin d’équiper et d’organiser un chœur, et moyens d’équiper l’ensemble, selon le Dictionnaire Bailly).

Les Félibres, Mistral et Chaliapine

Il faut aussi rappeler que si art lyrique il y eut dès 1869, c’était « en concurrence avec » la tragédie gréco-latine que les Félibres (poètes ou prosateurs en langue d’oc), Frédéric Mistral en tête – qui officia en inaugurateur sous le mur-, trouvaient logiquement plus conforme au concept issu de l’Antiquité. Ainsi en 1888, comme le rappelle Philippe Chabro ( Actes Sud), il y eut bien un glorieux Œdipe-Roi de Sophocle, avec Mounet-Sully, et en 1903 une Phèdre de Racine avec Sarah Bernhardt. Il en sortit des célébrations hybrides où un orchestre « accompagnait » le choeur puis jouait des « parties musicales d’œuvres orchestrales » (déjà des Symphonies de Beethoven). « En face » : Gluck, Boito (Chaliapine en Mefisto !) ; Massenet, Saint-Saëns, Berlioz, Fauré sur sujets antiques ou bibliques. Des années- avec opéra et des années-sans. Après 1930, une poussée de fièvre wagnérienne, l’entrée en scène de l’opéra verdien, des spectacles de ballets (Serge Lifar, Cuevas…) Demeurait aussi un problème grave : comment « remplir » les 7 à 8000 places recomposées avec gradins ? On connut donc souvent des échecs ou des demi-succès.

Beethoven, Wagner, Bizet, Mozart et tant d’autres

Après les entractes obligés des deux Guerres, on revint à des formules mixtes, tandis que s’affirmait le répertoire italien (Verdi, Puccini), et que Avignon-TNP-Vilar concentrait la dimension théâtrale novatrice…Jusqu’à 1971 où vint le temps de « Nouvelles Chorégies », impulsées par le Ministre Jacques Duhamel, d’abord prises en mains par le critique Jacques Bourgeois, et ouvertes par un Requiem de Verdi dirigé par Carlo-Maria Giulini, un Oiseau de Feu et un Sacre chorégraphiés par Maurice Béjart. Viennent aussi des grandes heures wagnériennes (Birgit Nilsson ; Tristan dirigé par K.Boëhm) et aussi straussiennes ou belliniennes, beethovéniennes (direction de Rostropovitch) et mahlériennes (la 8e Symphonie par Vaclav Neumann), sans oublier l’introduction du jazz. Puis en 1982 arrive aux commandes un enfant du pays, Raymond Duffaut, « qui n’a pas oublié ce qu’il a appris de Jean Vilar » en son Festival, et qui aime tout particulièrement chercher et trouver « des voix nouvelles dans le monde ».Avignonnais fidèle au poste 30 ans plus tard pour la célébration du 40e, R.Duffaut a maintenu l’orientation Verdi-et-Puccini, ou Wagner (la Tétralogie en 1988), « ouvert »sur l’opéra russe (Boris Godounov, avec Martti Talvela), repris Mozart ( La Flûte, Barbara Hendrcks), Strauss( (Elektra : Leonie Rysanek, Gwinteh Jones), Bizet ( plusieurs Carmen), Offenbach (les Contes d’Hoffmann, mis en scène par… Jérôme Savary), et rendu hommage à Mistral avec la Mireille de Gounod, joué-chanté in situ provenciali…. On a vu aussi l’arrivée et le retour d’interprètes du chant très aimés du public : Nathalie Dessay, Roberto Alagna, Béatrice Uria-Monzon, Angela Gheorghiu, Rolando Villazon ; la présence réitérée de chefs illustres (Kurt Masur, Michel Plasson, Myung Whun Chung…) et l’introduction de la Télévision pour de grandes transmissions (différé ou direct) qui élargissent l’aura du Festival…

Ismaïl Pacha, Mariette et le Canal

L’édition de la 40e fait retour, comme on dit, aux fondamentaux italiens, et à l’Enfant Chéri en Orange, Giuseppe Verdi. De Aida, on peut dire que c’est celui des 29 opéras qui couronne la période de maturité, 15 ans avant l’illumination shakespearienne de la vieillesse (Otello, Falstaff). Si on aime jouer avec les chiffres, on ajoutera que la création (1871) en remonte un siècle avant l’instauration des Nouvelles Chorégies… Mais il est plus intéressant de jeter d’abord un regard sur les circonstances même dans lesquelles Verdi s’inspira d’une histoire égyptienne antique, en y mélangeant quelques ingrédients « décalés ». Après le succès de Don Carlos (en Angleterre plus qu’en France) et en Italie, de la reprise de La Force du Destin, et alors que l’Italie a presque fini de réaliser son unité (Italia fara da se, avaient naguère énoncé les patriotes, mais avec l’aide d’autres nations européennes, il ne manque plus en 1869 que Rome pour avoir la capitale de l’Etat reconstitué), Verdi se voit proposer par l’intermédiaire du librettiste français de Don Carlos, Camille du Locle, un « thème pharaonesque ». La France est décidément « décisionnaire » en cette histoire, puisque Du Locle a puisé son projet d’adaptation dans une nouvelle de l’égyptologue Mariette. L’Europe célèbre son triomphe technologique, la percée d’un certain Canal de Suez qui va permettre de relier Méditerranée à Océan Indien. L’Egypte, « modernisée » au début du siècle par Méhémet Ali (devenu quasi-indépendant vis-à-vis du Sultan Ottoman) – et dont alors le petit-fils Ismaïl Pacha, qui a fait ses études en France, gouverne le pays avec le titre de Khédive -, a beaucoup emprunté à l’ouest, notamment en France. L’ouverture du Canal se fera fin 1869, mais les fêtes célébrant l’événement et tout ce qu’il signifie pour le commerce mondial et la stratégie occidentale – sans oublier le lien vital pour l’Angleterre avec ses colonies – , exemplairement fastueuses ,devront attendre : la guerre franco-allemande et ses conséquences vont tout bloquer, et l’opéra commandé au plus illustre des compositeurs italiens ne verra qu’à la fin 1871 sa création au Caire…

L’ombre de Cecil B.de Mille sur l’intime des passions humaines

Jean-François Labie, dans Le cas Verdi (éditions Fayard), souligne pour Aida « un scénario dont la désinvolture historique fait penser à Hollywood et Cecil B.de Mille », avec confusion entre Egypte des Pharaons et coutumes de Rome : ah ! l’emmurement final qui punit Aida et Radames, le supplice « emprunté » aux Vestales déviantes, et ce Temple de Vulcain installé à Memphis !… Mais d’autres données de l’histoire incitent à la réflexion trans-historique, en particulier sur les liens de dépendance et le rapport maître-esclave entre l’Egypte dominatrice et l’Ethiopie (africaine, noire, symbolisée par Amonasro et Aida), vaincue et par principe inférieure. La toute puissance du clergé égyptien et les décisions théocratiques « imposées » au Roi renvoient par contraste aux conceptions laïques modernes dont la jeune Italie de la fin XIXe a besoin pour s’unifier et se (re)construire… D’autres thèmes sont, à travers l’esthétique dramaturgique et musicale, dans la permanence verdienne : le conflit des générations, la liberté de l’amour sacrifiée à la raison d’Etat…familiale (l’histoire sentimentale de Verdi à cette époque de sa vie est peut-être en cause), la solitude du héros dans le pouvoir et face au destin qui le broie… Alors, bien sûr, il y a les trompettes du triomphe (elles sonnent aussi pour le Canal de Suez, non ?) : mais « cet opéra à grand spectacle est surtout, comme l’écrit Alain Duault, une œuvre intime, qui réunit pour les briser trois êtres déchirés entre leurs sentiments patriotiques et leurs passions humaines. » Et c’est essentiellement ce « souci d’humaine vérité atteignant au pathétique » qui fait les grandes interprétations. Orange – qui a recréé 7 fois Aida depuis 1937 (où Paul Paray dirigeait) – se doit pour le 40e de trouver un ton juste – entre grandeur et lyrisme intériorisé –, avec une mise en scène ré-inventive (ce sera la 3e à Orange pour Charles Roubaud, ) et une direction musicale en profondeur (le jeune – 34 ans – et déjà très fêté Tugan Sokhiev, un Ossète du Nord qui exerce au Capitole de…Toulouse, et saura sûrement donner de superbes couleurs à la partition « égyptienne »). Indra Thomas sera Aida, Ekaterina Gubanova Amneris, Carlo Ventre Radames, Andrezj Dobber Amonasro.

Censeurs de tous les pays, unissez vos ciseaux

« Vingt ans…avant » : Rigoletto, celui qui rigole, mais en italien le terme n’a pas la même »familiarité qu’en français , où on aime volontiers dire : « c’est rigolo, une franche rigolade ». Histoire de bouffon et de fou du roi français au XVIe, chez Victor Hugo dont le livret italien a tiré la substance du « Roi s’amuse », tragédie malgré le titre. Le fou, Triboulet, est anti-héros du tragique du côté de chez les rois, douloureux miroir de la légèreté ou de la turpitude des Grands. Après la bataille – et la victoire – d’Hernani en 1830, on est deux ans plus tard en plein retour de bâton : Louis-Philippe a confisqué les Trois Glorieuses qui ont hissé sa replète personne au pouvoir. Ce« roi (aux manières de) bourgeois » est adepte de la formule que son Ministre Guizot immortalisera : « Enrichissez-vous ! ». Et justement dès 1832, les Canuts Lyonnais vont apprendre qu’on ne badine pas avec la Justice royale quand on cherche à sortir de l’Injustice Sociale, et que comme il sera proféré par Casimir Périer, l’Homme à poigne qui fait cogner les gones révoltés : « Que les ouvriers sachent qu’il n’est de remède que dans la patience et la résignation ». En tout cas Le Roi s’amuse fut boudé par critique et public (problèmes d’offenses allusives à la Royauté restaurée ?). Quand 20 ans plus tard Verdi s’enthousiasme, il trouve que « le bouffon Triboulet est une création digne de Shakespeare » (son Dieu, comme pour tous les Romantiques) et charge Piave de transcrire la pièce pour opéra. Mais en Italie, la Censure veille aussi, elle est horrifiée qu’un roi, fût-il français, s’affronte à son bouffon, et on ne veut pas entendre parler de « la Maledizione », titre offensant pour Dieu mais qui fait tenir le fil rouge de la dramaturgie hugolo-verdienne. Fureurs de Verdi, jeu compliqué entre la Fenice vénitienne, le patron de la Censure et les artistes, renégociations : un duc de Mantoue sera mis en face d’un Triboulet rebaptisé Rigoletto, l’affaire est, si on ose dire, « dans le sac ».

La donna e mobile ?

Le génie épanoui de Verdi peut éclater dans son 1er opéra pleinement romantique, l’œuvre triomphe à la Fenice, et sera toujours chérie des mélomanes et des musiciens. Non seulement à cause de ses « tubes » et moments mythiques ( La donna e mobile, bien sûr, pourtant ce n’est qu’un air en situation d’ironie), mais parce que la dramaturgie y acquiert une dimension grandiose. Le 17e opéra d’un compositeur à la fécondité…hugolienne, mélange tragique, comique – mais nous dirions plutôt grotesque, et pourquoi pas, baroque, avec ses quiproquos et coups de théâtre. Shakespearien, parfois entre mélo et grand-guignol sublimés… Une action haletante, à déguisements et retournements, y fait songer au futur 7e art. C‘est la conception d’un Temps merveilleusement Présent qui se laisse emporter par le tourbillon, action en poursuite de sa propre dévoration.


vidéo

chorégies d'orange, theatre antique orange 2011 les 40 ans

Les Chorégies d’Orange 2011. Edition des 40 ans, du 9 juillet au 2 août 2011. A l’affiche, en complément aux concerts symphoniques, deux opéras de Verdi, joués deux fois au Théâtre Antique, d’abord Aïda (9 et 12 juillet 2011 à 21h45) puis, Rigoletto (les 30 juillet et 2 août à 21h30). Présentation vidéo des Chorégies 2011… Entretiens avec Thierry Mariani (Président), Raymond Duffaut (directeur
général), Charles Roubaud et Paul-Emile Fourny, metteurs en scène… En
quoi Orange aujourd’hui est il un festival unique et singulier? Quelles
sont ses spécificités? Ses perspectives futures? Présentation des deux
productions lyriques 2011

Dans le souterrain

Et puis l’arrière-plan. On dirait « en sous-sol », selon la formule de Dostoievski, ou plus « banalement » depuis que Siegmund (Freud) est passé par là, dans l’inconscient, grouille le nœud de vipères des passions, avant tout celui de la passion paternelle. Car « dans tout l’œuvre de Verdi, explique J.F.Labie, le thème du père revient avec une régularité entêtante où l’on ne peut voir l’effet du seul hasard. » On peut en effet y ajouter, dans l’expérience intime du compositeur, les drames vécus : en 1838-39, disparaît la petite Virginia à qui son père chantait la berceuse « Mia Virginia, sei tu sola », un an plus tard, le 2e enfant, Icilio ; et en 1840, c’est Margherita, la jeune femme et mère, si belle, et admirée dès le vert paradis des amours enfantines, qui meurt à 26 ans d’une encéphalite…Se referme une triple tombe sur le vide terrible de ce qui n’est plus que le passé, à sa façon inatteignable : « Et certains mots qui n’ont jamais été dits ne pourront plus jamais l’être, ce silence imposé est ressenti comme la punition d’un oubli plus ancien. » Vient certes Giuseppina Strepponi, la cantatrice qui finira par devenir épouse, inspiratrice, puis maternante des vieux jours, mais ce parcours de 4 ans (entre mariage avec Margherita et sa mort, et la disparition des deux enfants) demeurera à jamais. Ou pis, il sera chaque fois revécu ; et l’œuvre alors devient le « discours » portant la douleur indicible, autrement. Cinq ans après Rigoletto, Victor Hugo écrit dans la Préface des Contemplations : « On se plaint quelquefois des écrivains qui disent : moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas, quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ! ». Verdi, « frère » spirituel de Hugo, mais qui ne sait pas bien « écrire », le fait en sa musique, et l’humanité du musicien italien nous bouleverse comme celle du poète français…

Songe, songe, Céphise…

Ici, Paul Emile Fourny par sa mise en scène, Roberto Rizzi-Brignoli – qui a été l’assistant de Riccardo Muti – guideront avec l’O.N.F Patrizia Ciofi (Gilda), Leo Nucci (Rigoletto), Vittorio Grigolo (le Duc) et leurs compagnons dans le labyrinthe des passions. Il faut ajouter à ces fastes musicaux, suivant la formule rituelle sous le Mur, deux concerts symphoniques : la IXe (et la VIIIe) de Beethoven sont reprises avec Tugan Sokhiev (cette fois, son Orchestre du Capitole ; Nathalie Stutzmann est l’alto de l’Ode à la Joie), et le 3e de Rachmaninov (Denis Matsuev) comme la 5e de Tchaikovski célèbrent avec les mêmes interprètes la pensée russe… La pensée théâtrale française, si présente dans le passé des Chorégies et sous le Mur, aura été honorée, dès milieu juin, par une représentation d’Andromaque : la Comédie Française y était dirigée par Muriel Mayette, avec Cécile Brune (Andromaque), Eric Ruf (Pyrrhus), Léonie Simaga (Hermione). Le chant de la pure poésie racinienne se sera donc à nouveau élevé en vision doublement nocturne sous le Mur : « Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle… »…

Orange (84) 40e anniversaire des Nouvelles Chorégies, du 9 juillet au 2 août 2011. Giuseppe Verdi (1813-1901). Aida, mise en scène Ch.Roubaud, ONCT, direction Tugan Sokhiev. Samedi 9 et mardi 12 juillet, 21h45. Concert Rachmaninov et Tchaïkovski, D.Matsuev, T.Sokhiev : lundi 11, 21h45. Concert Beethoven (IXe), dir. T. Sokhiev, samedi 16, 21h45. Verdi, Rigoletto, m.e.s. P.E.Fourny, ONF.dir. R.Rizzi-Brignoli, samedi 30 juillet, mardi 2 août, 21h30.
Information et réservation : T. 04 90 34 24 24 ; www.choregies.com

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